Le système bancaire, dans les cinq pays du Maghreb, au prix d’une digitalisation avancée, serait en mesure d’accélérer sa situation financière. C’est une affaire de planning, dont il faut convenir avec les pouvoirs publics. Il est nécessaire d’adapter le cadre réglementaire et d’assurer la régulation de la sphère bancaire élargie aux couches restées à sa périphérie.
Le thème du Forum bancaire maghrébin 2019, organisé à Tunis ce vendredi 20 courant par l’Union des banques maghrébines (UBM), est d’une brûlante actualité, à savoir : «Digitalisation et inclusion financière au Maghreb», soulignera d’emblée Ahmed El Karm, le président de l’UBM.
Le sujet peut paraître, de prime abord, d’ordre technique. Il n’en converge pas moins vers une finalité de financement de catégories de citoyens et d’opérateurs restés en dehors des circuits bancaires. Par conséquent, le sujet n’est pas hors champ. La technologie, en la matière, peut aider à développer ce supplément d’activités pour les banques. Et cela est vrai des cinq pays du Maghreb.
La Technologie procure des solutions globales pour identifier les clients selon le mode KYC (Know Your consumer), ainsi que des solutions de scoring, pour ces clients. Il reste aux systèmes bancaires maghrébins de profiler des produits bancaires nouveaux destinés à ces prospects. Ces derniers disposent d’épargne et sont, potentiellement, consommateurs de crédits. Cependant, il faut leur proposer des vecteurs de placement et de crédits dédiés.
Outre cela, il convient de capter leurs transactions, en leur proposant des modes de paiement électroniques, à leur portée ; le mobile étant le vecteur le plus répandu pour cette catégorie de clients.
La physionomie de cette nouvelle cible de clientèle
Ahmed El Karm rappelle que l’inclusion financière au Maghreb serait un important levier de développement. Il étaie son affirmation par les chiffres.
En Tunisie, et c’est le cas des quatre autres pays, les places bancaires domestiques offrent des profils ressemblants. Environ 60% de la population est bancarisée. Cela fait une moyenne d’une agence pour 6.000 habitants. La moyenne mondiale est au double des proportions maghrébines. Les secteurs bancaires de la région sont-ils disposés à faire davantage ? Difficile à réaliser, car les investissements dans les réseaux physiques sont lourds. Et le profil de rentabilité de la nouvelle population de clientèle est faible. Cet effet de ciseaux empêche le développement par les voies traditionnelles. Et, c’est précisément là où la technologie peut apporter une opportunité de dépassement de ces obstacles. La technologie permet d’approcher ce segment de clientèle, l’identifier et l’intégrer.
Par ailleurs, sur l’ensemble de la population bancarisée, 80% ont recours au paiement par cash. Il ne s’agit pas d’un caprice, mais bien d’un alignement sur les exigences du système (commerçants, fournisseurs divers) lesquels ont une préférence marquée pour le paiement par billets de banque.
Autre point de détail, 10% de cette population utilisent la totalité des prestations bancaires (épargne, crédit, cartes). L’inclusion financière est, par conséquent, une opportunité de business… conséquente pour les banques.
Les quatre axes de l’inclusion financière
Il reste donc à savoir, quelles stratégies développer, dans la voie de l’inclusion financière. Au moins quatre axes seraient à privilégier, selon Ahmed El Karm. Il y a d’abord le ciblage de la clientèle. Et il voit dans le secteur informel -lequel atteint 50% des PIB des pays de la région- un gisement fondamental. A cette fin, il appelle les pouvoirs publics à plus de clémence fiscale pour finaliser l’opération.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en même temps que l’on bancarise ce segment de clientèle, on le rend éligible au financement et cela ouvre une perspective d’affaire et de croissance économique.
Par ailleurs, les banques maghrébines, à l’instar de leurs homologues du Danemark ou de Suède et, depuis peu, de France et de Chine, sont appelées à mettre la pression pour le decashing avec plus de restrictions sur les opérations par billets de banque.
D’ailleurs, M. El Karm rappelle que 15% du personnel bancaire sont affectés au traitement des opérations par billets de banques (services de caisse, notamment, transport de fonds, etc.). Et cela fait autant de charges d’exploitations improductives, voire inutiles.
Il reste enfin l’infrastructure. Il faut rappeler que les sociétés de FinTech, notamment les sociétés de paiement, relevant de la chaîne de BitCoin, donc du réseau Blockchain, mettent la pression sur les banques. Et ce challenge est un stimulant pour les banques, et même des Banques centrales. Cependant, les solutions de mobile paiement disposent d’une large marge de manœuvre, et le mobile est d’une utilisation répandue, ce qui est un facteur facilitateur.
C’est le moment d’y aller
Ahmed El Karm considère que le système bancaire maghrébin est en situation de basculer vers une digitalisation poussée et de se mettre au diapason des FinTech. Il a besoin d’un apport de circonstance de la part des pouvoirs publics, avec un soutien de volontarisme.
On peut citer l’exemple de l’inscription des élèves via internet en Tunisie. En effet, la première année, soit en 2017, année expérimentale, 15 000 inscriptions ont été réalisées par internet. L’année d’après (soit en 2018), 600 000 élèves se sont inscrits par internet. Cette expérience peut être étendue aux règlements des charges fiscales. Toutes peuvent être réalisées par mode électronique et pas seulement celles supérieures à 5 000 dinars, comme en ce moment en Tunisie.
Ahmed El Karm est assuré de la justesse de ses recommandations, car, rappelle-t-il non sans fierté, les bailleurs de fonds internationaux (Banque mondiale, Banque européenne d’investissement, Kfw) ainsi que l’Agence française de développement (AFD) poussent en ce sens.