Il y a une exception tunisienne bien savoureuse. La certification Bio tunisienne est reconnue par l’Union européenne. C’est un atout maître pour fertiliser les partenariats à l’international. Et l’offre italienne de partenariat tombe à point nommé. Cela ne manque pas de piquant.
A l’initiative de l’Institut italien de commerce extérieur (ICE), s’est tenue à Tunis une rencontre entre les opérateurs du secteur Bio des deux pays. Cet événement a eu lieu à l’issue de la “Quatrième semaine de la cuisine italienne dans le monde“. Coupler le Bio et la gastronomie crée une synergie de business. Et de ce point de vue, on gagnerait à dupliquer l’initiative italienne étant donné qu’elle montre la voie.
On observe que de par le monde et en particulier en Italie, les produits de la filière Bio aguichent les consommateurs. On voit que l’offre Bio crée sa propre demande. Et cela est relayé par un couplage entre les produits Bio et la gastronomie.
La cuisine, quand elle acquiert une notoriété internationale, sert grandement l’image de marque du pays. Dans le même temps, elle ouvre un boulevard à la filière du Bio et surtout à l’appellation IGP, soit l’indication du site d’origine, qui est l’offensive marchande la plus récente en la matière.
La gastronomie écoresponsable, ça existe !
Les opérateurs italiens présents à cette manifestation ont insisté sur le haut retour sur investissement de la chaîne de valeur Bio. Et ils citent, à titre d’exemple, le boom des exportations de la région sicilienne en Bio, lesquelles ont progressé de 70% sur les quatre dernières années. C’est dire que l’expansion du Bio peut prendre des dimensions remarquables.
Cependant, pour organiser une telle chaîne, il faut reconstituer un écosystème dédié. Et les clients de cette chaîne sont très regardants et pointilleux.
De ce fait, les opérateurs demandent l’implication des pouvoirs publics pour la validation des processus de culture, de fabrication, sans oublier le conditionnement et l’authenticité de l’étiquetage. En général, cela se fait systématiquement. C’est le cas de toutes les labellisations. L’implication légale des pouvoirs publics via l’officialisation de ces labellisations apaise le client. Et, il va sans dire, contribue à renforcer le contrat de confiance avec les marques. C’est en même temps une garantie légale pour les producteurs, les protégeant de la contrefaçon et les habilitant à lutter contre les contrefacteurs.
Le bonus commercial de l’indication d’origine
Il faut garder à l’esprit que l’étiquetage des produits Bio est un élément essentiel en marketing, et c’est ce qui permet de faire prendre de la valeur à un produit.
Le parmeggiano Reggiano se vend quarante pour cent plus cher que le cours des fromages de qualité. De ce fait, l’appellation d’Origine contrôlée a été dépassée par l’IGP, c’est-à-dire l’indication précise du site de production (Indication géographique de production). Toutes deux répondent à ce besoin de qualité, devenu sujet d’intérêt croissant pour les consommateurs, y compris dans un marché mondialisé.
Par conséquent, ces labels auxquels vient s’ajouter celui européen du symbole biologique à la feuille verte, certifiant l’origine Bio d’un produit, protégé par les clauses de la propriété intellectuelle, attestent d’un contrôle minutieux de la chaîne de fabrication. Cela part de la culture à la communication, en passant par la transformation et le conditionnement.
De la sorte, les producteurs garantissent les caractéristiques exclusives de qualité, de sécurité et d’authenticité des produits concernés.
La suprématie du “Made In”
Il faut comprendre que l’étiquetage a évolué en fonction des perceptions des clients et de l’étendue juridique de la protection. L’Appellation d’origine contrôlée (AOC) fut la première labellisation. Mais il s’est avéré depuis que cette appellation est générique et ne pouvait être exclusive. C’est-à-dire que des produits de moindre qualité pouvaient juridiquement en bénéficier.
Aussi l’on s’est orienté vers deux directions. La première est l’indication SIQO (pour Signe d’Identification Qualité et Origine), qui rassure sur le respect des bonnes pratiques dans la production du produit et donc de sa qualité.
Puis est venue l’indication géographique dite IGP. Ces deux éléments de protection légale certifient la provenance d’un lieu ou d’une géographie spécifique dont la qualité et les caractéristiques dépendent de facteurs naturels et humains qui rendent un produit inimitable et exclusif. C’est le cas du vinaigre balsamique de Modène.
Et lors du séminaire cité plus haut, un représentant du chocolat de Modica, une ville de Sicile, a exposé, dans le détail, l’importance de ces labellisations.
Le chocolat de Modica est un chocolat artisanal fabriqué par barre de 100 grammes, d’un tenant sans carrés comme pour les tablettes de chocolat ordinaire, a-t-il expliqué. Ce chocolat, le premier en Europe, a réussi à obtenir le label IGP, et depuis, le consortium des fabricants connaissent un boom sans précédent.
L’on est passé d’un niveau de production de 480 000 barres à 12 millions d’unités. Soit un multiplicateur de 25 fois. Ajouter que la région bénéficie d’un afflux sans précédent de touristes, lesquels, séduits par la qualité du produit, sont tentés par le tourisme sur ce site.
Le business a explosé depuis l’obtention du certificat IGP, c’est dire qu’il y a une primauté économique laquelle représente un facteur de croissance du Made In… et ce de par le monde.
Tout ce processus vient mettre en évidence que le produit est inimitable car il résulte d’une combinaison unique de facteurs humains et environnementaux caractéristiques d’un quelconque territoire. Et cela se monnaie cher. Et la valeur ajoutée, qui en résulte, est conséquente.
