La Méditerranée, comme l’a affirmé Fernand Braudel, est “mille choses à la fois. Non pas un paysage, mais d’innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais plusieurs civilisations.” c’est autour de cette zone spécifique dont le substantif Méditerranée apparaît seulement en 1757 sur une carte, avec une mer regroupant une constellation de vingt-deux pays riverains formant une mosaïque de peuples avec leurs langues, leurs dialectes, leurs traditions, leurs régimes politiques et leurs évolutions, que la Tunisie a accueillera les 25 et 26 octobre le cinquième colloque international intitulé “Méditerranée, réalités enjeux et perspectives”.
La rencontre de haut niveau est organisée à l’initiative du Forum de l’académie politique (FOAP) présidée par Hayet Doghri et la fondation Konrad Adenauer Stiftung représentée par Holger DIX, Représentant résident Konrad-Adenauer-Stiftung Tunis.
Programme: séances scientifiques, débats et recommandations
Le colloque sera marqué par la présence d’éminents chercheurs, historiens, spécialistes, consultants et experts tunisiens et étrangers dont le professeur émérite Michele Capasso (Italie) Fondateur de la Fondazione Mediterraneo : Réseau euro-méditerranéen pour le dialogue entre les Sociétés et les Cultures, Abdelli Mohamed Amokrane Chef de projet Jeunesse et créativité pour la paix (Algérie), Mohamed Nadir Aziza, Président du Programme MED 21 – Réseau de Prix pour la promotion de l’Excellence en Méditerranée et dans les pays émergents, Dr. Nuri Yesilyurt, directeur d’Ankara University, Center for Middle Eastern Studies (Turquie), Taoufik Ayadi, Ancien Capitaine de vaisseau major du MDN, Consultant et formateur indépendant dans les domaines de la géopolitique, de la stratégie, de la planification et des affaires maritimes. Interviendront entre autres dans ce colloque Abbès Mohsen, Président de l’Amicale des Gouverneurs et membre du conseil scientifique du FOAP, Mahmoud Zani, Professeur de droit public Directeur du Centre de droit international et européen de Tunis (CDIE), Leila Belkhiria Jaber, Présidente de la Chambre nationale des femmes chefs d’entreprises (CNFCE), Oualid Ghadhoum Maître de conférences agrégé, Expert auprès du PNUD Membre du conseil scientifique du FOAP.
Le colloque qui aura à l’hôtel Résidence Gammarth, sera ouvert vendredi 25 octobre 2019 à partir de 08H’45 par l’intervention de Hayet Doghri, présidente du Forum de l’académie politique, de Mr Holger Dix, Représentant résident Konrad-Adenauer-Stiftung Tunis et Khemais Jhinaoui, ministre des affaires étrangères. La séance d’ouverture sera marquée par une conférence inaugurale intitulée “Historique du processus de coopération euro-méditerranéen” qui sera donnée par Habib Ben Yahia, Ancien ministre des Affaires étrangères Ancien Secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe
Pourquoi la Méditerranée ? deux rives, un héritage face à un enjeu crucial
Pourquoi spécifiquement la Méditerranée? Les mutations actuelles, globales dans leurs dimensions géopolitiques portent des changements et des impacts importants sur la Méditerranée, en tant qu’espace d’échange et de partage.
Elle est le centre d’échange et de concertation des échanges humains, économiques, politiques, culturelles avec des impacts très importants sur les relations entre les deux impacts sur deux rives. Les changements dans la rive sud ont un impact sur la stabilité de la Méditerranée et un double impact sur deux continents l’Europe et l’Afrique. Les mutations économiques, politiques et géostratégiques en terme de relations des pays européens avec les superpuissances extra européennes ou extra méditerranée (Chine, Etats Unis d’Amérique, Russie) ont un enjeu crucial sur le devenir de la méditerranée. C’est sous cet aspect que les débats vont se lancer afin de construire une entité où la complémentarité est la pièce motrice, la mobilité, la jeunesse, la culture et le savoir sont des éléments clés de cette alternative de stabilité et de prospérité.
Deux rives, un héritage en partage est le mot d’ordre pour construire cette alternative. C’est dans ce contexte que le colloque sera une occasion pour présenter un aperçu historique, économique et politique des constructions régionales d’entités ou d’unions autour de la Méditerranée, un aperçu qui impose une réflexion profonde sur l’importance d’une solidarité méditerranéenne en terme de l’équilibre des rapports, rapprochements culturels et politiques et renforcement des unions comme l’Union du Grand Maghreb, l’Union Africaine, l’Union pour la Méditerranée.
