L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) publie, ce mercredi 11 décembre 2019, un rapport dans lequel elle tire la sonnette d’alarme sur “le sort de dizaines de milliers de Tunisiens fichés “S” et soumis à des mesures de contrôle arbitraires et liberticides par le ministère de l’Intérieur dans le cadre de sa politique de lutte et de prévention du terrorisme”.
Lors d’une conférence de presse tenue à Tunis pour présenter le rapport qui est basé sur les témoignages de 20 personnes (18 hommes et deux femmes) soutenues par l’OMCT dans le cadre du programme d’assistance juridique et psychosociale aux victimes de torture ou de mauvais traitements en Tunisie (SANAD), Hélène Legeay, directrice juridique à l’OMCT, a souligné que les restrictions de liberté disproportionnées, sans fondement légal et sans contrôle juridictionnel prompt, sont des restrictions arbitraires contraires à la Constitution et au droit international.
Différentes formes de privation des libertés…
D’après elle, il s’agit “de mesures restrictives de liberté décidées par le ministère de l’Intérieur à l’encontre de personnes présumées constituer une menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale”.
Ces mesures, explique-t-elle, visent essentiellement à prévenir la commission d’actes terroristes, mais peuvent prendre des formes diverses telles que l’assignation à résidence, l’interdiction de quitter le territoire, les convocations répétées au poste de police, les perquisitions en dehors de toute procédure judiciaire, les immobilisations prolongées lors de contrôles routiers ou aux frontières à des fins de renseignement ou encore les enquêtes de voisinage et les visites d’agents de police au domicile ou sur le lieu du travail.
Legeay signale que, sur la base des témoignages recueillis, être “S” dresse pour la première fois une typologie des mesures de contrôle administratif auxquelles sont soumises les personnes fichées ajoutant que ces mesures vont bien au-delà de la seule restriction à la liberté de circuler et prennent souvent les atours d’un véritable harcèlement policier exercé en toute impunité.
“Ces mesures engendrent une perte de repères tant sur le plan psychique et social et provoquent une réelle marginalisation renforçant une rupture de lien social qui peut s’avérer dangereuse pour la personne concernée et pour la société”, déplore, pour sa part, Rim Ben Ismail, psychologue clinicienne qui accompagne les bénéficiaires de SANAD depuis six ans.
Un système de surveillance kafkaïen
L’intervenante a indiqué que les personnes fichées et soumises à ces mesures risquent la perte de leur emploi, le divorce, l’isolement, le cloisonnement, le traumatisme des parents et des enfants, l’angoisse et la dépression.
Selon Gerald Staberock, secrétaire général de l’OMCT, un système de surveillance kafkaïen ne promeut pas la sécurité, mais risque au contraire de nourrir l’extrémisme violent.
Dans ce contexte, il indique que l’OMCT demande la suspension immédiate de toute mesure de contrôle administratif liberticide et la réparation de ceux qui les subissent.
Staberock a souligné l’urgence de réformer le cadre juridique dans lequel ces mesures sont censées s’ancrer pour garantir que toute restriction de liberté soit fondée sur une loi et soit nécessaire et proportionnelle.
“Le gouvernement doit, par ailleurs, donner à la justice administrative les moyens d’exercer un contrôle sérieux, prompt et efficace sur ces mesures”, a-t-il ajouté.
“Il est tout aussi essentiel que le ministère de l’Intérieur notifie les mesures de fichage aux personnes ciblées ainsi que leur motivation, leur fondement juridique et leur durée afin de permettre l’exercice d’un contentieux”, a-t-il encore recommandé.