L’exclusion, mercredi 23 octobre 2019, de la cérémonie d’investiture du nouveau président de la République, Kaïs Saïed, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) des représentants du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), de la Fédération tunisienne des directeurs des journaux (FTDJ) et la Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle (HAICA), n’est guère fortuite.
En dépit des excuses –tardives- d’Abdelfattah Mourou, président par intérim de l’ARP, les observateurs de la chose publique tunisienne estiment que, par sa globalité dans la mesure où elle a touché tous les médias (syndicat, audiovisuel, patrons de la presse écrite et électroniques, secteur qui emploie plus de 25 mille personnes), elle ne peut être que délibérée, ordonnée et fomentée, au plus haut niveau des sphères du pouvoir, en l’occurrence (déjà) l’entourage du nouveau président Kaïs Saïed, mais Ennahdha qui vient de remporter les législatives.
Qui est derrière cet oubli “volontaire“?
Cette exclusion intervient dans le cadre de la féroce campagne menée par Ennahdha, particulièrement par le porteur d’encensoir du gourou Rached Ghannouchi, à savoir Abdelkarim Harouni, président du Conseil de la Choura (parlement d’Ennahdha).
Pour mémoire, ce dernier avait déclaré au lendemain de l’annonce des résultats des élections législatives 2019 et du triomphe Ennahdha que «la HAICA est devenue obsolète et n’est plus à même d’accomplir sa tâche et n’est plus en harmonie avec les exigences de la prochaine étape…». Appelant donc à la mise en place d’une nouvelle instance pour réguler ce secteur au vu des changements que connaît le paysage médiatique. Le message est on ne peut plus clair.
L’entourage du nouveau président de la République, réputé pour son hostilité à la presse locale en raison de ses critiques virulentes à l’endroit du candidat Kaïs Saïed, à cause de la tendance incompréhensible de ce dernier à ne pas dévoiler, jusqu’à ce jour, son programme politique et économique, est lui aussi soupçonné dans cette affaire d’oubli “volontaire“. Et si c’est le cas, KS doit dire dès maintenant adieu à sa popularité et de l’estime qu’ont pour lui de Tunisiens.
Tout le monde se rappelle, également, l’agression perpétrée, le 13 octobre 2019, sur l’avenue Habib Bourguiba à Tunis, par des fans du président Kaïs Saïed contre des journalistes, lors d’un meeting organisé à l’occasion de l’annonce de la victoire de leur candidat.
Pis, lors de son intervention sur le plateau de l’émission “Tounes Alyawm“ diffusée sur la chaîne Al Hiwar Ettounsi dans la soirée du mercredi 23 octobre 2019, la chroniqueuse Maya Ksouri a révélé des éclairages précieux sur les profils haineux de certains futurs conseillers du président Kaïs Saïed, dont un serait pressenti comme son directeur de cabinet.
La question est de savoir pourquoi toute cette hostilité et toute cette aversion du nouveau pouvoir pour la presse. La réponse est simple. C’est que les journalistes ont fait preuve de grand professionnalisme en dénonçant le simulacre de démocratie qui prévaut dans en Tunisie et en se plaçant au-dessus des candidats et des électeurs.
Ils ont eu le courage de dénoncer l’argent sale qui a été utilisé, sans aucun contrôle, pour financer les campagnes de certains candidats au point de dépasser les seuils tolérés, comme ce fut le cas dans la circonscription de Rached Ghannouchi, Tunis 1.
Ils ont eu, également, le flair de mettre à nu les dépassements et transgressions qui ont eu lieu lors de ces élections générales.
La presse ne s’intéresse qu’aux résultats ?
Last but not least, ils ont eu le mérite de critiquer sévèrement les résultats des élections, et ce pour les raisons objectives suivantes.
L’écrasante victoire «trop facile» de Kaïs Saïed au deuxième tour de la présidentielle est surprenante à plus d’un titre. Méconnu de la scène politique avant 2011, Kaïs Saïed, professeur retraité, n’a jamais eu à assumer une quelconque responsabilité ni dans les affaires, ni dans les finances.
C’est la raison pour laquelle qu’il ne peut être, à la limite, qu’honnête et irréprochable, car il n’a rien géré de concret ou de complexe pour se tromper. Conséquence : le pays prend un risque énorme avec cet inconnu même s’il est élu par près de 3 millions d’électeurs.
Vient ensuite la victoire étriquée du parti Ennahdha aux législatives n’a pas été du goût de la presse tunisienne dans son ensemble. Au nom de l’intérêt supérieur du pays et de la pérennité de l’Etat, les journalistes ont estimé inadmissible que le parti qui a gouverné le pays depuis 2011 et qui a été à l’origine de certains malheurs qu’a connus le pays soit de nouveau élu.
Pour eux, ce parti devait être sanctionné sévèrement rien que pour avoir introduit le terrorisme dans le pays, toléré la contrebande et mené le pays à la banqueroute par l’effet du surendettement. Malheureusement, c’est le contraire qui s’est passé. Maintenant, les jeux sont faits. Les résultats des élections sont ce qu’ils sont. «Le grand peuple» s’est exprimé. Il doit assumer sa responsabilité.
Cela pour dire qu’en excluant la presse de la cérémonie d’investiture du nouveau président de la République, Ennahdha et l’entourage de Kaïs Saïed ont rendu un éminent service à la presse et ont commis, en même temps, une grosse bourde. Ils ont servi la presse en ce sens où ils lui ont donné l’opportunité de ne pas être témoin, et encore moins complice d’une parodie de démocratie. Ils ont commis une grande erreur dans la mesure où ils ont perdu tout soutien des médias ; un défi lourd de conséquences qui sera difficile à surmonter. On l’aura dit.