Comment le monde perçoit-il la Tunisie post-élection ? L’élève modèle de la démocratie made in USA et en Europe a-t-il réussi tous ses examens ? Pourrait-il décrocher tous ses diplômes ?
Ce n’est pas gagné ! La perception de la Tunisie à l’international est de plus en plus négative et ceux qui ont fait des standings ovation et applaudi la révolution qui a émerveillé le monde commencent à douter de leurs premières évaluations de la situation politique en Tunisie.
L’un des rapports classés confidentiel parle de la «fragilisation extrême de la gouvernance publique qui a fait émerger un face à face islamisme “frériste“ et un conservatisme anarchiste». Soit, selon le rapport, deux approches adoptant des doctrines subversives alliant démagogie populiste à celle utopiste.
La Tunisie pourrait, par conséquent, évoluer vers la cristallisation d’un désordre ou d’un brouillage politico-identitaire pouvant aboutir à une manipulation de masse dominée par moult forces occultes et des pratiques nébuleuses affaiblissant encore plus l’Etat et ses institutions.
La réalité le prouve. Les institutions tunisiennes n’ont jamais été aussi vulnérables, et au train où vont les choses, eu égard à la rivalité féroce que leur livrent aujourd’hui les instances constitutionnelles créées par une Constitution bâtarde, elles risquent de disparaître.
Même la présidence de la République, préservée à ce jour malgré le passage tumultueux de Moncef Marzouki en 2011, n’a pas échappé à ce populisme anarchique prôné par un président qui ne reconnaît aucunement l’héritage diplomatique de la Tunisie ou les règles protocolaires et qui agit comme si la présidence devait refléter sa propre idéologie et être l’instrument de ses propres élucubrations.
En effet, depuis son investiture, il est invité partout chez les partenaires de la Tunisie, mais il préfère rester cloîtré au Palais de Carthage où, rappelons-le, il ne veut pas résider. A aucun moment il n’a pensé à l’importance des règles protocolaires et du cérémonial présidentiel et leur importance pour l’image de notre pays.
Ahmed Manaï, ancien opposant de Bourguiba et Ben Ali, qui a écrit l’ouvrage “Le supplice tunisien“ juge que Kaïs Saïed fait craindre pour l’avenir de la Tunisie en tant que pays et pour l’ensemble du système régional».
Un révolutionnaire à Carthage
Kaïs Saïed, qui aurait pu arbitrer les guerres partisanes dans un pays déchiré, joue au révolutionnaire au Palais de Carthage, décidant pour les électeurs tunisiens de qui va les gouverner, excluant les partis qu’il estime, lui, peu compatibles avec ses convictions idéologiques et décidant d’user de sa légitimité électorale pour choisir un grand vizir au mépris du choix du peuple lui-même.
Agissant ainsi, il ne donne certainement pas le meilleur exemple, pour la caste politique du pays, pour le peuple et encore moins pour l’international où on ne peut comprendre le mépris de la plus haute autorité de l’Etat pour les principes basiques de la démocratie. Le président tunisien ne s’est pas encore réveillé de son rêve politique consistant à déborder les frontières des États-nations arabes pour les inclure dans un même ensemble allant du Maghreb au Machrek.
Comment, dans ce cas, peut-il se concentrer sur les crises multiples de son pays et de ses électeurs ? Comment pourrait-il transcender les questions d’appartenance et plancher sur le cas tunisien -nous sommes devenus un cas-, alors même qu’il parle de libération de la Palestine et que ses rues et ses avenues sont occupées par les ambassades étrangères ?
Comment la Tunisie peut-elle être une nation moderne, développée, libre et prospère ? Comment les institutions pourraient survivre aux guerres que leur livrent les professionnels du «chaos créateur» ? Des institutions vidées de leur substance et autorisant l’existence d’un Etat parallèle à l’Etat dans lequel les décisions se prennent en dehors des logiques de gouvernance saines.
