Après l’ouverture, en 2001, du premier hypermarché sous l’enseigne Carrefour à Tunis, et en 2005, d’un autre sous l’enseigne Géant sur l’autoroute de Bizerte, avec comme corollaire la création dans le sillage de ces deux hypermarchés de dizaines de grandes surfaces de proximité, la grande distribution, jusque-là à dominante alimentaire, est en plein essor, particulièrement dans les grandes villes du littoral.
Pour réglementer cette activité, le ministère du Commerce a mis au point un plan directeur. Ce plan prévoit la création de quatre à cinq hypermarchés dont deux à trois à Tunis, un à Sousse et un autre à Sfax. Ce plan, qui date de 2008, a été fortement critiqué après le soulèvement du 14 janvier 2011. Ses détracteurs lui reprochent trois lacunes.
Un plan directeur pour réglementer le secteur
La première réside dans le fait qu’il ne prévoit pas d’implantation d’hypermarchés dans les régions intérieures. C’est ce qui avait amené, au lendemain de cette révolte, le ministre du Tourisme, du Commerce et de l’Artisanat de l’époque, Mehdi Haouas, à recommander, dans une feuille de route sur l’activité commerciale, à son successeur d’autoriser l’implantation d’hypermarchés en dehors de la capitale, particulièrement dans les villes localisées à la frontière sud et nord-ouest du pays.
Il propose la création d’hypermarchés et de supermarchés à Sfax, à Kairouan, au Kef, à Jendouba, à Ben Guerdane… Cette recommandation ne manque pas d’enjeux dans la mesure où des experts en développement multisectoriel sont unanimes pour percevoir, dans l’implantation d’hypermarchés en dehors de Tunis, une opportunité propre à stimuler l’activité économique dans les régions frontalières et à y engager une dynamique génératrice d’emplois propre à sédentariser les communautés de ces contrées.
L’objectif déclaré est «d’améliorer le service aux consommateurs mais aussi de stimuler la compétition dans l’approvisionnement des détaillants». L’objectif non dit est de lutter contre la contrebande et de réduire l’impact négatif d’un commerce informel prospère à la frontière.
La grande distribution ne crée pas de la valeur
La deuxième lacune est d’ordre stratégique. Les économistes de la centrale syndicale (UGTT) et des partis de gauche, particulièrement du Front populaire, ont constamment reproché au gouvernement d’avoir encouragé, par le biais d’institutions d’exonérations fiscales et financières, la grande distribution française à s’installer en Tunisie alors que ce type d’activité commerciale est réputé pour ne pas générer de l’emploi permanent et ne créer que des emplois précaires.
Interpellé sur ce sujet par l’hebdomadaire d’expression arabe “Assabah Al Ousboui“, l’universitaire économiste Chawki Abid estime que la grande distribution présente le désavantage de ne pas créer de la valeur ajoutée, de créer des emplois précaires et de pomper les financements disponibles obtenus parfois grâce à l’endettement, et ce aux dépens d’autres secteurs à forte employabilité comme l’industrie et l’agriculture.
La troisième lacune est perceptible à travers la tendance de la grande distribution étrangère à importer des produits de consommation superflus et à contribuer à l’aggravation du déficit commercial (plus de 15% du PIB actuellement).
Réagissant à ceux qui pensent que les grandes surfaces sont à l’origine des importations anarchiques et sa conséquence directe, l’aggravation du déficit commercial, Hédi Baccour, président de la Chambre syndicale des grandes surfaces, rappelle que la grande distribution n’importe que 12,5% des produits qu’elle vend, donc, 87,5% sont d’origine locale.
Pour trancher cette question, dans un souci de transparence, il serait intéressant que la Banque centrale de Tunisie prenne l’initiative de publier régulièrement des bilans devises annuels des hypermarchés français (entrée et sortie de devises).
Par-delà ces lacunes, il faut reconnaître que l’avènement de la grande distribution en Tunisie a été accompagné par une grande moralisation de l’activité commerciale.
Les grands acteurs du secteur
Cela pour dire qu’au regard des dérapages constatées depuis la révolte du 14 janvier 2011 jusqu’à ce jour (non respect généralisé des normes d’hygiène et de production), la grande distribution, mieux encadrée, ne peut qu’être encouragée et généralisée à tout le pays.
Et pour être complet sur ce sujet, la grande distribution en Tunisie est assurée, actuellement, par quatre groupes basés pour la plupart à Tunis : Mabrouk (Monoprix, Géant)…), Chaïbi (Carrefour et Carrefour market), le tandem Poulina-Bayahi (Chaîne Magasin général…) et le promoteur de Mall Of Sousse, Koraich Ben Salem.
Parallèlement à ces pôles, des centres commerciaux, de taille variable, se sont développés dans le Grand Tunis, notamment dans des zones à fort pouvoir d’achat. Citons le Palmarium à Tunis, le centre Zéphyr à La Marsa, le centre Makni à El Manar, le centre Tej Marhaba à Sousse…
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