Le livre tunisien est sur la voie d’une nouvelle distinction du Booker international du roman arabe 2020, un prix qui promet une reconnaissance internationale.
Retenu dans la long-list du Booker, dévoilée en décembre dernier, “Hammam Edhahab” (Le Hammam d’Or), de Mohamed Aissa Meddeb, aspire à une nomination dans la short list qui sera annoncée le 4 février prochain.
Son auteur, le seul candidat tunisien en lice pour décrocher le prix ultra convoité du Booker international du roman arabe, s’approche, prudemment, du cercle des Bookers.
Dans une interview accordée à l’agence TAP, le romancier ne cache pas sa satisfaction d’avoir intégré cette première étape éliminatoire de la sélection.
Echappée dans le monde du romancier et de son projet.
Autour du roman
Paru en 2019 chez Meskiliani Editions, “Le Hammam d’Or” est un roman de 280 pages, le second de Mohamed Aissa Meddeb. Sur 13 chapitres, les événements se situent au cœur du quartier “El Hara”, où résidait une large communauté juive, à la Médina de Tunis.
L’auteur fouille dans l’histoire de la famille “Sassoon” et la vague de départ massive de cette communauté vers différentes destinations à travers le monde. Il évoque un récit qui “creuse dans le périple de familles juives qui, après avoir fui l’Espagne, sont allées vers l’Italie pour qu’aux alentours du 17e siècle elles trouvent refuge en Tunisie.
Le côté romanesque se traduit dans une légende urbaine qui alimente le suspense qu’il dépeint à travers six histoires différentes. Pour Meddeb, “loin d’être un roman autour des juifs, l’idée est beaucoup plus orientée vers la question de l’identité tunisienne et le brassage culturel”.
De la recherche dans l’histoire des juifs jusqu’à la confection romanesque de son manuscrit, sa volonté est de “libérer le lecteur des préjugés en lui ouvrant la vision sur certaines vérités”. Il prône l’image d’une “Tunisie multiple basée sur la tolérance, le droit à la différence et la diversité et non sur le fanatisme, la violence et l’extrémisme”.
La trilogie romanesque
“Hammam Eddhahab” fait partie d’un projet complet autour “des religions et la Tunisie”. Il part de la réalité d’une société majoritairement de confession musulmane et où cohabitent des minorités religieuses et ethniques (juives, chrétiennes, amazighs).
Meddeb estime soulever “une question longtemps négligée par les historiens”. D’où vient sa conviction que l’écriture romanesque contemporaine, n’offre plus le plaisir de la narration et du suspense narratif, mais pari plutôt sur la production d’une culture et du savoir à travers un travail de recherche approfondi.
Ses débuts avec l’écriture du roman était avec “Jihad Naem”, -lauréat du Comar d’or du roman arabe en 2017-, après avoir entamé sa carrière par la Nouvelle. Il y traite des questions d’actualité, comme l’immigration clandestine, l’extrémisme, le terrorisme et l’identité tunisienne. Cet opus fait le cap sur les préoccupations d’une jeunesse prise au piège de “l’extrémisme et le jihad du nikah”, dit l’auteur.
Actuellement, l’auteur travaille sur un nouveau roman autour d’une personnalité chrétienne, qui jette aussi la lumière sur l’histoire de la communauté chrétienne et son apport dans le développement économique du pays et la lutte pour l’indépendance du pays”.
Il admet une aventure dans l’écriture romanesque sur des sujets qui ne seront pas facilement adoptés par le lecteur tunisien. Un choix qui intrigue certains sur les motifs qui poussent à écrire sur ce genre de sujets.
Malgré sa crainte, l’auteur est déterminé à poursuivre sa trilogie et demeure soucieux de faire éliminer les préjugés autour de l’autre. Sa grande fierté est de “pouvoir continuer à écrire dans des sujets brûlants” même si son parcours est une aventure parsemée d’embûches.
Le romancier et ses soucis
Avant d’entamer l’écriture de “Hammam Edhahab”, l’auteur a longtemps pensé à la démarche narrative par laquelle il allait aborder “un sujet (les juifs) épineux, gênant et assez sensible”. Une crainte qui s’est par la suite révélée dans les attaques fortuites qui n’ont pas tardé à se manifester. Le romancier dit vivre sous la menace. Il est accusé de “normalisation et de défense du sionisme et de plusieurs autres accusations”.
Bien qu’ayant eu la certitude de devenir la cible de grandes offensives, il avait entamé son projet. L’écriture romanesque chez ce professeur de la littérature arabe émane d’une réelle volonté d’un écrivain sincère, décidé à aller jusqu’au bout.
Face aux réactions que suscite son roman nominé au Booker, Meddeb se montre ouvert à toute critique partant du fait que “du moment où le livre est sorti il n’est plus la seule propriété de l’auteur.”
Sauf que l’auteur reste sceptique quant à certains critiques qui s’alimentent de préjugés et n’ont aucun lien avec l’aspect artistique de l’écriture romanesque.
Avec tout l’amalgame qui se révèle chez ses détracteurs, l’auteur se place au milieu d'”une épreuve difficile, ce qui l’oblige à se munir de beaucoup de patience” et autant de facteurs qui alimentent sa passion de romancier. Les souffrances, l’harcèlement, les pressions, les menaces qu’on lui prolifèrent ne seraient pas suffisants pour le dissuader. La liberté d’écrire est un engagement qui émane de l’écrivain.
Le romancier s’approche du cercle du Booker
Autour des romans présélectionnés, le comité du jury du Booker arabe fait état d’une sélection où “globalement, les écrivains abordent des questions importantes dans le Monde arabe d’aujourd’hui et reflètent la richesse du patrimoine et de l’histoire de la région”.
L’auteur tunisien est parmi neuf écrivains qui font leur entrée pour la première fois à la Long-list du Booker. Une étape largement satisfaisante que le romancier en voit “une récompense en soi”. Il pourra aussi garder son siège dans les prochaines nominations à laquelle seront retenus les titres de six heureux finalistes.
Le natif du Cap Bon, cinquantenaire, figure actuellement dans la course, parmi une sélection de 16 semi finalistes de 9 pays arabes. Il est sur le banc des prochaines nominations, parmi 13 hommes et 3 femmes. Remporter cette prestigieuse distinction, “Prix international du roman arabe” (IPAF) que gère la Fondation du prix Booker, est aux mains du jury international composé d’hommes de Lettres au parcours exceptionnel.
Figurer sur la liste du Booker, émane initialement d’un choix des éditeurs arabes à travers le monde qui présentent les meilleurs de leurs productions. Selon le règlement du prix, chaque éditeur a le droit de proposer un seul roman.
A la lumière d’une visibilité peu satisfaisante du livre tunisien, le candidat au Booker regrette l’absence d’une stratégie de promotion dans le secteur de l’édition. Le romancier parle d’un livre condamné à demeurer dans son cadre local mais garde espoir, en la présence d’un “lectorat tunisien, intelligent et exigeant”. En cas de distinction, la visibilité qu’offre le prix aiderait à placer le candidat tunisien sur la carte littéraire arabe et mondiale. Meddeb devra encore patienter avant que le verdict ne soit proclamé sur une éventuelle montée sur le podium de la cérémonie officielle du Palmarès de la 13e édition du Booker prévue le 14 avril 2020, à Abu Dhabi.
Les prochaines nominations s’avèrent très serrées. Le choix de la meilleure œuvre obéit aux critères scientifiques et littéraires et inévitablement à l’appréciation personnelle de chaque membre du jury.