Dans ce sens, l’ordre du jour prévoit plusieurs conférences et séances scientifiques portant sur plusieurs thèmes : ” L’éclairage de l’histoire”, ” Chrétienté et Islam. Affrontements et échanges en Méditerranée L’activité corsaire aux XVIIe et XVIIIe siècles ” (une conférence qui sera donnée par Pr-Dr. Mohamed-El Aziz BEN ACHOUR, Historien, Ancien Ministre de la Culture et de la sauvegarde du patrimoine Membre du conseil scientifique du FOAP), ” La Méditerranée à l’épreuve des relations internationales aux 19e et 20e siècles. Echanges et conflits ” qui sera donnée par Odile Moreau Maitre de conférences responsable de recherches à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, ” Les relations germano-tunisiennes dans les archives allemandes ” qui sera présentée par Jonas Bakoubayi Billy, archiviste-paléographe, Documentaliste, Bibliothécaire, Historien germaniste, Chercheur associé à l’Université de La Manouba et enseignant à l’Institut des Sciences Politiques et de l’Histoire de l’Université des Sciences de l’Education de Fribourg-en-Brisgau.
Le processus du dialogue des cultures et du métissage connait de réelles difficultés
Le programme très varié et riche en interventions prévoit également des débats notamment sur “L’Europe et la rive Sud, Pour la refonte des relations entre la Tunisie et l’Union européenne “, ” La Méditerranée trait d’union entre l’Europe et l’Afrique”, ” L’espace euro-méditerranéen et les défis du développement et de la coopération ” , ” Analyse des accords de coopération entre l’Europe et la Tunisie dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. “, “Le drame des migrants” , ” Migration mixte. Le paradoxe méditerranéen. “, Les solutions envisagées pour faire face à la question des migrants sont-elles les bonnes ? “, “Perspectives démographiques transméditerranéennes”, ” Rôle de l’entrepreneuriat féminin dans le renforcement des relations nord-sud méditerranéennes, ” La coopération entre les flottes navales. Un facteur d’intégration et de stabilité à promouvoir pour que la Méditerranée demeure un havre de paix. “, ” Pour un droit sécuritaire commun en Méditerranée. Réflexions sur quelques défis majeurs. “, ” Refonder le dialogue euro-méditerranéen “, ” De la culture de la vie à la culture de la mort. Causes, expressions et moyens d’y remédier, ” 2020-2050: la Grande Méditerranée dans les mutations géostratégiques “, ” La Méditerranée : d’une rive à l’autre, un héritage en partage “.
Sur le plan culturel et civilisationnel, le processus du dialogue des cultures et du métissage des populations qui a longtemps caractérisé le monde méditerranéen malgré les affrontements, connaît, selon les experts, de réelles difficultés aujourd’hui.
D’autant plus que le processus d’homogénéisation et de standardisation des modes de vie accéléré par l’évolution de l’économie mondialisée et par la multiplication des nouveaux moyens de communication suscite, en réaction, des mouvements éruptifs de résistance, de repli sur soi et d’agressivité allant jusqu’au terrorisme. L’éclairage de l’histoire pourrait ainsi aider à comprendre ce qu’il convient d’éviter et ce qu’il convient de réhabiliter et d’encourager, en méditant les leçons de l’histoire tout en gardant présent à l’esprit les mutations d’aujourd’hui.
En effet, la Méditerranée est un enjeu à la fois géopolitique et géoéconomique attendu que dans un monde global, elle est une interface stratégique entre l’Europe et l’Afrique. Au sud comme au nord, l’intégration méditerranéenne est un facteur de sortie de crise ainsi qu’une formulation d’un nouveau modèle de croissance.
La Méditerranée est aussi un projet de coopération renforcée avec l’UE qui a été initié par la Déclaration de Barcelone en 1995. C’est le 20 décembre 2007 que les chefs d’Etat espagnol, français et italien ont lancé l’appel de Rome pour une Méditerranée, plaidant pour la constitution d’une union ayant pour vocation de “réunir l’Europe et l’Afrique autour des pays riverains de la Méditerranée. ” et d’instituer entre eux, sur un pied d’égalité, un partenariat reposant sur quatre piliers à savoir la croissance économique, l’environnement et le développement durable, le dialogue des cultures et la sécurité.
Il reste alors à se demander quelle est la place de la Méditerranée dans les mutations stratégiques actuelles dès lors que depuis les fameuses révoltes arabes de 2011, l’avenir de la Méditerranée, “une jonction mondiale de cultures, de sociétés et d’économies mutuellement enrichissantes ” (Antonio Gutérres, actuel Secrétaire général de l’ONU), est devenu incertain du fait de l’instabilité qui affecte la région située du reste au carrefour de l’Afrique, de l’Europe et du Moyen-Orient et, tout particulièrement, des défis sécuritaires majeurs auxquels elle doit faire face. Parmi ceux-ci, il sied de mentionner, tout d’abord, la lutte contre le terrorisme sous tous ses aspects, y compris le retour des combattants étrangers, la radicalisation des jeunes et le financement des organisations terroristes. Ensuite, la crise migratoire permettant à des millions de personnes de rejoindre l’Europe via la Méditerranée avec toutes les conséquences désastreuses sur le plan humanitaire. Enfin, la lutte contre la corruption aggravée et le changement climatique constituent de nouveaux défis à ne pas minorer.
