“Les pêcheurs des côtes du sud-est (Zarzis, Gabès et Sfax) se retrouvent enserrés dans un véritable étau”, ce cri d’alarme est lancé par Sophie-Anne Bisiaux (Migreurop) et Marco Jonville (FTDES) qui pointent, dans un article publié par le Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux, les obstacles énormes auxquels sont confrontés ces pêcheurs.
Ces derniers sont, en effet, “pris entre la raréfaction des ressources halieutiques, les menaces à leur sécurité, la réduction de leur zone de pêche et la criminalisation du sauvetage des migrants en mer”.
Depuis quelques années, “les rejets de déchets plastiques envahissent les rives et encombrent les zones où travaillent les pêcheurs. Faute d’un système opérationnel de collecte des ordures ménagères et de sensibilisation aux risques liés à la pollution des eaux par le plastique, ces déchets s’entassent dans les canaux de la ville, avant de se disperser dans la mer”, lit-on encore dans cet article, “Aux déchets ménagers, s’ajoute les rejets industriels. L’exploitation du sel dans cette région, en plus de saliniser les terres agricoles, rejette des produits de traitement du sel dans la mer. De plus, les eaux zarzisiennes sont polluées par les rejets du Groupe Chimique Tunisien, notamment le phosphogypse, et par les eaux usées non traitées par l’ONAS ” déplorent les auteurs de cet article.
“La contamination des eaux de mer par ces déchets rompt ainsi un équilibre essentiel à la survie de la faune et la flore maritimes. La reproduction marine devient ainsi, difficile si ce n’est impossible, entraînant la disparition de plusieurs espèces de poissons, notamment les espèces cartilagineuses” s’inquiètent-ils encore.
D’après, Bisiaux et Jonville, les changements climatiques y sont aussi, pour quelque chose. En effet, ” les éponges souffrent du réchauffement climatique et présentent depuis quelques années des signes de maladies, au désespoir des familles qui vivent de leur commerce “.
“L’accumulation des pollutions a fini par asphyxier toute forme de vie dans les eaux proches de Djerba et Zarzis et notamment dans le golfe quasi fermé de Boughrara. Les pêcheurs estiment que 90% des poissons et mollusques auraient disparu en dix ou vingt ans, privant beaucoup de personnes, d’un revenu stable. Alors que les pêcheurs de Gabès reçoivent des compensations à cause de la pollution et viennent pêcher sur les côtes de Zarzis, les pêcheurs zarzisiens ne reçoivent rien alors qu’ils sont aussi, affectés “.
Les côtes sfaxiennes face à l’invasion de micro-algues
“Sur les côtes sfaxiennes, c’est un autre phénomène qui s’est produit deux fois, cette année, en juin puis en novembre, notamment à Jbeniana : la mer est devenue rouge, entraînant une forte mortalité de poissons. Le phénomène a été expliqué par la présence de micro-algues privant la mer de son oxygène, mais la prolifération de ces micro-algues n’a pas été expliquée” s’étonnent les auteurs de l’article.
Toutefois, “des phénomènes similaires sont connus à d’autres endroits de la planète, notamment dans le golfe du Mexique où la prolifération des algues est due à l’excès d’engrais phosphaté et azoté qui se retrouvent dans la mer, ou du rejet d’eaux usées, qui produisent des concentrations trop importantes de matières organiques. Il est donc, fort probable que les rejets concentrés en phosphate du GCT à Gabès et Sfax, d’autres rejets industriels et ménagers et/ou des rejets d’engrais agricoles par les oueds, soient à l’origine du phénomène “.
Le coût du Daesh de la mer
Les auteurs de l’article épinglent aussi, la prolifération de certaines espèces invasives, telles que le crabe bleu, surnommé “Daesh” par les pêcheurs de la région du fait de son potentiel invasif et destructeur. Cette espèce, apparue fin 2014 dans le golfe de Gabès, a rapidement proliféré au large des côtes, se nourrissant des poissons.
La voracité du crabe bleu a aggravé les problèmes économiques des pêcheurs. Bien qu’un marché à l’export de cette espèce soit en plein développement en direction de l’Asie et du Golfe, les habitants de Zarzis qui vivent de la pêche artisanale ne s’y retrouvent pas, étant donné que le prix de son kilo ne dépasse pas les 2 dinars.
Les pêcheurs, confrontés à de graves problèmes de sécurité
Sur le plan sécuritaire, “les pêcheurs sont confrontés à de graves problèmes de sécurité dans les eaux où ils naviguent, notamment avec la pluralité des cas d’agressions, de saisies de bateaux, de menaces et prises d’otages, par les groupes armés, et parmi eux, les gardes côtes officiels libyens, équipés par les programmes européens de lutte contre la migration non règlementaire”, avertissent les auteurs.
Les pêcheurs “dénoncent l’absence de réponse ferme des autorités tunisiennes, contre ces agressions et se font à difficilement à l’idée qu’à chaque départ en mer, leur vie puisse être menacée.
Ainsi, aucune tolérance n’existe pour les pêcheurs tunisiens qui s’aventurent en dehors de leur zone, alors que les bateaux de pêche libyens ne se gênent pas, pour venir exploiter les eaux tunisiennes”.
Par ailleurs, d’après cet article sur les pêcheurs de Zarzis, l’”Italie voudrait contrôler les pêcheurs tunisiens et encore limiter la zone dans laquelle ils peuvent pêcher”.
Entre les eaux polluées, les problèmes économiques, le fléau de Daesh, les poissons qui ne se reproduisent plus, les éponges malades, les attaques libyennes, les pressions italiennes et européennes, être un pêcheur en Tunisie, ” ce n’est plus une vie “.