L’Organisation mondiale de la santé (OMS) consacre un budget d’environ un million de dollars par an pour l’élaboration de politiques de santé en Tunisie adaptées aux besoins ainsi que de projets conformes aux normes internationales. C’est ce qu’a indiqué Dr. Yves Souteyrand, représentant du bureau de l’OMS en Tunisie.
Dans une interview accordée à l’agence TAP à l’occasion de la célébration, le 12 décembre 2019, de la Journée internationale de couverture santé universelle (CSU), Souteyrand a souligné que l’OMS fournit une assistance technique à la Tunisie et finance des actions visant à mettre en place des stratégies et des projets conformes aux normes internationales permettant d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030, en particulier la couverture santé universelle.
Le renforcement des centres de santé de base, une priorité absolue
” La CSU, c’est assurer l’accès pour tous à des soins de qualité et à un coût abordable sans se ruiner “, a expliqué Souteyrand.
Dans ce contexte, il a souligné que le renforcement des centres de santé de base, dont le nombre est estimé actuellement à 2000 en Tunisie, est une priorité absolue.
“Le recours aux urgences entre 2012 et 2017 a augmenté de 50% et on ne peut pas expliquer cela par le fait qu’il y ait plus de problèmes d’urgence qu’auparavant, mais par l’existence d’un vide au niveau de la première ligne. Les patients s’adressent donc au service des urgences à l’hôpital, et du coup il y a un encombrement, donc des insatisfactions qui se traduisent même par des actes de violence ciblant les professionnels de la santé, ce qui est devenu un phénomène problématique”, s’inquiète-t-il.
D’après lui, il y a aujourd’hui un service de santé de base sur deux qui assure une consultation médicale qu’une fois par semaine, sachant que souvent ces centres, qui ont une vocation importante en matière de vaccination, se limitent à la prise en charge de l’aspect curatif.
” Dans les centres de soins de santé de base, la personne doit être prise en charge dans son intégralité en assurant l’aspect curatif et le suivi sur une longue période. C’est un engagement qui a été pris au niveau international “, a-t-il expliqué…
Dans le cadre de cette réflexion, l’intervenant a souligné qu’il sera question de définir de manière précise une liste de services essentiels qui doivent être disponibles…
Souteyrand estime que les soins de santé de base sont actuellement insuffisamment organisés, outre le manque de spécialistes dans les hôpitaux régionaux qui est un grand souci puisque souvent les Tunisiens s’orientent directement vers le spécialiste, sachant qu’il manque cette étape du médecin de famille, ce qui provoque un problème d’encombrement des services de troisième ligne dans les hôpitaux universitaires qui eux-mêmes ne sont pas préparés à cet afflux.
Le manque d’organisation de la filière et l’inégalité très forte entre la zone côtière et les régions du centre se traduisent par des indicateurs de santé qui sont préoccupants, par exemple la Tunisie a fait de grands progrès au niveau du taux de mortalité infantile mais ce taux est multiplié par deux dans les régions du centre par rapport aux régions côtières.
Les décès maternels sont encore trop importants en Tunisie
Souteyrand a fait savoir que l’OMS appuie aussi la Tunisie en matière de mise en œuvre d’une stratégie relative à la santé maternelle et néonatale. “Les décès maternels sont encore trop importants en Tunisie bien qu’il y ait eu des progrès considérables”, a-t-il signalé.
Et d’ajouter : “la Tunisie n’a pas atteint l’objectif millénaire de développement n°5 qui consistait à diminuer de deux tiers le nombre de décès maternels entre 1990 et 2015. Aujourd’hui on est à 44 décès pour 100 mille femmes, ça veut dire 100 ou 200 femmes meurent chaque année pendant la grossesse, lors de l’accouchement, ou pendant le mois qui suit l’accouchement, ce qui est beaucoup”.
D’après lui, même si la mortalité infantile a diminué, il y’a encore des efforts à faire pour réduire la mortalité néonatale.
A cet effet, l’OMS, en collaboration avec l’UNICEF, la FNUAP, ONUSIDA et sous l’égide du ministère de la Santé ont développé une stratégie pour réduire la mortalité maternelle et néonatale avec des actions précises qui démarreront dès l’année prochaine.
Parmi ces actions, l’intervenant a cité le développement de référentiels basés sur l’évidence scientifique tout en s’assurant qu’au niveau des différentes maternités ces référentiels soient mis en place pour réduire de manière sensible le nombre de décès maternels dus notamment à l’hémorragie au moment de l’accouchement.
Il faut aussi renforcer l’accès aux services de santé maternelle et infantile de sorte à éliminer les inégalités entre l’Est et l’Ouest et améliorer la qualité de la prise en charge.
