«Cela me paraît difficile, voire impossible. Déjà l’accord a été fustigé par de nombreux pays dont l’Egypte voisine, l’Union européenne, la Grèce, Chypre, et critiqué par les Etats-Unis et la Russie. Toute intervention militaire en Libye aura des conséquences incalculables sur la région. Avec le risque d’enlisement du conflit». C’est ce qu’a déclaré l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mongi Hamdi, dans une interview accordée à notre confrère Brahim Labassi du quotidien La Presse de Tunisie.
Erdogan n’a, semble-t-il, pas attendu trop longtemps après l’adoption, le 2 janvier, par le Parlement turc d’une motion autorisant l’envoi de troupes en Libye, un jour après le départ graduel de soldats pour soutenir le gouvernement Sarraj. Le président turc signe et persiste, n’en déplaise aux Etats riverains de la Libye comme l’Algérie, l’Egypte, le Niger ou encore le Soudan. La Tunisie, quant à elle, est absente de la sphère décisionnelle régionale.
Lire aussi: «2020 sera l’année du dépeçage de la Libye, et la Tunisie ne sera pas épargnée», prévient Rafaa Tabib
«Nos militaires partent progressivement pour la Libye. Ils s’y occuperont de la coordination. Notre objectif : soutenir le gouvernement légitime», a déclaré le président turc.
Observant la posture d’un sultan ottoman, il est dans l’ignorance totale des protestations ou condamnations de l’Europe, des pays limitrophes de la Libye, ou encore de la Russie et des Etats-Unis à propos de son intervention dans le conflit libyen. D’ailleurs, il se peut que ce soit les Etats-Unis qui aient donné un accord discret au dictateur turc pour mettre aux poudres la Libye et enliser le Maghreb ainsi que la Méditerranée dans un conflit destructeur.
Les manœuvres américaines sont légion surtout lorsqu’il s’agit d’exporter les crises internes à l’international. Ce sont les premiers bénéficiaires des guerres. Leurs entreprises et surtout l’industrie de l’armement ont toujours profité des besoins colossaux des pays en temps de guerre et des chantiers de reconstruction post-guerre.
Alors, la question à 1 000 000 de dollars : à qui profite le crime ? Certainement pas à l’Egypte qui a mis en garde contre les conséquences d’une intervention militaire étrangère en Libye, insistant sur les risques d’une telle opération sur la paix dans la région méditerranéenne. Le président Sissi aurait même appelé ses homologues américain, russe et français, ainsi que la chancelière allemande pour les prévenir quant aux «dangers découlant d’une ingérence étrangère armée en Libye».
L’Algérie a, pour sa part, réuni le Conseil de sécurité (HCS), composé des plus hautes autorités civiles et militaires du pays et a décidé d’une batterie de mesures pour la protection de ses frontières.
Ainsi, Sabri Boukadoum, ministre des Affaires étrangères, a affirmé, dans une dépêche publiée par l’Agence de presse algérienne (APS), que son pays ne tolérera aucune présence étrangère en Libye et ce quel que soit le pays qui souhaite intervenir.
Moussa Faki Mahamat, ancien Premier ministre et ex-ministre des Affaires étrangères du Tchad, actuellement président de la Commission de l’Union africaine, s’est dit inquiet d’une potentielle «interférence» en Libye après la décision de la Turquie d’y déployer ses troupes.
Dans un communiqué publié vendredi 3 janvier 2020, il a affirmé être profondément préoccupé par la détérioration de la situation en Libye et par les souffrances du peuple libyen. «Les différentes menaces d’interférence politique ou militaire dans les affaires internes du pays augmentent le risque de confrontation, avec des motivations qui n’ont rien à voir avec les intérêts fondamentaux du peuple libyen et ses aspirations à la liberté, la paix, la démocratie et le développement», a-t-il signifié dans le communiqué.
L’absence déprimante de la Tunisie !
Qu’en est-il de la Tunisie dont les frontières sud sont très proches de Tripoli, la capitale libyenne ? Outre l’accueil accordé par le président Saïed au président turc et qui a indirectement donné à ce dernier la légitimité convoitée pour exécuter son plan pour l’occupation de la Libye, ce que nous voyons est une absence déprimante. Y a-t-il eu une position de la part du plus haut de la pyramide de l’Etat ? Y a-t-il eu une proposition concrète pour continuer sur la lancée de ce qu’a initié auparavant feu Béji Caïd Essebsi, à savoir une coordination étroite entre Tunisiens, Algériens et Egyptiens pour la résolution de la crise libyenne ?
A ce jour, c’est un silence de mort qui règne au Palais de Carthage exceptées des recommandations du président Saïed pour la prise en charge, par les hôpitaux tunisiens, des blessés des milices de Al-Sarraj.
Les vœux du diplomate chevronné qu’est Mongi Hamdi risquent bien de rester des vœux pieux !
Non monsieur Hamdi, la Tunisie n’est pas restée neutre puisque sous prétexte de légitimité internationale -douteuse à souhait-, notre cher nouveau locataire de Carthage a accueilli seulement Sarraj et ses alliés ne se tenant pas «à l’écart de tous les axes ». Il n’a pas évité de «soutenir une partie contre une autre», et à ce jour nous n’avons pas entendu parler d’une coordination avec l’Algérie ou lu un communiqué à ce propos.
C’est à se demander si la Tunisie, avec une présidence aussi novice en politique étrangère, pourrait assurer en tant que membre du Conseil de sécurité.
Eh oui, elle est loin cette Tunisie qui, dans le respect de la tradition bourguibienne, mobilisait les autres pays en capitalisant sur sa crédibilité et en comptant sur ses acquis pour œuvrer pour la paix et la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays.
La Tunisie et son peuple risquent de payer très cher la posture lâchement absente de leur diplomatie concernant la crise libyenne.
A bon entendeur…
Amel Belhadj Ali