Participera, participera pas ? Une question devenue existentielle sur laquelle Mohamed Abbou, président du parti Tayaar, n’est pas fixé à ce jour, du moins officiellement. Il s’agit du parti « Tayaar dimocrati » (Courant démocrate) allié au mouvement « Al Chaab », dont les négociations avec Habib Jemli, l’élu d’Ennahdha et nouveau chef de l’exécutif, à propos de la formation gouvernementale, sont gelées. Ces négociations chancelantes menaceraient-elles la composition du nouveau gouvernement alors que le pays traverse l’une des pires phases de son histoire ?
Entretien avec un militant politique de longue date, connu pour la clarté de ses positions, qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille et qui ambitionne de rétablir l’Etat de droit et la primauté de la loi.
WMC: Votre parti est réputé pour la virulence de ses propos et des fois même l’hostilité affichée par nombre de ses militants à l’encontre des dirigeants de l’ancien régime et des acteurs présumés de la corruption dans notre pays. Ne pensez-vous pas que 10 ans d’hostilité, c’est trop dans un pays fragilisé de toutes parts ? Ne croyez-vous pas que personne ne peut mener un projet sociétal avec pour seul fer de lance la lutte contre la corruption ?
Mohamed Abbou: Je voudrais préciser que notre discours politique a toujours été rationnel et logique. Que nos déclarations aient dégagé juste après la révolution ce que, vous, vous appelez hostilité, peut se comprendre. Nous avions entamé une transition politique difficile et beaucoup de forces politiques dont ceux qui sont aujourd’hui même au pouvoir étaient très agissantes.
En situation de faiblesse, nous avions essayé de faire du mieux que nous pouvions pour nous faire entendre, et ce même par un discours que les autres pouvaient considérer comme agressif. Je pense ne jamais l’avoir été moi-même. On nous a toujours accusés d’être un parti pro-Ennahdha. Notre attitude par rapport à ce parti a-t-elle changé ? Non.
Les gens se trompent sur notre compte. Nous avons toujours été critiques vis-à-vis d’Ennahdha, mais il est normal, lorsque nous sommes ensemble dans un même gouvernement, d’éviter les déclarations incriminantes pour nos partenaires au pouvoir. Il s’agit de préserver l’image de l’exécutif et de l’Etat.
Sauver le pays ne sera pas possible avec des partis politiques importants financés par l’international ou avec des hommes et des femmes politiques qui ne pensent guère au pays mais plutôt à se remplir les poches.
Je suis une personne disciplinée, je ne critique jamais publiquement les décisions prises par un gouvernement duquel je fais partie. Par contre, je le fais et je défends mes positions au sein de l’équipe gouvernementale. Et quand j’estime que je ne peux plus continuer, je me retire. C’est ce que j’ai fait en 2012 lorsque j’ai démissionné de mon poste de ministre chargé des Réformes administratives.
Depuis 2012, de l’eau a coulé sous les ponts. Quelle est aujourd’hui votre vision pour la Tunisie ?
Je dirais qu’il y a de fortes chances pour la Tunisie d’évoluer positivement, mais à des conditions. D’abord, le diagnostic de la situation du pays à ce jour. Notre économie est en très mauvaise posture, nos finances ne sont pas au beau fixe, notre endettement extérieur est alarmant et je ne parle pas de celui intérieur contracté auprès des banques.
Pour boucler le budget de l’Etat, nous avons besoin de 9 milliards de dinars. Si nous devons recourir à de nouveaux prêts à l’international, les bailleurs de fonds doivent négocier avec des personnes crédibles, convaincantes et avoir des garanties. Nous devons donc rétablir la confiance avec nos partenaires étrangers.
Je suis peiné de le dire aussi crûment, mais l’international perd de plus en plus confiance en notre pays. Lorsqu’on nous avait demandé de faire partie de la coalition gouvernementale, la première question que nous nous sommes posé est : “pouvons-nous agir dans un contexte aussi difficile pour changer les donnes?”.
Je pense que c’est possible mais à une condition : jouer la transparence et imposer intégrité et éthique. Parce que sauver le pays ne sera pas possible avec des partis politiques importants financés par l’international ou avec des hommes et des femmes politiques qui ne pensent guère au pays mais plutôt à se remplir les poches.
Il n’est pas admissible que des magistrats aux ordres mettent des gens en prison alors que des hommes politiques réellement corrompus jouissent de l’immunité de leurs partis ou de leurs postes.