A cela il faut ajouter l’acquisition d’un droit de propriété intellectuelle, qu’on inscrit dans le bilan de l’entreprise comme “actif immatériel“. Outre que cela prémunit de toute falsification. A tire d’exemple, la barre de chocolat de Modica, voyage avec un passeport numérique car le codage permet de retrouver l’heure et la date de fabrication, le lot d’emballage, la date de commercialisation. Enfin, tous les éléments de traçabilité permettant de détecter toute barre qui pourrait être falsifiée.
L’écosystème Bio : Les maillons clés des “bio districts“ et des “consortiums“
La réussite d’une telle filière, expliquent les hôtes italiens, nécessitent une certaine forme de consensus de la part des producteurs. Le basculement vers le Bio est une résolution qui nécessite une assistance technique et un financement adéquat.
Au niveau d’une région précise, le mieux serait de fonder des Bio districts. C’est en quelque sorte proche de la démarche des clusters, si courants en Italie. L’effet d’échelle peut être d’un grand apport pour organiser la profession face à tous les professionnels, surtout à l’export. Et pour optimiser la communication autour du produit. Il s’agit d’entretenir l’engouement des consommateurs car cela entretient l’appel marchand du Bio. Bien manger, c’est d’abord bien choisir. Cela ne manque pas de sensibiliser les producteurs qui tableront sur le choix des consommateurs qui se fait de manière consciente, privilégiant les produits sains et de qualité. Et cela est payant.
Pour une raison d’efficacité, les producteurs, pour bien capter l’effet Bio, se regroupent en consortium, et cela donne plus de poids à leurs revendications et à leurs démarches.
En Italie, pays qui a le plus avancé en la matière, surfant sur cet appel du Bio sur les principaux marchés du monde, à savoir l’UE et l’Amérique du Nord, il existe 80 000 opérateurs. Le secteur italien a réalisé un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros en 2018.
Par ailleurs, les surfaces cultivées en Italie s’établissent maintenant à près de 2,5 millions d’hectares, soit 16 % des superficies agricoles utilisées. Mais insistent les opérateurs italiens, sur l’importance des consortiums pour bien défendre les intérêts du secteur. Et surtout auprès des banques pour doper le financement vert, qui est différent des crédits agricoles traditionnels.
La Tunisie, paradis du Bio
Du fait de facteurs météo et géologiques précis, les produits agricoles tunisiens se prévalent d’une grande qualité gustative. Et cet avantage est inestimable, car inimitable.
Les produits phares pour la Tunisie restent pour le moment l’huile d’olive, laquelle s’est illustrée sur le marché mondial par cette propriété gustative exclusive. C’est un atout marchand sans pareil.
La même caractéristique vaut également pour les dattes. Le biotope du Djérid est typique. Du coup, la Deglet Nour de Tunisie, challengée par la datte algérienne et celle de Californie, parvient à faire valoir son “index de qualité exclusif“.
Idem pour la Harissa, les vins. Beaucoup des vins de Tunisie ont été récompensés lors des Salons vinicoles professionnels à travers le monde, où la compétition est très sévère. Certains crus de Tunisie portent des médailles d’or qui valent leur pesant en or.
A l’heure actuelle, les filières à l’export sont en train de s’organiser. Les choses ne vont pas aussi vite que l’on souhaiterait. Toutefois, la réussite commerciale nécessite une organisation en consortium, rappellent les hôtes italiens, si l’on veut accélérer les choses. Hélas, les choses tardent à se mettre en place. Encore qu’il ne faut pas sous-estimer l’effort d’encadrement entrepris par l’APIA (Agence de promotion des investissements agricoles) pour la ligne de produits du terroir.
L’exception tunisienne en matière de labellisation
Pour leur part, les pouvoirs publics sont sensibles à l’intérêt de favoriser le développement de la chaîne de valeur Bio et ont agi en conséquence. Le ministère de l’Agriculture et l’INNORPI ont fait les choses de manière hautement technique au point que la Tunisie est le seul pays du continent africain à se voir valider son processus de labellisation par l’Union européenne. Et à ce jour, aucun litige, ni aucun différend n’a été enregistré.
Le pays, aux normes du ministère de l’Agriculture, compte 60 produits. Ils sont exportés sur 30 pays différents à travers les quatre continents. La surface de production s’est étendue et se situe à l’heure actuelle à 350 000 hectares. Et le nombre d’opérateurs a grimpé à 1 060 jusqu’à l’année 2018.
Mais les Bio districts ne sont pas encore sur pied alors même que les projets du ministère de l’Agriculture sont prêts. A ce jour, aucun produit n’a été définitivement certifié AOC ou SIQO (Signe d’Identification Qualité et Origine), mais les procédures sont lancées.
Cela vaut pour le mouton de Thibar ou Sidi Bouzid, la grenade de Gabès ou Testour, les figues de Jebba, le muscat de Raf-Raf ou le melon de Kalaat El Andalous et la liste est encore longue.
Ce qu’il faut savoir est que l’âge d’or du Bio est devant nous. Chocolat de Modica envisage de produire deux variétés en associant des produits tunisiens. Le premier est avec le poivron de Tunisie. Eh, oui le chocolat relevé, cela existe. Et le second est avec les dattes de Tunisie. Les pourparlers sont en cours. Sachons profiter de cette main tendue des opérateurs italiens.
Ali Abdessalam