Depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, et même bien avant -l’insurrection de Redeyef en 2008 entre autres-, les habitants du bassin minier ont constamment dénoncé la répartition inéquitable des recettes du phosphate et les répercussions négatives de l’exploitation de cette ressource sur leur santé.
Pour décrire la précarité de leur situation sociale, les communautés de la région de Gafsa adorent répéter “On vit sur de l’or. Mais nous n’en récoltons que la maladie et la pauvreté“. Ou encore “les trains remplis de phosphate quittent le bassin minier mais les trains de développement reviennent vides“.
Le paradoxe d’un bassin minier si pauvre si riche
Conscients du fait d’avoir été traités par le pouvoir central comme des Tunisiens de seconde zone, les Gafsiens ont revendiqué, en priorité, le plein emploi pour leurs enfants dans les mines. Au prix de mouvements sociaux dramatiques, ils ont obtenu plus ou moins gain de cause en amenant le gouvernement à tolérer, depuis 2011, les arrêts de production, les grèves, les sit-in, les coupures de lignes ferroviaires…
Mieux, pour acheter la paix sociale dans cette région, le gouvernement est allé jusqu’à créer des sociétés d’environnement génératrices d’“emplois fictifs“. Entendre par-là que les ouvriers et agents qui y sont inscrits reçoivent un salaire mensuel régulier sans fournir un quelconque travail, une sorte d’indemnité de chômage.
Résultat : de nouveaux milliers de personnes ont été recrutées par ces sociétés. D’après des statistiques officielles, l’effectif de tout le secteur phosphatier (Compagnie des phosphates de Gafsa et Groupe chimique) est passé de 14 600 en 2010 à 25 758 en 2017. La plupart des emplois ont été créés à fonds perdus dans des sociétés qui devraient en principe améliorer, depuis 2013, la qualité de l’environnement.
Pis, ces emplois n’ont généré ni une amélioration de la productivité ni un accroissement de la production dont la moyenne annuelle n’a pas dépassé, depuis 2011, les 3 millions de tonnes contre plus de 8 millions de tonnes avant 2010.
Toujours à propos de soutenabilité sociale, il y a lieu de faire une mention spéciale pour l’extrême précarité que connaissent particulièrement les habitants des villes de Redeyef et d’Oumlarès et pour la mauvaise gestion des montants dépensés par la CPG au titre de la Responsabilité sociétale au profit des communautés du bassin minier.
Le phosphate ne génère que maladie et pauvreté
La non-acceptabilité sociale est également perceptible à travers la dénonciation de l’impact négatif de l’extraction et de l’exploitation du phosphate sur une population à la situation sociale fragile qui se voit souffrir de l’apparition de diverses maladies.
Une étude de terrain menée à cette fin par l’ONG Younga Solidaire en partenariat avec le programme Soyons Actifs / Soyons Actives, a montré l’exposition des communautés du bassin à divers risques de santé. Les indices en sont, selon l’étude « un taux de mortalité dépassant la moyenne nationale et un taux de maladie de cancer plus élevé ».
Il est utile de rappeler, à ce sujet, comment le phosphate et sa transformation sont extrêmement polluants et donc nuisibles à la santé de l’homme.
Selon les experts « les déchets solides rejetés (phosphogypse et autres) contiennent souvent des substances qui sont directement dangereuses ou peuvent le devenir pendant le stockage. La contamination est due essentiellement au phénomène de lessivage par les eaux de pluie, qui met en mouvement les substances polluantes pour les transporter du déchet solide vers le milieu naturel. Ces substances vont migrer avec l’eau qui traverse le stock de déchets pour passer finalement à la nappe phréatique et se mélanger avec les eaux souterraines. Dès leur arrivée dans la nappe phréatique, les polluants commencent une migration qui provoque l’extension progressive de la zone affectée. Les dimensions des zones polluées peuvent devenir très importantes et dépasser plusieurs fois celles du site de stockage (…).
Les eaux superficielles peuvent aussi subir une contamination au cours de leur ruissellement sur les pentes et les limites des stocks de déchets. Ces eaux continuent leur cheminement dans les réseaux hydrographiques et contribuent ainsi à la propagation de la pollution».
Par-delà ce tableau catastrophique, la question qui doit se poser dès lors est de savoir si l’industrie du phosphate a encore un avenir en Tunisie. C’est l’objet de notre prochain et dernier article.
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