Outre l’absence d’exemplarité dans toutes les strates de la classe politique, il y a un problème de fond : la nécessité de réformes structurelles dans presque tous les domaines et l’incapacité de les réaliser à ce jour. Vous y avez pensé ?
Evidemment, mais ce n’est pas facile au train où vont les choses. Aujourd’hui tout est sur la place publique, tout se sait, et sachant que ceux qui les dirigent manquent d’éthique et sont eux-mêmes corrompus, les Tunisiens sont envahis par la colère. Lorsqu’ils sont en colère, ils occupent les rues et deviennent violents, sans oublier le mal du chômage insoluble à ce jour et pour nombre de raisons. Si cet état de fait ainsi que le manque de crédibilité continuent, si la crise de confiance entre Etat et citoyens persistent, à mon humble avis aucune réforme ne sera possible.
C’est pour cette raison que je n’arrête pas d’appeler à l’application de la loi en commençant par les politiques. Il faut que l’Etat de droit reprenne ses droits. Les politiques véreux ne peuvent ni édifier un pays ni gérer un Etat. Et la situation perdurera en Tunisie. Je l’ai dit en 2014 mais personne n’a voulu m’entendre et voyez ce qui s’est passé, d’année en année notre situation économique a empiré. Il faut que ce jeu de massacre cesse et il faut oser des choix même douloureux en usant de beaucoup de sagesse pour sauver notre pays.
Le sauvetage du pays ne se fera pas que par la lutte contre la corruption !
Il faut commencer par montrer et prouver que nous autres politiciens, nous avons décidé de mettre fin à la gangrène de la corruption et instaurer la primauté de la loi. Il n’est pas admissible que des magistrats aux ordres mettent des gens en prison alors que des hommes politiques réellement corrompus jouissent de l’immunité de leurs partis ou de leurs postes.
Vous oubliez les terroristes avec lesquels notre justice est très clémente.
Je parle aussi des terroristes. Lorsque l’Etat de droit est absent, nous allons automatiquement trouver au sein de nos administrations sécuritaires des personnes qui protègent ceux qui menacent la sécurité nationale.
A partir du moment où les premiers responsables sont désignés par les partis politiques qui n’ont pas fait preuve de rigueur et n’ont pas respecté le minimum en matière d’indépendance de la justice et de neutralité du ministère de l’Intérieur, nous aurons les mêmes résultats au sein de ces deux départements de souveraineté très importants pour la paix, la stabilité de notre pays et pour l’économie, en premier lieu.
Vous pensez pouvoir y arriver ?
Je ne pense rien, j’agis pour que cette gestion hasardeuse des affaires de l’Etat prenne fin. Nous avons un arsenal de lois qui ne sont pas appliquées et que nous devons d’ailleurs simplifier.
Nous avons besoin d’une réelle égalité entre les citoyens, d’une administration moderne. Nous devons être conscients que le temps des grands changements est là, que l’Etat de droit n’est pas un luxe mais une condition de survie pour la Tunisie. Et cet Etat de droit ne peut être fait avec des hommes politiques corrompus.
Nous ne sommes pas dans la logique des procès à l’encontre des contrevenants, mais nous appelons à mettre fin à ces mauvaises pratiques. D’où l’importance de compétences incorruptibles et intègres pour occuper les départements sensibles pour notre sécurité et notre économie, parce qu’il faut aussi mettre fin aux chantages de ceux qui se menacent entre eux de dévoiler des dossiers compromettants.
Faute d’issue préservant nos acquis, on DoIt utiliser la manière forte comme partout dans le monde. On ne peut pas faire perdre à Gafsa et à toute la Tunisie 5 milliards de dinars en admirant. la loi doit être appliquée sur les manifestants en faute, qu’ils soient pacifiques ou pas.
Votre parti a exprimé ces exigences pour participer au gouvernement ?
Ce sont des conditions sine qua none pour notre participation, car pour nous l’Etat de droit est le seul garant pour un nouvel éveil du pays, tout comme la préservation des droits de l’Homme et des libertés.
Donc vous appelez à ce que les ministères de souveraineté soient occupés par des indépendants ?
Justement, c’est là où le bât blesse ! Depuis des années, on nous raconte que les personnes qui occupent les postes aux ministères de souveraineté sont indépendantes. Nous voulons bien le croire (…). A supposer qu’elles le soient, ces personnes ont tellement peur de perdre leurs places qu’elles se soumettent aux partis au pouvoir et ne les affrontent pas.
