Les diplomates-représentants des trois principaux bailleurs de fonds de la Tunisie, en l’occurrence Patrice Bergamini pour l’Union européenne (UE), Jérôme VACHER pour le Fonds monétaire international (FMI) et Tony Verheijen pour la Banque mondiale (BM), ont longuement traité de la transition économique en Tunisie dans le cadre d’interviews accordées à des médias tunisiens et étrangers.
Au regard de leur importance pour l’avenir géostratégique et économique de notre pays, webmanagercenter a jugé utile d’en publier de larges extraits.
Dans cet article, nous traiterons d’une interview de Patrice Bergamini sur le quotidien français Le Monde.
Lors d’une interview accordée, début juillet 2019, au journal Le Monde, Patrice Bergamini, ambassadeur de l’Union européenne (UE) en Tunisie, a pointé du doigt la fragilité géostratégique de la Tunisie face aux éventuelles turbulences régionales et s’est prononcé pour une transition économique rapide qui lui permettrait de mieux «se protéger contre la détérioration de l’environnement régional».
«Si la Libye entre dans un conflit long, larvé ou pas, sanglant ou pas, alors qu’elle était le débouché économique de la Tunisie –emplois, échanges commerciaux– pendant des années, alors les Tunisiens devront trouver ailleurs la création et l’importation de richesses», a-t-il dit.
Puis, Bergamini d’ajouter : «si l’Algérie devait affronter des difficultés, ce serait malheureusement une complication supplémentaire pour l’économie de la Tunisie et donc pour sa stabilité politique».
L’UE s’inquiète des menaces régionales
Cinq mois après cette interview, les prédications de Bergamini semblent se vérifier avec la survenance de deux événements majeurs au niveau régional.
Pour ne citer que le plus récent, la mort subite suite à une crise cardiaque, le 23 décembre 2019, du général algérien Gaïd Salah, puissant chef d’état-major de l’armée.
Cette disparition, malgré l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence, risque de changer la donne géostratégique dans la région. Espérons que les Algériens qui manifestent, depuis le 16 février 2019, pour demander le départ de tous les symboles de l’ancien régime, n’exploitent pas cette disparition pour intensifier leurs manifestations.
Au rayon de la crise libyenne, la menace d’une intervention militaire turque dans ce pays se précise avec l’entérinement, le 16 décembre 2019, par le Parlement turc de l’accord conclu, à cette fin, entre Fayez al-Sarraj, chef du gouvernement d’Union nationale libyen (GUN), soutenu par la communauté internationale, et Recep Tayyip Erdogan, le président turc. Cet accord prévoit une présence turque dans le pays ainsi qu’une formation des cadres militaires par Ankara.
L’adoption de cet accord par le Parlement turc a fait dire à l’un des conseillers du président turc, cité par RFI que «La Libye est désormais sous notre responsabilité».
Les origines de la récession économique de la Tunisie
Patrice Bergamini a expliqué la fragilité de la Tunisie par le retard qu’accusent les réformes économiques. Pour lui, «la Tunisie est aujourd’hui moins équipée socialement et économiquement qu’elle devrait l’être pour se protéger des turbulences en Libye ou demain peut-être en Algérie», a-t-il dit.
Il a fait assumer la responsabilité de la détérioration de la situation économique en Tunisie aux «positions d’entente et de monopole» qui entravent la transition économique.
Il estime, dans cet entretien, que si l’Union européenne œuvre à finaliser avec la Tunisie l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), c’est justement pour mettre fin aux monopoles.
«Quand on parle (dans le cadre de l’Aleca) de libre concurrence, loyale et transparente, c’est d’abord entre opérateurs tunisiens. Si l’on doit aider la transition économique, la forcer, la pousser, c’est parce qu’il y a des positions d’entente, de monopole. Certains groupes familiaux n’ont pas intérêt à ce que de jeunes opérateurs tunisiens s’expriment et percent», a-t-il indiqué.
Et de recommander aux futurs gouvernants du pays: «les vainqueurs des prochaines élections législatives et présidentielle seront placés face à un choix : soit ils comprennent qu’il faut faire évoluer un modèle économique faisant la part trop belle aux positions monopolistiques, soit ils ne le comprennent pas et dans ce dernier cas, oui, il y aura une inquiétude».
Mais le diplomate européen s’est voulu rassurant en déclarant: «Face aux turbulences régionales, l’Europe ne veut pas perdre le soldat Tunisie».
Selon Bergamini «le pari de l’Union européenne, (…) c’est de veiller à ce que la Tunisie soit la mieux équipée possible –socialement, politiquement, économiquement– en cas de dégradation accrue de la situation régionale, qu’il s’agisse de son environnement immédiat ou un peu plus lointain. C’est pour cela que l’Europe met autant d’argent sur la table : 300 millions d’euros par an –dons, coopérations…– sur la période 2016-2020. C’est énorme. La Tunisie est, par habitant, le pays au monde le plus soutenu par les Européens». «Et il y a cette offre, le fameux Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) qui est en cours de négociation», rappelle-t-il.
(A suivre Partie 3)
—————
Articles en relation :