Comme désormais d’usage dans notre pays, les responsables se défilent, la faute revient toujours aux autres. Le ministre de l’Equipement, qui aurait dû démissionner juste après l’accident dramatique de Amdoun, comme l’a fait le gouverneur de Béja, s’est empressé de déclarer que l’accident ou plutôt le massacre où ont été prises les vies de 27 jeunes est dû à une erreur humaine ! Rien que ça ! Tragi-comique !
Lors du CMR tenu le 2 décembre à La Kasbah, aucune allusion n’a été faite à cette infrastructure approximative. Les mesures prises ont concerné la situation actuelle du transport occasionnel et organisation des excursions, la publication d’un cahier de charge pour le transport touristique et l’introduction de nouvelles dispositions pour l’octroi des permis de conduire et l’institutionnalisation d’un certificat de qualification professionnelle obligatoire. En plus du permis de conduire du type requis, pour les conducteurs de poids lourds et des autobus.
Le réexamen de la législation sur l’inspection technique des véhicules afin de renforcer le contrôle des équipements de sécurité des véhicules.
Comme si la Tunisie qui ploie sous le poids des lois avait besoin de nouvelles lois alors qu’il aurait tout juste suffi d’appliquer celles qui existent. Mais… il faut bien imputer l’incapacité de l’Etat à appliquer les lois à leur absence plutôt qu’à son impuissance à les mettre en œuvre.
Corruption… la petite et la grande
La Tunisie ploie sous le poids de la petite et de la grande corruption. Les petits commis de l’Etat accordent autorisations et permis de conduire dans le mépris total de la vie d’autrui et des lois en vigueur, et font des visites techniques un commerce juteux. Ceux censés donner l’exemple deviennent les premiers corrompus du pays. Y en a même parmi eux qui sont aujourd’hui protégés par l’immunité parlementaire. C’est dire !
Nouvelles loi ? Non ! La Tunisie a plutôt besoin de politiques qui ne fassent pas de leurs partis des sources d’enrichissement illicite rackettant opérateurs privés et investisseurs en mal de sécurité et de stabilité ayant perdu foi en la justice et à la recherche de protecteurs.
La Tunisie malade de ses hôpitaux et de ses infrastructures
La Tunisie a besoin d’un gouvernement qui ne prend pas des décisions quand surviennent des tragédies. Mais c’est devenu monnaie courante !
En mars 2019, quinze (15) bébés sont morts au service néonatal de la maternité Wassila Bourguiba ! Juste après, on a décrété les assises de la santé ! Qu’y a-t-il de changé depuis ? Les hôpitaux et les établissements publics de santé ne s’en portent pas mieux. Zeineb Turki, médecin et membre du parti Afek, avait déclaré à l’époque au magazine Jeune Afrique que le drame était inéluctable car «dans une lettre ouverte adressée en 2017 au gouvernement, plus de 380 médecins et 70 professeurs agrégés avaient tiré la sonnette d’alarme”.
Depuis, aucune mesure n’a été prise. La masse salariale siphonne le budget. Cependant, pour les défaillances, il ne s’agit pas d’un problème de budget mais d’orientation et de gouvernance, sachant que le secteur de la santé publique est gangrené par la corruption».
Et ceci n’est pas valable uniquement pour le secteur de la santé mais partout !
Amdoun restera longtemps dans la mémoire des Tunisiens car ce drame illustre clairement la déliquescence de l’Etat. Pouvoirs locaux et centraux, conscients de la dangerosité d’une route qui n’en est pas à ses premières victimes, auraient dû prendre les mesures adéquates pour limiter les dégâts. En dotant la route, non pas des barrières, mais de glissières de sécurité dotées d’un dispositif de retenue souple se déformant lors d’un choc et diminuant les dommages au véhicule sortant de la route ou pourquoi pas en décrétant la route impraticable et impropre au transport public.