Autre chose, nous n’admettrons pas des personnes apparemment indépendantes mais ayant prêté secrètement allégeance à Ennahdha, et nous ne cautionnerons pas. Nous préférons dans ce cas être dans l’opposition et nous serons aussi solides que nous le voulons. Nous avons fait des propositions à Ennahdha pour trois ministères : la Justice, l’Intérieur et la Réforme administrative. Nous y tenons.
Revenons aux impératifs économiques très importants aujourd’hui. Vous pensez que des bailleurs de fonds qui n’ont pas de visibilité et sans vis-à-vis valables prêteront à la Tunisie 9 milliards de dinars et qu’à l’échelle nationale l’UGTT adhérera aux réformes nécessaires pour sauver le pays et rassurer ces bailleurs de fonds ?
Un gouvernement crédible et contre lequel on ne tient pas de dossiers compromettants pourrait bien avoir la confiance des bailleurs de fonds.
Quant à l’UGTT, je me rappelle, les tout premiers mois de la Troïka en 2012, lorsque mes collègues et moi discutions avec la centrale syndicale, nous leur disions que nous sommes prêts à faire des sacrifices en amputant même sur nos salaires et en renonçant aux privilèges dus à nos postes. Je leur assurais que si jamais il y avait mauvaise pratique, nominations illégales au sein de l’Administration ou autres dépassements, je sévirais et cela marcherait.
A l’époque il n’y avait pas de dossiers contre la Troïka, l’UGTT a été compréhensive et les augmentations n’ont pas dépassé les 200 millions de dinars alors qu’elle en réclamait 500 millions de dinars. L’UGTT est réceptive lorsque nous sommes dans la clarté et le sérieux. Qu’est-ce qu’ils me disent aujourd’hui, lorsque je les vois ? «Nous ne pouvons faire aucune concession avec un gouvernement qui n’est pas crédible, un gouvernement qui protège les corrompus. Pourquoi ferions-nous des sacrifices alors que ceux censés donner l’exemple sont en faute et n’en font pas?».
Parce que la corruption a gangrené l’appareil de l’Etat, nous la trouvons aujourd’hui partout, il n’est pas aisé de négocier avec qui que ce soit, et ce ne sera résolu que lorsque la loi sera appliquée sur tout le monde sans distinction. Nous avons besoin de construire une économie solide et orientée vers le futur, et cela ne se fera pas sans un gouvernement de compétences qui ose décider et sans un accord avec les partenaires sociaux qui n’admettraient pas de voir le pays tomber en lambeaux parce que patriotes.
L’économie se portait relativement bien du temps de la première République. L’industrialisation du pays a démarré avec feu Hédi Nouira dans les années 70 et s’est développée dans les années 90 et jusqu’en 2010 pour atteindre des seuils respectables et même convoités dans notre région. Je parle des textiles, des composants automobiles, de l’aéronautique, de l’agroalimentaire et du pharmaceutique. La désindustrialisation de la Tunisie a commencé en 2011 et nos opérateurs économiques performants sont de plus en plus remplacés par les étrangers. Cela ne vous dérange-t-il pas ?
Je voudrais juste revenir aux années 90, car aux années 70, notre industrie faisait ses premiers pas. L’Union européenne a investi, en 1995, 5 milliards de dinars pour la mise à niveau (Programme de mise à niveau, PMN) après l’accord de libre-échange. A l’époque, je pense que la fabrication des composants automobiles existait déjà, il y avait certaines industries, dont les patins de freins ainsi que le commerce des pièces de rechange. On ne peut pas parler de hautes technologies.
Mais depuis, il y a eu nombre d’évolutions, à Stella, filiale d’Airbus, il y a un centre pilote de recherche pour le secteur aéronautique, vous le savez, sans parler de nombre d’autres secteurs à haute valeur ajoutée !
Je ne veux pas sous-estimer ce qui a été réalisé avant la révolution, mais il y a aussi des usines qui ont fermé leurs portes à l’époque dans le textile. Je pense par contre qu’il faut faire une évaluation des trois dernières décennies pour déterminer ce que nous avons gagné et ce que nous avons perdu. Nous avons gagné au niveau de certains secteurs de l’industrie, mais nous avons aussi perdu à cause de la concurrence avec la Turquie et la Chine. Il y a un déséquilibre inacceptable de la balance commerciale en faveur de ces deux pays.
Avouez qu’auparavant nos industriels et nos échanges commerciaux se portaient mieux, ce n’est pas de la littérature, il s’agit de chiffres et de faits.
