C’est conformément à la Constitution que le président de la République, Kaïs Saïed, a décidé de charger Elyès Fakhfakh candidat malheureux à la dernière présidentielle anticipée (2019) et ancien ministre du Tourisme (2012) et des Finances (2013), au temps de la Troïka, de former le futur gouvernement.
Elyès Fakhfakh dispose de tout un mois pour former le futur gouvernement. C’est énorme après la perte de plus de deux mois et demi de temps avec Habib Jemli dont le gouvernement a été rejeté par le Parlement. Espérons que le nouveau chef de gouvernement désigné ne traînera pas la patte comme son prédécesseur d’autant plus que, dans sa première déclaration au public, il a parlé d’une équipe gouvernementale restreinte. Entendre par-là que les négociations ne devraient pas être, en principe, aussi longues, aussi lassantes et aussi éreintantes comme ce fut le cas avec Habib Jemli.
C’est donc au nom de la légalité constitutionnelle dont Kaïs Saïed disait, constamment, qu’«elle n’a jamais rendu les peuples heureux», que le président de la République a choisi «un outsider», sans parti représenté au Parlement, sans passé militant crédible. Et ses résultats en tant ministre dans le gouvernement de la Troïka ne sont pas notoires non plus. Ce poste de ministre, il le devait, du reste, non pas à ses mérites et compétences mais à ses accointances avec la famille Mustapha Ben Jaafar, alors président de l’Assemblée nationale constituante (ANC).
Peut-on se fier à un responsable décrédibilisé par le peuple ?
D’ailleurs, si on s’amuse à regarder de près le parcours d’Elyès Fakhfakh durant ces dix dernières années, on ne trouve pas grand-chose.
Pour ne citer que le plus récent, son cuisant échec lors de la dernière présidentielle anticipée. Il n’a récolté que 0,34% des voix, ce qui en dit long sur la crédibilité dont il jouit auprès des Tunisiens.
Quand il était, en 2012, ministre du Tourisme, son passage ne fut pas heureux. Il n’est pas parvenu à mettre sur pied son projet de création d’«une agence qui sera chargée de la gestion des dettes de plus de 100 hôtels». Jusqu’à ce jour, l’endettement des hôteliers est toujours en vigueur.
Son passage à la tête du ministère des Finances en 2013 a été également jalonné de contreperformances et d’échecs. Deux d’entre eux méritent qu’on s’y attarde.
Le premier concerne la réforme fiscale. Elyès Fakhfakh a entamé le projet mais il a tellement tergiversé qu’il n’a pas pu le concrétiser et l’achever. Pourtant c’est un projet stratégique lequel, s’il avait été concrétisé, au cours de cette période, il aurait pu élargir l’assiette fiscale et générer d’importantes ressources pour alimenter les caisses de l’Etat et éviter la crise que connaît actuellement le pays. Depuis, le projet est en stand-by jusqu’à ce jour.
BCE lui avait fait assumer la responsabilité de la crise économique
Le second porte sur son penchant pour l’endettement facile. C’est sous son mandat, à la tête du ministère des Finances (sous l’ère de la Troïka) que la Tunisie a contracté le premier prêt de 1,7 milliard de dollars auprès du FMI, et son corollaire, l’obtention automatique d’autres prêts auprès d’autres bailleurs de fonds. Elyès Fakhfakh aura ainsi engagé le pays dans une spirale inédite de surendettement.
Pis, les dettes contractées, au lieu de relancer les investissements ou de préparer les transformations structurelles de l’ensemble du tissu économique du pays, sont venues gonfler des dépenses improductives, nourrir l’inflation et aggraver les déficits (masse salariale du secteur public et dépenses de compensation, notamment énergétiques).
D’ailleurs, le défunt Béji Caïd Essebsi, alors en campagne électorale pour la présidentielle de 2014, s’était appuyé sur le bilan négatif de son exercice au ministère des Finances pour discréditer Ennahdha, et à travers elle la Troïka.
Lors d’une interview accordée, le 24 mars 2014, sur la chaîne privée Nessma, BCE n’est pas allé par quatre chemins. Il lui a fait assumer «la responsabilité de la crise économique».
Abstraction faite de ce bilan négatif, lorsqu’on sait qu’en politique, le plus important critère sur la base duquel on évalue un futur dirigeant de la dimension du chef du gouvernement réside dans ses résultats et réalisations antérieurs et dans sa compétence nationalement reconnue, et lorsqu’on constate qu’Elyès Fakhfakh n’a rien de tout cela, nous ne pouvons nous interdire de nous interroger sur les références qui ont amené le conservateur Kaïs Saïed à choisir cet ancien dirigeant de la sinistre Troïka en cette période si délicate.
Cela pour dire in fine qu’Elyès Fakhfakh, sans ceinture politique partisane démocratiquement élue, ne sera, a priori, qu’un simple Premier ministre aux ordres de son sponsor, la présidence de la République. Autrement dit, il ne sera peut-être pas un vrai chef de gouvernement doté de réelles prérogatives supérieures, comme le stipule la Constitution.