83% des décès en Tunisie sont induits par les maladies non transmissibles
Souteyrand a indiqué que la Tunisie a été très performante en matière de santé jusqu’aux années 2000, c’était même un modèle à suivre au niveau, notamment, de la politique de vaccination, de la réduction de la mortalité maternelle et infantile et de l’élimination de toute une série de maladies transmissibles.
“Mais depuis le début des années 2000 on sent un essoufflement et une sorte de mécontentement de la population”, a-t-il dit.
Il y a eu, d’après lui, une transition épidémiologique et démographique. Aujourd’hui 12% des Tunisiens ont plus de 65 ans, et le chiffre va passer à un tiers au cours des années 2030.
” Auparavant les gens souffraient de maladies transmissibles qui ont été bien contrôlées. Aujourd’hui ils vivent plus longtemps et 83% des décès en Tunisie sont induits par les maladies non transmissibles (les maladies cardiovasculaires, le diabète, insuffisance rénale et les maladies liées à l’hypertension) qui sont des pathologies longues et relativement coûteuses nécessitant une prise en charge globale “, a -t-il poursuivi.
15% de la population est aujourd’hui atteinte de diabète en raison d’un changement de mode de vie caractérisé par un mauvais régime alimentaire et le manque d’exercice physique.
Il y a actuellement un problème d’accès à la connaissance de son statut de diabétique et un problème de bonne prise en charge.
“L’OMS veut travailler de manière très étroite sur le développement de référentiel de prise en charge du diabétique pour lui offrir la meilleure prise en charge possible”, a-t-il dit.
Il a, en outre, signalé que dans le cadre de l’appui des efforts de la Tunisie visant à lutter contre l’obésité, l’OMS a lancé une expérience pilote dans la région de Bizerte en collaboration avec l’Institut National de Nutrition et Technologie Alimentaire (INNTA) à Bizerte pour développer des zones où les jeunes peuvent exercer l’activité physique et compte l’appuyer dans d’autres régions du pays.
Pour la mise en place d’une stratégie multisectorielle
Pour le Représentant de l’OMS en Tunisie, la réponse à ces problèmes de santé ne relève pas uniquement des attributions du ministère de la santé, il faut impliquer tous les départements et tous les acteurs pour renforcer la sensibilisation et lancer des programmes communs touchant tous les secteurs.
Souteyrand a indiqué que l’OMS a beaucoup appuyé le développement d’une stratégie multisectorielle contre les maladies non transmissibles en Tunisie surtout que plus de 30% de la population meurt aujourd’hui de maladies non transmissibles avant 70 ans.
” L’OMS appuie également la Tunisie dans ses efforts de lutte contre les problèmes liés à l’infection en milieu hospitalier pour limiter l’infection nosocomiale et limiter, ainsi, les risques liés à la résistance antimicrobienne “, a-t-il ajouté.
” Il y a, en outre, un effort important à faire pour améliorer la qualité de l’information et le codage des causes de décès pour mieux définir les politiques de santé “, a-t-il dit.
Le Représentant de l’OMS a, aussi, mis l’accent sur l’importance de la défragmentation du système d’assurance maladie qui est actuellement compliqué et non homogénéisé, selon lui.
” Aujourd’hui, 13% du budget de l’Etat est consacré au secteur de la santé ce qui dépasse le budget alloué dans la plupart des pays de la région et si on n’arrive pas à atteindre les résultats escomptés cela veut dire qu’il y a un problème d’efficience lié au fait que le système de financement de la santé est trop compliqué d’où la nécessité de le défragmenter pour avoir une meilleure gouvernance”, a-t-il expliqué.
Le ministère de la santé devrait s’approprier le projet du dialogue sociétal
Pour Souteyrand, le ministère de la santé devrait s’approprier le projet de la politique nationale de la santé à l’horizon 2030, appuyée par l’OMS et proposée par le dialogue sociétal sur la santé dont les recommandations ont été présentées récemment après une large consultation nationale qui a impliqué des citoyens et des professionnels de la santé dans les différentes régions du pays.
“L’OMS soutient très fort cette nouvelle forme de gouvernance sanitaire basée essentiellement sur les consultations citoyennes et compte appuyer la mise en œuvre de la politique nationale de santé et le suivi de son application “, a-t-il dit.
Il a, par ailleurs, noté que l’instabilité au niveau du ministère de la santé (5 ministres en deux ans), influe sur les résultats et empêche la réalisation des objectifs.
A noter que l’OMS a signé un premier mémorandum avec la Tunisie depuis 1965. Un bureau de l’OMS a été installé en Tunisie en 2004. Cette agence technique des Nations Unies qui a le leadership pour la santé appuie les 194 Etats membres dont la Tunisie pour qu’ils puissent développer des politiques de santé adaptées aux besoins et basées sur l’évidence scientifique.
L’Organisation dont le siège est à Genève compte 6 bureaux régionaux. La Tunisie fait partie du bureau régional de la Méditerranée orientale dont le siège se trouve au Caire.