Je le reconnais et je suis triste de le dire d’autant plus après 9 ans de révolution. Sous Ben Ali, malgré la dictature, nous étions mieux positionnés par rapport à d’autres pays qui ont pourtant des richesses naturelles que nous n’avons pas. Ce qui nous manquait était la liberté et il fallait se libérer de la dictature. Neuf ans de liberté que personne ne peut contester.
Vous parlez d’une liberté menacée quand même par l’absence de l’Etat de droit avec des cyber-armés à la solde qui terrorisent toutes les voix libres ou différentes des leurs?
Vous savez qu’il y a des partis politiques qui tiennent des discours haineux ou qui prennent de grandes libertés de langage lorsqu’ils s’adressent à leurs rivaux. En attendant un changement dans le gouvernement pour sévir lorsque la loi est bafouée, nous avons une société civile forte qui ne se laissera pas faire. Il y a des journalistes solidaires qui bougent quand il le faut. Il y a des personnalités publiques qui ne garderont pas le silence, et des hommes politiques qui ne lâcheront pas la lutte pour la liberté d’expression et les droits de l’Homme.
Ce qui se passe chez nous aujourd’hui est inquiétant mais pas alarmant. Il faut aussi avoir le réflexe de déposer des plaintes et faire confiance à la justice pour sanctionner en premier même si certains estiment qu’elle n’est pas totalement indépendante.
Il y a aussi la question des forces de l’ordre qui sont tout le temps sous le joug d’un tel ou qui reçoivent les ordres d’un tel alors que la police judiciaire devrait être sous les ordres du procureur de la République et donc indépendante même par rapport au ministre de la Justice.
Nous sommes pour la modification de l’article 96, pas tout l’article mais certaines clauses de l’article pour, justement, libérer l’administration de cette peur et lui donner la latitude d’agir comme il se doit pour le bien du pays.
Ne pensez-vous pas la démocratie est menacée dans ce contexte ?
Même si elle est menacée, nous avons une démocratie et des libertés qui devraient nous amener un pays fort, développé et solide qui assure le bien-être des citoyens, et garantit les droits socio-économiques. Ce qui n’a malheureusement pas été fait pour plusieurs raisons, dont le manque de discipline. Quatre personnes peuvent fermer une usine.
Il y en a aussi qui peuvent construire un mur sur les rails pour empêcher le transport du phosphate et seraient protégés par des hommes politiques.
D’autres politiques étaient contre mais ne pouvaient rien faire par peur. Lorsque tout le monde tient des dossiers compromettants sur tout le monde, on sacrifie justice et loi à l’instinct de survie. Les intérêts du pays deviennent accessoires. Lorsque j’étais ministre en 2012, j’appelais systématiquement à l’application de la loi à partir du moment où les négociations échouent avec les contestataires. Faute d’issue préservant nos acquis, on utilise la manière forte comme partout dans le monde. On ne peut pas faire perdre à Gafsa et à toute la Tunisie 5 milliards de dinars en admirant “ces manifestants pacifiques”.
Qu’ils soient pacifiques ou pas, la loi doit être appliquée. Mais qui peut s’engager dans pareilles batailles si ce n’est un homme à qui on ne peut rien reprocher ? La logique est de protéger le droit de manifester, à condition que cela ne nuise pas aux intérêts économiques de notre pays et aux centres de production qui nous font tous vivre.
Et que faites-vous de la valeur travail disparue parce que les discours ambiants des leaders d’opinion victimisent les chômeurs à tous bouts de champs et infantilisent les régions ?
Le Tunisien n’est pas un fainéant de nature. C’est ce qu’en ont fait nos dirigeants. La France coloniale a fait croire aux Africains qu’ils étaient des paresseux structurels, regardez aujourd’hui l’Ethiopie et le Rwanda qui réalisent des croissances à deux chiffres, et ce n’est qu’un exemple. !
Nous faudrait-il une guerre civile ou un génocide pour nous réveiller ? Parce que c’est ce qui s’est passé dans ces pays ?
Mais non ! Ce que je veux dire est qu’un être humain est pareil, qu’il vive en Suède, au Rwanda ou en Tunisie. Lorsqu’il y a une bonne organisation, un bon leadership, lorsqu’il y a l’exemplarité de l’Etat et des dirigeants, tout le monde suit le mouvement. Sinon c’est l’adage tunisien qui est mis en œuvre, “œil pour œil, dent pour dent”, “tu voles, je vole”, “tu paresses, je fais pareil”. Et c’est la destruction du pays.
Nous devons réinstaurer les valeurs du patriotisme et de l’appartenance qui commencent à disparaître.