La pire des choses que vit aujourd’hui la Tunisie est la lapidation délibérée de ses compétences et l’exécution de son intelligence au piédestal des faux prophètes et des discoureurs !
Toute personnalité chargée de former le gouvernement bute sur un obstacle de poids : le refus d’une grande partie des compétences, les vraies, d’en faire partie parce qu’elles ne peuvent souffrir le massacre de l’ARP où les députes investigateurs et procureurs s’adonnent à leur exercice favori : l’inquisition !
Ils ne manquent pas de respect aux candidats oubliant que ce sont des Tunisiens qui ont autant de droit qu’eux et auxquels on doit du respect. Nombreuses sont les interventions qui conjuguent une connaissance superficielle de la chose publique et des affaires de l’Etat au communautarisme vulgaire.
Quelle signification et quelle légitimité possède un système versant dans la logique tribale ?
Triste pour la Tunisie, car la question que se posent nombre d’observateurs est : «quelle signification et quelle légitimité possède un système versant dans la logique tribale et le repli identitaire ? Ceci dans un climat sociopolitique empreint de menaces qui pèsent sur tous ceux qui remettent en question le mythe d’une révolution que l’on veut éternelle.
Quelle capacité de mobilisation possèdent les Tunisiens patriotes et surtout compétents face aux manœuvres de compromissions internes et externes à l’origine des incertitudes et des tâtonnements politiques ?
Face à ce climat délétère, les partenaires traditionnels de la Tunisie sont dans l’attente d’un dénouement rapide car en l’absence d’un vis-à-vis crédible, tout est à l’arrêt. L’administration est paralysée et la communication est paralysée, sans oublier les batailles à peine voilées entre présidence de la République et présidence de l’ARP pour un faire-valoir national et international.
Pourrait-on, dans pareille situation, concevoir une stratégie, élaborer un plan de sortie de crise ? Pourrait-on œuvrer pour un redressement national ? Et que peut-on offrir aux jeunes manipulés ou désespérés ?
Un président qui prend son électorat pour un fonds de commerce !
Quand un président “révolutionnaire“ choisit un chef de gouvernement sans aucune légitimité électorale et qui plus est annonce son entrée en scène par l’exclusion des partis fortement représentés à l’ARP et explique son choix par la légitimité présidentielle, nous ne pouvons nous attendre à un chemin jonché de fleurs pour un futur gouvernement quelle que soit sa composition ! Une composition (déjà) handicapée parce que discriminatoire non pas sur la base de projets et de visions mais de personnes.
Le président prend son électorat pour un fonds de commerce !
Ce qui est d’un ridicule ! Lorsque les émotions bannissent l’empathie, l’amour du débat, de la tolérance et du vivre ensemble et tolèrent les formes les plus conflictuelles d’expression de l’opinion parce que révolutionnaires, lorsqu’un président prône l’exclusion parce que c’est un révolutionnaire et parce que des amis de longue date ou fraîchement connus le décident, il n’y a plus de place à l’apaisement. L’international s’inquiète de la cacophonie politique et la fragilité institutionnelle que vit la Tunisie mais pire que l’international, il y a la jeunesse.
Une jeunesse déconnectée du pays et cherchant à y échapper par tous les moyens parce qu’elle n’est pas concernée par les guéguerres de «leaders» et est écœurée par les agissements des politiques extrémistes ignorant la liberté et l’Etat de droit, la démocratie et les valeurs et les fondamentaux de la République. Peut-elle espérer que des dirigeants, depuis bientôt 9 ans au pouvoir, les mettent à l’abri des besoins ? De la peur ? Du fanatisme ?
Et dernière question que se posent les observateurs de la scène nationale et internationale : au regard du contexte actuel, la Tunisie peut-elle encore assumer son destin de République souveraine agissante pour la consolidation de l’indépendance, l’intérêt national et le progrès humain et capable de préserver ses intérêts et celles de ses partenaires régionaux et internationaux ?
Amel Belhadj Ali