Le gouvernement tunisien s’est encore une fois trouvé, pour 2019, dans l’obligation de recourir à une Loi de Finances complémentaire (LFC) pour corriger les dérives budgétaires par rapport à la loi de finances initiale. “Un cercle vicieux financièrement inquiétant et économiquement improductif”, dénonce l’expert-comptable Walid Ben Salah.
Dans sa lecture du projet de la LFC 2019, Ben Salah indique que “les dépenses de l’Etat ont augmenté de 2,260 milliards de dinars dans la LFC 2019 par rapport à la loi de finances initiale, passant de 40,861 milliards de dinars à 43,121 milliards de dinars”.
“Compte tenu des résultats mis à jour du budget 2019, les dépenses de l’Etat augmenterait de 14,2% par rapport à celles réalisées en 2018 (37,750 milliards de dinars), contre une augmentation du PIB au prix courant de l’ordre de 8,3% uniquement. C’est-à-dire que ces dépenses ont augmenté à un rythme beaucoup plus soutenu que celui de la création de richesses nationales, malgré un contexte économique et financier très difficile”, explique-t-il.
“Ces écarts proviennent essentiellement d’une augmentation de la masse salariale de 649 millions de dinars (MDT) suite aux accords conclus avec l’UGTT au début de 2019 après l’adoption de la LF et d’une hausse de la subvention du carburant de 438 MDT en raison de la non application de la totalité des ajustements de prix prévus par la LF initiale et du retard d’entrée en exploitation du champ pétrolier et gazier Nawara”.
“Ces écarts sont dus aussi à l’augmentation inexpliquée et anormale du service de la dette de 567 MDT. S’agit-il d’erreur ou d’oubli inadmissible commis dès le départ ?”, s’est-il interrogé.
“Il s’agit également des interventions à la CNRPS, estimées à 324 MDT, de la Prime de 200 MDT de la rentrée scolaire, des 100 MDT supplémentaires alloués au développement et d’un montant supplémentaire de 43 MDT attribué à l’ISIE”.
Que faire pour combler les écarts ?
“Pour combler ces écarts, le gouvernement compte sur une amélioration des ressources budgétaires. Une amélioration due à une augmentation des impôts directs de 2,413 milliards de dinars (augmentations salariales + effort supplémentaire de recouvrement), des revenus de participations de 367 MDT (dividendes de la Banque centrale principalement) et d’une augmentation nette des emprunts extérieurs de 10 MDT. Il s’agit aussi de 40 MDT de dons extérieurs et de 144 MDT d’emprunts intérieurs”.
Ben Salah a, par ailleurs, critiqué la mauvaise estimation du taux de croissance avec un écart de réalisation dépassant la moitié (de 3,1% (LF) à 1,4% (LFC)). “Une croissance chétive, sensiblement inférieure aux prévisions initiales et aux moyennes mondiales et régionales”.
La loi de Finances complémentaire 2019 table aussi sur une amélioration du déficit budgétaire passant de -3,9% dans le budget initial à -3,5%. Une amélioration réalisée grâce à des retards considérables de règlement des fournisseurs de l’Etat aussi bien privés que publics et des crédits d’impôts de plus en plus importants non restitués aux entreprises. Ce qui met plusieurs opérateurs économiques en difficultés financières flagrantes, avec des impayés en évolution dans le secteur bancaire et financier, dans un contexte de manque de liquidité”.
“Ce déficit budgétaire de 3,5% ne tient pas compte du déficit des caisses sociales estimé à 2 milliard de dinars, de quoi le porter à 5,2%”.
“La LFC prévoit aussi une aggravation du niveau d’endettement rapporté au PIB de 70,9% (LF 2019) à 75,1% (LFC 2019). Ce taux ne tient pas compte non plus de l’endettement des entreprises publiques (liées directement à l’Etat) estimé en 2018 par Moody’s, à 12,5% du PIB, de quoi dépasser 87% de taux d’endettement”, a encore souligné Ben Salah.
Une loi de Finances complémentaire sans mesures exceptionnelles
De son côté, l’économiste Ezzedine saïdane indique, dans une déclaration à l’agence TAP, qu’”une loi de finances complémentaire devrait être l’exception. Elle devrait aussi être justifiée par des phénomènes exceptionnels. Avoir des lois de finances complémentaires toutes les années est une pratique politiquement incorrecte”
Toujours selon lui “une telle pratique diminue sensiblement la crédibilité de cette loi si importante et affecte la crédibilité du gouvernement”.
“Elle pose aussi un problème de confiance entre le gouvernement et le parlement. Le gouvernement obtient ainsi le vote d’un budget qu’il sait provisoire et approximative et compte sur le fait que la marge de discussion et de négociation du parlement au niveau de la loi des finances complémentaire est très réduite, pour ne pas dire inexistante. C’est donc une manière de mettre le parlement devant le fait accompli. Il faut ajouter à cela que les moyens de contrôle des députés sont très limités”
L’ancien ministre des Finances, Hakim Ben Hammouda, pense, lui, que “c’est anormal que nous ayons des lois de finances complémentaires tous les ans. Dans d’autres pays, on n’a recours à cet exercice que dans des situations de cas de force majeure. Dans notre pays, l’exception est devenue la règle. Ceci est le résultat de la faiblesse de nos capacités de prévision et surtout des hypothèses irréalistes que nous formulons chaque année”.
Pour l’expert bancaire et financier résident à Paris, Achraf Ayadi, “des lois des finances complémentaires à succession interrogent tout analyste, tunisien ou étranger, sur la crédibilité des gouvernements et de la politique économique qui y sont l’origine. Pour un pays endetté comme le notre, la “crédibilité” a des conséquences en termes de rating souverain et de taux d’intérêts applicables au service de la dette”.