Les jeunes sur tout le territoire national -parce qu’il n’y a pas que les jeunes des régions qui souffrent- espèrent beaucoup, attendent énormément et sont très vite désillusionnés. De fausses promesses fusant de partout, n’est-ce pas la malhonnêteté qui démarre lors des campagnes électorales et s’achève à l’ARP et au gouvernement ?
Ce n’est pas mon style. Lors de ma campagne, mon discours était tout à fait contraire. A Kasserine, je leur ai demandé : “qu’avez-vous fait pour votre région ? Ce n’est pas le rôle du président de la République de vous faire travailler, l’Etat doit vous donner les moyens de vous prendre en charge mais il faut que vous soyez acteurs de votre destin et que vous forgiez votre avenir”.
Même le président qu’ils ont élu pensant avoir immédiatement des emplois est incapable de le faire. Et c’est pareil pour le chef du gouvernement du reste.
La réduction du chômage demande du temps et si nous appliquons le bon plan pour plus de croissance et nous encourageons les investissements, peut-être qu’au bout de 5 ans nous réduirons le chômage à 11% ou plus.
Les fausses promesses ne mènent à rien, il faut juste des discours clairs et rassurants. Le hic dans tout cela est que nos besoins en main-d’œuvre ne sont pas satisfaits. De jeunes africains travaillent dans nombre de secteurs, dont l’agriculture, que nos jeunes boudent.
Les formalités administratives dans notre pays sont d’une telle lourdeur et d’une telle complexité que les investisseurs fuient de plus en plus le site Tunisie, et nos jeunes perdent des emplois. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons besoin d’une grande réforme administrative ! Un projet qui, pour rappel, a commencé en 1993 et qui a été relancé au ministère des Finances en 2011. En 2012 j’étais responsable de l’administration au département de la Réforme, et comme vous le savez, j’ai commencé un projet de simplification des procédures en y impliquant les administratifs. Mais faute d’experts, malheureusement, j’ai démissionné après et il n’y a pas eu de suivi.
Ensuite, il y a eu Mehdi Jomaa et Habib Essid, malheureusement rien n’a été fait. Le projet ne coûtait pas beaucoup d’argent, il fallait juste que des experts de l’administration publique planchent dessus.
La Tunisie ne peut se permettre un arsenal légal aussi lourd dans un monde en éternel mouvement où la compétition est rude. Un exemple : nous sommes à 75 km des côtes italiennes et il y a seulement 800 entreprises en provenance de l’Italie dans notre pays, alors que les entreprises italiennes sont installées au Vietnam. Pour moi, c’est un problème.
Il y a quelques mois, j’ai commencé à rencontrer des étrangers pour discuter avec eux, je voulais savoir ce qu’ils pensent du climat des affaires dans notre pays. Les mots qui se répètent sont : “nous n’avons pas confiance !”. Pour moi, c’est dramatique. La confiance est un capital que nous devons préserver et consolider, et c’est ce que j’essaye de faire lorsque je m’adresse à nos partenaires internationaux. Je leur assure que notre situation est transitoire et que la Tunisie va se stabiliser et retrouver calme et paix, qu’elle se redressera et progressera.
Vous êtes sûr que ça sera le cas, avec une administration qui ne bouge pas, paralysée par l’article 96 et ce qui s’en suit et qui l’empêche de voir?
Nous sommes pour la modification de l’article 96, pas tout l’article mais certaines clauses de l’article pour, justement, libérer l’administration de cette peur et lui donner la latitude d’agir comme il se doit pour le bien du pays, en observant une posture neutre et l’obligation de réserve.
Les technocrates doivent faire la différence entre sympathiser ou adhérer à un parti et utiliser l’appareil de l’Etat pour le servir. L’Etat doit agir de manière égale avec tous les Tunisiens.
Prenons l’exemple du ministère de l’Intérieur: il y a des directeurs qui ont été nommés pour leur allégeance à des partis. Est-il normal qu’un ministère de souveraineté et de sécurité de l’Etat fonctionne de cette manière ?
Normalement il faut faire un appel à candidatures, étudier des dossiers avec des experts faire des entretiens, etc. La probité de la personne désignée et son patriotisme doivent être prouvées. Si nous choisissons les responsables sur cette base, c’est le pays qui en profitera et tous nos concitoyens. Sinon, l’allégeance remplacera la compétence et le pays en souffrira.
Dernière question : Si vos conditions pour faire partie du gouvernement Jemli ne sont pas satisfaites, que ferez-vous ?
Nous serons dans l’opposition.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali