La Tunisie adopte dès 2020 la charte “BEPS” (Base Erosion and Profit Shifting) élaboré par l’OCDE en matière de calcul des prix de transfert appliqués en intra-groupe chez les multinationales. Finie l’angoisse sur les prix préférentiels.
Le monde entier, Tunisie compris, courtise les investissements directs étrangers (IDE) et les multinationales. Mais s’en méfient dans le même temps. Ces groupes ont une puissance financière qui défie celle des Etats. Et ils ont également le pouvoir d’user, au maximum, des avantages comparatifs des pays d’accueil. En retour, les Etats s’attendent à ce que les multinationales s’acquittent de leurs impôts. C’est ici que réside la pomme de discorde entre eux.
Les multinationales sont regardantes sur la fiscalité, et jouent les pays les uns contre les autres. La Tunisie envoie un signal fort à leur adresse en adhérant au programme BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, c’est-à-dire “érosion de la base fiscale et transfert des bénéfices“), convenu au sein des pays membres de l’OCDE. Cette question a été largement exposée puis débattue le vendredi 27 septembre lors d’un séminaire organisé par la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie, à l’adresse de ses adhérents.
Adieu les prix préférentiels, bonjour les prix de transfert, une parade au dumping fiscal ?
Indomptables les multinationales ont cette faculté de faire converger leurs bénéfices vers le pays de résidence où la fiscalité est la plus clémente. Elles le font au grand dam des divers pays d’accueil qui se sentent floués. Pourtant, les pays n’ont pas manqué de prévenance et il y avait une tendance mondiale à ne pas trop les taxer.
Ainsi, le principe de non double imposition était très répandu, et la Tunisie, à titre d’exemple, a signé cinquante-cinq conventions de ce type, à elle seule. L’ennui est que les multinationales n’en ont cure et continuent à faire voyager leurs bénéfices là où elles sont les moins imposées. Et l’on s’aperçoit qu’en réalité on tombe dans le travers de la double non-imposition. Les écarts commis par les GAFA –entendez Google, Apple, Facebook et Amazon- auxquels il faut désormais ajouter M (pour Microsoft pour devenir GAFAM) à l’adresse de nombreux pays européens illustrent bien le problème. Et le véhicule coupable pour ces voyages clandestins des bénéfices étaient les prix préférentiels.
Désormais et grâce à la mobilisation des pays de l’OCDE, une charte BEPS a été appliquée. Elle est basée sur la notion de prix de transfert dans les échanges intra-groupes. Les prix de transfert sont négociés entre les multinationales et l’administration fiscale. Cette opération porte sur un plan de prix de 3 à 5 ans de sorte à éviter toutes contestations lors des contrôles fiscaux.
La Tunisie a adhéré, depuis 2017, au programme BEPS, et le basculement sous ce régime se fera en 2020. Les dispositions réglementaires y afférentes ont été injectées dans la loi de finances 2019.
Sous la même enseigne fiscale
Cette tendance à l’uniformité fiscale limiterait, dans une certaine mesure du moins dans les pays à économie avancée, les tentatives de dumping fiscal. Et d’ailleurs, la charte BEPS s’accompagne de nombreuses dispositions réglementaires.
Elle définit la structure de groupe, de filiale, d’associé et de résidents. Elle cerne la notion de prix de transfert comme établissant la juste part du résultat devant revenir au pays hôte eu égard aux activités déployées sur son territoire. Et elle précise bien que le prix du transfert affecte l’assiette fiscale du pays d’accueil et qu’elle prévient de l’érosion de cette même assiette garantissant la juste rentrée fiscale au pays concerné.
La convention BEPS stipule que les prix de transfert sont négociés pour une période allant de trois à cinq ans entre l’entreprise et l’administration fiscale du pays concerné. Cela évite tous les litiges, sur les états financiers, lors du contrôle fiscal.
BEPS précise que le régime est déclaratif et que les opérateurs doivent déposer leurs états de prix. Ces prix sont appréciés par l’administration sur la base de comparabilité, qui tient compte du principe de pleine concurrence.
Outre cela, l’opérateur remet la liste des prix pour des prestations similaires pays par pays. Grâce à l’OCDE, les pays sont tenus d’une certaine coopération et s’engagent à échanger les renseignements entre eux, pour s’assurer que les prix sont équitables. Les paliers fiscaux sont ainsi calculés.
En Tunisie, l’opérateur est tenu de déclarer ses prix, dès qu’il réalise un chiffre d’affaires local de 20 millions de dinars, ou à défaut si le groupe dans sa totalité réalise un chiffra d’affaires, mondial 2015, de 700 millions d’euros, soit la contre-valeur de 1,636 milliard de dinars (toujours en 2015 cela s’entend).
Les enjeux sont si importants que BEPS conseille aux multinationales de désigner un “Monsieur Prix de transfert“, pour être le vis-à-vis de l’administration fiscale.
Pour sa part, l’administration fiscale tunisienne est en train de former les formateurs lesquels, à leur tour, encadreront les vérificateurs. A l’heure actuelle, on considère que 4 groupes tunisiens pourraient être concernés par BEPS.
Rassurer les opérateurs contre l’insécurité fiscale
L’adhésion de la Tunisie à BEPS entraîne la mise à jour des autres conventions de non-imposition. L’opération serait en cours, à l’heure actuelle. Le plus important est que les opérateurs soient apaisés contre les retournements brusques et impondérables en matière de fiscalité. L’insécurité fiscale fait fuir les IDE et il faut bien en tenir compte.
Pareil pour les pays, les dispositions de la charte BEPS les protègent contre l’évasion des profits et les apaiseraient quant à leurs rentrées fiscales.
Les prix de transferts, il est vrai, sont un élément dont les IDE tiennent compte mais il n’est pas un élément fondamental en matière d’attractivité pour un site national. En adoptant BEPS, on ne fait que se conformer, or le plus important est d’innover en matière d’avantages comparatifs. Qu’on se le dise bien.