Michele Capasso : Dans 30 ans, des événements très spéciaux auront eu lieu…le défi est énorme
Nous vivons une période difficile de notre histoire parce que nous sommes confrontés à une classe politique qui, par la médiocrité, le manque d’éthique, “l’analphabétisme” en termes de droits de l’homme et de solidarité ne fait référence qu’à l’obscurité du Moyen Age. Et ceci au niveau mondial.” explique le professeur Michel Capasso, en exclusivité à l’agence TAP.
Fondateur de la Fondazione Mediterraneo : Réseau euro-méditerranéen pour le dialogue entre les Sociétés et les Cultures, il a expliqué “Nous avons rédigé un “rapport froid” en tant que Fondation, c’est-à-dire sans le commenter, et c’est un rapport qui fait frémir, car si nous analysons la carte de référence aux valeurs fondamentales propres à un homme d’Etat, il est difficile d’identifier les personnages qui peuvent être considérés comme tels dans le monde. Il en va de même pour tant de dirigeants de ce monde qui, au lieu de se consacrer au “bien commun” et aux autres, ne recherchent que des intérêts particuliers et manifestent un misérable “amour du pouvoir”.
Aujourd’hui, l’urgence la plus importante concerne les jeunes: ils ont perdu tout espoir en l’avenir, ils ne sont plus les “producteurs” de l’avenir, ils n’ont plus l’espoir de pouvoir “construire” un avenir, car ils sont assaillis tous les jours de nouvelles négatives.
Il existe cependant encore des valeurs ; celles de la beauté, du bien, de tout ce qui nous unit, tels que la solidarité, l’art, l’architecture, la littérature, la musique, l’environnement, le tourisme. Cet ensemble de valeurs est peu promu partie est peu promue, et peu connue surtout par rapport aux attitudes et comportements négatifs.
Dans 30 ans, des événements très spéciaux auront eu lieu: nous serons près de 13 milliards d’habitants, la population de l’Afrique aura plus que doublé, celle de l’Inde doublera et dépassera celle de la Chine. Et nous, les Européens, ayant un faible taux de natalité, nous ne serons que 400 à 450 millions et dans certains cas, y compris en Italie, nous aurons une population comptant 80% de personnes âgées de plus de 65 ans, nous serons donc un peuple avec peu de jeunes. Les populations d’Italie, d’Espagne et de France auront besoin de millions de jeunes capables d’exercer des métiers que personne, chez les Européens ne pourra plus faire.
Alors de quoi parle-t-on? A quel bloc d’immigration pensons-nous? Nous avons et aurons besoin de ces personnes, nous devons simplement retenir et encourager les arrivants de bonne volonté et se garder des criminels – comme dans tous les contextes sociaux – . Nous devons les former à de nouvelles professions, de nouveaux besoins, de nouveaux emplois en fonction de leurs tendances, de leurs formations, leurs compétences. Nous devrons revoir l’ensemble du système d’accueil, abandonner le concept de tolérance pour acquérir celui de coexistence et d’intégration.
Un système intégré de volontariat mondial de bon niveau est nécessaire pour concourir: parce que sous le nom de volontariat, il ne suffit pas de recueillir uniquement les bonnes volontés. Aujourd’hui, ce n’est plus le moment de tout avoir et nous ne devons avoir que des personnes compétentes. Ce défi peut provenir de ce volontariat capable de tisser un réseau avec les institutions et organisations qui, dans de nombreux pays, ont démontré leur capacité à exceller et à savoir comment bien fonctionner.
Tout cela requiert une grande humilité, un sens du devoir, un abandon du concept de pouvoir, même dans le cadre du volontariat opérationnel: mais cela nécessite avant tout une révision du concept religieux de charité et de bienvenue, car même dans ces domaines vérifier les incohérences et les déclarations incohérentes, souvent avec des mécanismes obsolètes et inadéquats pour le monde d’aujourd’hui. Il est nécessaire de considérer que les nouveaux moyens de communication ont produit une révolution chez les jeunes et les sujets intéressés qui s’impliquent à la fois pour l’aide et pour l’assistance des populations objet et sujet du service volontaire.
Que devriez-vous faire? Le défi est énorme, c’est une mission presque impossible, mais en raison de cette “impossibilité”, il doit avoir une force d’intégration et de système: la “Grande Méditerranée” constitue un laboratoire unique et notre tâche est d’assumer, dans les différents domaines, ses propres responsabilités.