Après les élections législatives d’octobre 2019, la première tentative de former un gouvernement a été un échec qui a coûté à notre pays un temps précieux. La Tunisie est entrée, depuis quelques jours, dans la deuxième phase de formation d’un gouvernement, et ce conformément aux dispositions de l’article 89 de la Constitution. Selon cet article, il revient au président de la République, après consultation avec les partis et les groupes parlementaires, de désigner la personne qu’il considère la plus apte à former un gouvernement.
C’est sur cette base donc que Monsieur Elyès Fakhfakh a été désigné. Selon la Constitution, le rôle du président s’arrête à ce niveau. Le président n’a aucun rôle à jouer ni dans la détermination du programme du prochain gouvernement ni dans la détermination de ce qu’il est convenu d’appeler la ceinture politique du prochain gouvernement.
La situation par laquelle passe la Tunisie aujourd’hui est une situation critique sur les plans économique, financier et social. Il faudrait ajouter aussi la situation de confusion sur les plans politique et diplomatique. En tout bon sens, le rôle essentiel d’un gouvernement qui serait aux commandes dans les conditions actuelles serait de tenter d’apporter des solutions à la crise économique, financière et sociale que traverse la Tunisie.
Selon cette logique, le chef du gouvernement et tous les ministres qui formeraient le gouvernement devraient accepter, et annoncer publiquement, qu’ils renoncent à tout avenir politique et qu’ils visent tous l’HONNEUR et le privilège de sauver l’économie tunisienne et de sauver ainsi son expérience de transition démocratique.
Si l’on accepte ce diagnostic, la formation du gouvernement devrait se dérouler en trois étapes comme suit :
1- Définir avec audace, courage et précision le programme qui devrait permettre de sauver la situation. Cette définition de programme revient à la personne désignée pour former le gouvernement, ainsi qu’à une équipe de conseillers autour de lui.
2- La formation du gouvernement se fait en fonction des défis et des solutions contenues dans le programme.
3- La présentation du programme et de l’équipe devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) afin d’obtenir la confiance sans aucune définition préalable de la ceinture politique du gouvernement. Les députés (et les partis) qui votent pour l’équipe gouvernementale et son programme sont au pouvoir, les autres sont dans l’opposition, et ce sans aune exclusion. Dans le cas d’un vote contre le gouvernement proposé, l’ARP est dissoute et le pays s’engage dans de nouvelles élections législatives.
Maintenant Monsieur Elyès Fakhfakh s’est engagé dans le processus de formation de son gouvernement. Mais il faut avouer que l’entame n’est pas réussie. Il me semble que Monsieur Fakhfakh a commencé le processus par le mauvais bout. En effet, engager le processus par la détermination de la ceinture politique aboutit fatalement à l’exclusion de certains partis et à tomber, encore une fois, dans le processus asphyxiant de quota pour chaque parti. Cette manière de procéder nous oblige à poser certaines questions :
Si le président de la République a contribué, sous une forme ou autre à l’idée de la formation de ceinture politique, comme le laisse entendre Monsieur Fakhfakh, ce serait une grave erreur politique. Le président doit être et se comporter comme le président de tous les Tunisiens, sans aucune exclusion.
Si Monsieur Fakhfakh considère que par sa désignation il a une dette vis-à-vis du président, ce serait là aussi une grave erreur politique. En effet, ceci n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de la Constitution.
Commencer par la détermination de la ceinture politique rendrait la définition du programme du gouvernement quasiment impossible. En effet, les positions des différents partis formant le gouvernement sont souvent diamétralement opposées sur certaines questions essentielles et certains des défis que devrait relever la Tunisie.
Commencer par la détermination de la ceinture politique aboutit fatalement à des concessions importantes sur les points essentiels et donne toujours des solutions qui sont en apparence consensuelles, mais qui sont en réalité de fausses solutions car elles sont du type PGCD (plus grand commun diviseur).
La Tunisie a un besoin urgent de réparer ses relations avec les plus grands bailleurs de fonds étrangers, et notamment l’Union européenne, la Banque mondiale et le FMI. À ceux-là j’ajouterais la BAD et les caisses de développement arabes et internationales.
Les partenaires de la Tunisie sont en train d’observer avec attention le processus de formation du gouvernement afin de définir leur position vis-à-vis de notre pays. En outre il ne faut pas dégouter davantage le citoyen Tunisien de cette expérience démocratique.
Il est clair que l’approche suivie jusque-là par Monsieur Fakhfakh pose beaucoup de problèmes et apporte peu de solutions. Mais le rattrapage demeure possible.