Une logique salariale suicidaire…
Notre classe dirigeante est, pour notre grand malheur, impuissante. Par manque de moyens ? D’autorité ? Ou parce que plus préoccupée du partage du pouvoir et de la préservation des postes que du bien-être et la sécurité des Tunisiens ?
Lorsqu’un Etat entre dans une logique d’augmentations «anarchiques» des salaires pour rester en place et éviter de gérer des conflits sociaux.
Lorsqu’il ne donne pas l’exemple en matière de gouvernance, il cède au diktat des syndicats non parce qu’ils sont obtus et antipatriotes mais parce que son manque de crédibilité ne lui permet pas de négocier en Etat responsable et non en Etat coupable.
Et quand il cède alors que la croissance est pratiquement nulle, que ses caisses sont vides et que les bailleurs de fonds n’ont plus confiance en sa capacité à résoudre les problèmes complexes et difficiles du pays, il puise dans le titre II pour honorer ses engagements envers les syndicats.
Un Etat faible et insouciant…
Quand il puise dans le Titre II, pour satisfaire aux impératifs de la masse salariale se privant de moyens pour assurer les dépenses de développement et d’investissements publics servant, entre autres, à la maintenance des infrastructures de base et aux besoins en équipements des établissements publics, un Etat ne peut prétendre avoir la capacité d’assurer le minimum de confort et de sécurité aux enfants du pays. Il devient tristement l’Etat qui compte les morts plutôt que celui qui compte les réussites !
Ces jeunes -pleins de vie qui ont disparu un beau dimanche du mois de décembre 2019- ont emporté dans leur sillage la joie de leurs parents, familles et amis et ont enfoncé tout un peuple dans la déprime.
Un peuple qui ne voit plus le bout du tunnel face à une classe politique vorace, incompétente et opportuniste. Un peuple qui ne croit plus en rien, ni en personne et qui attend une délivrance dont il ignore les acteurs ou la provenance.
Imams convertis en politiciens
Et au train où vont les choses, elle ne viendra certainement pas d’un parti vainqueur des élections dont les choix émanent d’un majliss choura composés majoritairement «d’imams» convertis en politiciens, de partis politiques vénaux, ou d’un président dont les promesses n’engagent que lui parce que sans réelles prérogatives et dont l’historique et les agissements de certains membres du cabinet ne sont pas très rassurants pour le pays et pour le peuple.
Les mots du désespoir
Pour terminer ce discours funèbre rendu par Faten Abdelkéfi, fondatrice de l’Association “Be Tounssi“ aux disparus que nous essayons de traduire fidèlement du dialecte tunisien :
«Que de temps passé à ramasser des sous pour acheter les tickets ! Que de dinars piochés dans les porte-monnaie des mamans pour acheter cigarettes et de quoi manger ! Que de tickets lights pour charger les portables et publier photos et selfies.
Que de brushing et stories pour orner Instagram ! Que de messages envoyés et échangés ! Mon rouge à lèvres est chez toi ? Tu gardes encore mon pull bleu ?
Des heures passées sans sommeil attendant que l’aube se lève pour voir s’il allait faire beau et choisir que porter ! Que de sourires ! Que de rires ! Que de murmures ! Que de regards secrets ! Que de baisers volés ! Que d’étreintes ! Et combien d’appels de papa et maman ! Bien arrivés ? Et quel effroi, quelle frayeur, quel désarroi !
Combien de prières, de chahada avant la mort ! Que de joie prise, ravie, que de rêves volés ! Que de souffle étouffé ! Que de cœurs brisés ! Que de sang figé ! Que de souffrance, de cris, d’impuissance et de désespoir !
Que de parents éplorés, affligés et accablés ! Que de tombes à creuser ! Et toi mon cœur, comment pourrais-tu supporter et toi ma Tunisie jusqu’à quand supporteras-tu ?».
Y a-t-il d’autres mots pour exprimer tout notre désespoir ?
Amel Belhadj Ali