L’économiste tunisien et professeur des universités, Mahmoud Sami Nabi a proposé, dans son ouvrage “Making the Tunisian resurgence”, plusieurs pistes à explorer pour financer de nouveaux modèles de développement et donner plus de possibilités de manœuvre à l’Etat. Il a évoqué, dans une interview à l’agence TAP, 5 mécanismes de financement alternatifs, parmi d’autres.
Un fonds de philanthropie
La première piste proposée par l’auteur consiste à faire appel aux obligations à impact social. L’idée est de chercher des financements auprès d’investisseurs sensibles à des causes sociales spécifiques et “qui ne sont pas forcément attirés par des rémunérations importantes mais par les causes elles-mêmes”.
A cet égard, “les fonds de philanthropie sont très utiles à mobiliser”. Ils sont connus, aujourd’hui, sous l’appellation “venture phylantropy”. “Les obligations à impact social sont des instruments financiers qui ont été lancés au Royaume-Uni en 2010 pour financer des programmes sociaux et ont par la suite été appliqués dans plusieurs pays développés”, témoigne Nabi.
Une Instance indépendante de solidarité sociale
En Tunisie, il est aussi souhaitable, selon l’économiste, de créer une Instance indépendante de solidarité sociale, sous le contrôle du marché financier. Cette instance, qui pourrait structurer ce troisième secteur de l’économie, devrait être redevable au parlement et contrôlée par le conseil du marché financier. Le terrain est probablement favorable à ce genre de structure en Tunisie, car, plusieurs dons sont faits aux associations sans qu’il y ait l’impact économique souhaitable faute d’une bonne canalisation des dons reçus vers des projets concrets.
“Cette instance devra lever des fonds pour réaliser des projets de développement socioéconomiques en mobilisant des financements auprès d’investisseurs et de donateurs sensibles à des causes spécifiques (microprojets, aides aux familles nécessiteuses, logements sociaux, transport des écoliers et des femmes rurales, soins de santé, réhabilitation des écoles et des centres de soins, etc. ).
Des “Diaspora investment bonds”
Nabi suggère également, d’exploiter la piste des obligations destinées à la diaspora “Diaspora investment bond”. “C’est vrai que l’expérience de l’emprunt national a été un échec puisque l’Etat a été contraint de demander aux banques de souscrire, mais ce que je propose c’est de gérer autrement ce mécanisme en proposant préalablement à la diaspora des projets concrets qu’ils seront motivés à les soutenir, dans leurs villes natales par exemple”, explique-t-il.
D’après lui, l’idéal serait de recevoir des financements en devises de tunisiens qui acceptent d’être remboursés en dinars tunisiens, au taux de change spot futur.
Cette économie des réserves en devises est également possible en réactivant la coopération entre banques centrales à l’échelle maghrébine. “Dans le livre, on propose un mécanisme financier régional, conçu avec des collègues au sein de la Banque islamique de développement (BID) et que l’on propose d’appliquer à l’échelle du Maghreb pour financer le commerce et l’investissement”.
Orienter la politique d’assouplissement monétaire de la BCT vers des activités ciblées
L’autre idée défendue dans le livre est “d’orienter la politique d’assouplissement monétaire de la BCT vers des activités économiques ciblées pour stimuler l’investissement et limiter la croissance de la masse monétaire profitant aux dépenses de consommation (via le financement bancaire)”.
“Il ne s’agit pas de faire fonctionner la planche à billet comme on me l’a souvent critiqué” se défend l’auteur, mais d’amener des initiatives à travers les mécanismes du marché monétaire, pour financer l’investissement et le commerce extérieur en profitant des technologies numériques pour une meilleure traçabilité de la circulation de la masse monétaire.
Titrisation des revenus futurs
Une autre piste évoquée par l’économiste, celle de la titrisation des revenus futurs qui pourrait être exploitée dans plusieurs domaines. Il s’agit d’échanger des revenus futurs confirmés (comme le gazoduc algérien), contre un financement immédiat par les investisseurs. La titrisation des revenus futurs pourrait être exploitée dans le cadre d’un holding public.
Nabi cite, dans ce contexte, l’exemple de “Tamasek Holding”, établi par Singapour dans les années soixante, comme une solution de compromis face à la privatisation des entreprises publiques.
L’Etat pourrait émettre aussi des certificats d’investissement sous forme de sukuk d’infrastructure (un véhicule de partenariat public privé) pour attirer des investisseurs internationaux intéressés par les grands projets d’infrastructures (solaire, centres hospitaliers, zones industrielles, ports…).