Des événements du printemps arabe qui se sont déclenchés à partir de la Tunisie en 2011, s’est inspirée la romancière italienne Francesca Bellino dans un roman de la littérature italophone “Sul corno del rinoceronte” (Sur la Corne de Rhinocéros), un road roman à cheval entre Orient et Occident.
Francesca Bellino est l’hôte des “Journées du Roman Italien” qu’organise la Maison du Roman, les 21 et 22 novembre à la Cité de la Culture. La présentation de cet opus -de 247 pages et publié en 2014 auprès de “L’Asino d’Oro”-, a eu lieu jeudi à la salle Sophie El Golli, dans le cadre d’une rencontre-débat animée par son compatriote, le traducteur Francesco Leggio.
La romancière, initialement journaliste, livre quelques éléments du parcours du duo des protagonistes de son roman, sans trop en dévoiler.
Le roman se déroule dans la période de fin 2010 début 2011, dans une Tunisie en pleine agitation sociale et politique. Les événements sont centrés autour de deux personnages aux chemins croisés, l’Italienne Maria et la Tunisienne Meryam.
Les deux jeunes femmes amies ont fait le chemin de la migration à la recherche de l’autre. Maria, professeure d’anthropologie culturelle, est partie en Tunisie à la recherche d’une amie à elle. Quant à Meryam, elle est partie vers l’autre rive à la recherche de son amoureux italien.
Le roman dépeint le choc civilisationnel subi par chacune des deux protagonistes. Des éléments narratifs qui laissent présager une situation de choc pour Maria qui se heurte au cadre assez conservateur de la ville de Kairouan, d’autant plus que c’est son premier voyage dans un pays arabe. Idem pour Meryam qui n’arrive pas à s’adapter à son nouvel environnement italien.
Autour de la construction du roman, Francesca Bellino évoque des éléments narratifs sur trois niveaux temporels oscillant entre présent et passé. Le temporel et le spatial se croisent dans ce genre du “roman de la route” où les événements s’entremêlent autour de faits d’actualité sur un fond nourri de flash-back.
La quête de la liberté serait le fil conducteur que la romancière adopte pour tramer les histoires juxtaposées des deux amies. Le cadre narratif fait que le contexte historique n’est qu’un prétexte pour évoquer des questions en lien avec la complexité de la psychologie humaine dans un cadre de révolution.
La romancière n’a certes pas vécu toute l’atmosphère dans la Tunisie à l’aube de la révolution, mais elle estime avoir été touchée par cet élan révolutionnaire qui l’avait accompagné. Les éléments narratifs pénètrent dans l’univers intérieur de chacun des deux personnages assez révoltés contre un état de dictature psychologique qu’elles finissent par renverser.
La date constitue une grande symbolique en lien avec la révolution et les événements en Tunisie. Le parcours des deux personnages renvoie à une métaphore qui trouve ses racines dans les événements de décembre 2010 et janvier 2011.
Le déclenchement effectif de la révolution marque le début de la libération autant pour Meryam que pour Maria. Au delà de la simple émancipation chez les deux jeunes femmes, la libération est aussi celle de peuples.
Le roman lève, en quelque sorte, le voile sur le mensonge du modèle politique et sociétal italien et européen en général.
“Sur la Corne du Rhinocéros” serait le portrait de la Tunisie avant la révolution mais aussi celui de l’Italie d’aujourd’hui avec toutes les conséquences qu’elle est en train de subir en raison des migrations dans une méditerranée devenue un cimetière à ciel ouvert. La ligne narrative est guidée par une tentative de la romancière d’éviter l’approche stéréotypée autour du phénomène de la migration et ses méfaits sur la société.
Les personnages de Meryam et Maria présentent des traits de similitude avec la romancière, elle aussi assez curieuse de connaitre l’autre et sa culture sans que cela soit “un roman autobiographique ou sociologique”, assure Bellino.
Elle parle d’un roman qui serait “un pont culturel entre la Tunisie et l’Italie” porteur d’un message de premier plan autour de la démocratie naissance d’un pays débarrassé de la dictature.
Dans le titre de son roman, elle dit avoir emprunté l’appellation “Rhinocéros” pour symboliser le régime totalitaire, sous Ben Ali en Tunisie, qui serait le cas dans tout autre pays.
Une copie arabe de “La Corne du Rhinocéros” est en cours de réalisation et paraîtra vers le début de 2020, chez “Dar Al-Moutawasset”, une maison d’édition arabe basée en Italie.
Il s’agit de la seconde publication de Bellino qui a déjà publié un premier roman en Italien sur “Le chant libre des stars de la méditerranée” dans lequel elle trace le parcours d’icônes disparues, dont l’Egyptienne Om Khalthoum et les Tunisiennes Saliha et Habiba M’sika.