La célébration du 55ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Tunisie et la Chine coïncide cette année avec la forte montée en puissance de la coopération entre les deux pays. Qui, un an après la signature par la Tunisie d’un mémorandum d’entente marquant son adhésion à l’initiative «La ceinture et la route », est en train de s’intensifier et de se diversifier.
«Le moment est venu d’ouvrir les portes aux grands investissements et flux de financements chinois vers la Tunisie et d’élever la coopération bilatérale au niveau de partenariat stratégique». Ainsi parlait Ridha Chalghoum, ministre des Finances, au 8ème Forum des hommes d’affaires sino-arabes (2-3 avril 2019, Tunis). Et ce ne sont pas des paroles en l’air. De fait, depuis près d’une année, les choses s’accélèrent entre Tunis et Beijing. De plus en plus de projets se mettent en place.
La Tunisie, qui doit déjà à la coopération chinoise la réalisation d’ouvrages hydrauliques et de plusieurs infrastructures et bâtiments civils –comme le canal Medjerda-Cap Bon, l’Archive Nationale, le Centre Culturel et Sportif El Menzah VI, le Centre El Khawarizmi, etc., va également pouvoir se doter d’une Académie diplomatique –dont la première pierre a été posée début mai 2019-, grâce à un financement chinois.
Mais le plus important est probablement à venir. Trois Memorandum of Understanding (MoU) conclus lors de la visite en Chine en février 2019 de Zied Ladhari, du ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, y ouvrent la voie.
Ces MoU concernent les études relatives à sept mégaprojets destinées à être réalisés dans le cadre d’un partenariat public-privé (ville administrative de Taparura et ville sportive de Sfax, métro de Nabeul, ligne de chemin de fer trans-maghrébine Tabarka-Tunis–Ras Jedir, valorisation de Sebkha Ben Ghayadha à Mahdia, autoroute Boussalem-frontière algérienne, développement du pôle économique de Zarzis, pont reliant Ejar et Ajim, et ligne ferroviaire reliant Gabès et Médenine jusqu’au port de Zarzis).
Il en a fallu du temps pour en arriver là. Car, entre une Tunisie ouvertement pro-occidentale au lendemain de l’indépendance en 1956 et une Chine résolument communiste, le rapprochement n’était pas évident. D’ailleurs, le pays de Mao Zedong n’a établi de relations diplomatiques avec ce petit pays d’Afrique du Nord qu’en 1964, cinq ans après l’Egypte et six ans après l’Algérie.
De son côté, Tunis n’a ouvert une ambassade dans la capitale chinoise qu’en décembre 1973, soit neuf ans après que la Chine a envoyé un ambassadeur en Tunisie.
Enfin, alors que le Premier ministre Zhou Enlaï, premier dirigeant chinois à le faire, a visité la Tunisie dès 1964, ce n’est que quinze ans plus tard que la Tunisie renvoie l’ascenseur en dépêchant à Pékin son ministre des Affaires culturelles, Mohamed Yâaloui, premier responsable tunisien à découvrir la Grande Muraille de Chine.
En cinquante-cinq ans, les rapports entre les deux pays sont d’ailleurs passés par des hauts et de bas. En septembre 1967, c’est même la rupture. Elle se produit lorsque la Chine, en proie à la révolution culturelle, décide de fermer plusieurs de ses ambassades en Afrique, dont celle de Tunis.
Si un premier jalon sur la voie de l’établissement de la coopération entre les deux pays est posé avec la création de la commission mixte en décembre 1983, ce n’est que dans les années quatre-vingt-dix que le climat tuniso-chinois se réchauffe véritablement.
Ce réchauffement se traduit en 1991 par la première visite officielle d’un président tunisien –Zine El Abdine Ben Ali, en l’occurrence- en Chine. C’était une avancée notable. Mais c’est la seule à ce jour du côté tunisien, alors que deux présidents chinois, Yang Shangkun, en juillet 1992, et Jiang Zemin, dix ans plus tard, sont venus depuis en Tunisie.
Près de vingt-huit ans après, la coopération tuniso-chinoise est en passe de faire un grand bond en avant. Ce nouveau cycle vertueux a nécessité près de deux ans de préparation. Celle-ci a commencé par deux visites de Wang Yi, ministre des Affaires étrangères chinois en Tunisie en seulement huit mois (mai 2016 et janvier 2017) et a abouti près d’une année plus tard, en juillet 2018, à la signature, par Khemaies Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères, et son homologue chinois, d’un Memorandum Of Understanding (MoU), par lequel la Tunisie a officiellement adhéré à l’initiative Ceinture et Route.
Un aboutissement auquel le secteur privé, en particulier tunisien, favorable au développement des relations avec la Chine, a grandement contribué par son lobbying.
Ancien ambassadeur de Tunisie en Chine, Dr Mohamed Sahbi Basly a été précurseur en créant en 2015 le Conseil de coopération tuniso-chinois (CCTC), avec un groupe de chefs d’entreprise.
En janvier 2016, le bras international de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT), présidée par Tarak Chérif, apporte sa pierre à l’édifice en organisant un déjeuner-débat en collaboration avec l’ambassade de Chine en Tunisie, sur le thème : «Tunisie-Chine : Quelles perspectives de développement de la coopération économique?».
Quelques mois plus tard, en octobre 2016, Tahar Bayahi, PDG du groupe Magasin Général, lance la Chambre de commerce tuniso-chinoise.
En juin 2017, l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) consacre son Tunis-Forum à une réflexion sur «Tunisie-Chine : un partenariat d’avenir», à laquelle ont été associés opérateurs et responsables chinois.
Last but not least, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), visiblement décidée à rattraper son retard dans ce dossier, organise deux forums économiques tuniso-chinois en l’espace de quatre mois, en novembre 2018 et avril 2019. Après avoir donné naissance elle aussi en 2017 à un Conseil d’affaires tuniso-chinois.
Deux mois après la signature par la Tunisie du MoU d’adhésion à l’initiative Ceinture et Route, Youssef Chahed s’est rendu début septembre 2018 en Chine, où il a conduit la délégation tunisienne au sommet du Forum sur la coopération sino-africaine. Le chef du gouvernement est ainsi devenu le premier responsable tunisien de ce niveau à effectuer ce voyage, trente-cinq ans après la visite du Premier ministre, Mohamed Mzali en 1984.
Cet élan va-t-il inciter le prochain président de la république tunisien et son homologue chinois, Xi Jinping, à porter encore plus haut le niveau du dialogue entre les deux pays, en s’invitant mutuellement, dix-sept ans après la visite du président Jian Zemin en Tunisie, et vingt-huit ans après celle du président Ben Ali en Chine ?
Wait and see.