La “récupération” des déchets dans la chaîne de valeur industrielle du “Textile-Habillement” fait un saut de qualité. Initialement, il s’agissait d’une activité d’appoint. La voilà qui conquiert ses lettres de noblesse à l’échelle du monde. Et de fil en aiguille, on voit que l’économie circulaire se profile comme un modèle économique, nouveau. L’affaire semble cousue de fil blanc, et pour le secteur textile, ça ne manque pas d’étoffe. Et ce dernier se drape de nouveaux habits.
A l’origine, on évoquait l’économie circulaire, comme une voie de production générique. Elle permet de fabriquer des produits nobles à partir d’intrants externalisés (rejet, émissions ou destruction). Cela provient soit du mode de production avec les chutes de chaînes. Ou alors du mode de consommation, avec les vêtements désaffectés qu’on jette, tout simplement. Ils sont, par conséquent, de faible coût mais encore utiles. Leur recyclage revient à les injecter de nouveau dans le processus de production. Et ainsi la boucle est bouclée. Et ça crée de la valeur.
Voici résumée, brièvement, l’économie circulaire. Celle-ci s’applique à tous les secteurs d’activités. Et cela se trame sous bon canevas pour le secteur textile tunisien.
A l’âge de l’économie circulaire
Il s’agit d’une tendance lourde à travers le monde. Elle est lancée par un peloton de tête, constitué des économies avancées. Celles-là même qui polluent le plus. L’idée n’est pas nouvelle. Elle remonte aux années 70 quand le Club de Rome a lancé l’option de la croissance zéro. Les choses ont évolué depuis et le monde s’oriente vers l’économie durable et le respect de l’environnement.
Actuellement, deux gendarmes, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et la COP (Conférence des Parties dite aussi, Conférence des Etats signataires des conventions internationales se rapportant aux changements climatiques) veillent au grain.
L’UE a pris le virage de l’économie circulaire du fait de son engagement pour l’environnement. Elle s’est dotée de la législation la plus avancée en la matière. De même qu’elle s’est dotée du plus gros budget, parmi les économies avancées. Une partie de ces fonds sera allouée à titre d’aide, à un groupe de trois pays à savoir l’Egypte, le Maroc et la Tunisie.
Cette contribution sera servie dans le cadre du programme MED Test, qui aborde actuelle son troisième volet à savoir Med Test III. Cette contribution est gérée par l’ONUDI en partenariat avec divers départements, notamment ceux de l’industrie et de l’environnement.
Ainsi, l’ONUDI pourra aider les chaines industrielles d’approvisionnements en textile de ces 3 pays à utiliser les ressources de manière plus efficace et de fournir des produits avec une meilleure empreinte écologique. Et ceci, notamment à travers l’adoption de protocoles chimiques, surtout pour la teinturerie, qui soient plus sûrs et eco-friendly.
Privilégier le textile-habillement
De par le monde, le secteur textile est celui qui a capté le plus l’attention des dirigeants et a recueilli le plus de subventions. De fait, ce secteur pollue beaucoup. En 2015 déjà, l’industrie globale du textile et de la confection a consommé 80 trillions de mètres cubes d’eau. Et elle a émis 1 700 millions de CO2, 92 millions de tonnes de déchets.
Par ailleurs, la Banque mondiale (BM) estime que 20% de la pollution industrielle de l’eau provient des 8 000 produits chimiques utilisés par la teinturerie dans le textile. Dans le même temps, c’est un secteur qui est gros employeur de main-d’œuvre et participe à l’exportation. Cela lui confère une prime par rapport à d’autres secteurs d’activités. Outre que ses clients sont regardants.
On dit qu’un consommateur sur six est sensible aux labels “éco-responsables” et que 30% des clients acceptent de payer les vêtements faits avec du tissu recyclé 10% plus cher. Sans compter que la demande globale pour le coton et le polyester, deux des principales fibres pour l’industrie textile augmentera de 40% d’ici, l’année 2023. Ce taux de croissance nécessite des alternatives quant aux matières vierges.
Des résidus de découpe, des pièces défectueuses, des collections invendues, ainsi que des produits de deuxième qualité, de la chaîne de l’habillement représente une quantité significative de déchets.
Dans le même temps, c’est une ressource inexploitée capable de satisfaire les demandes d’un marché croissant pour des fibres recyclées et de produits textiles durables.
Des réalisations phares
Des expériences d’économie circulaire ont été initiées avec succès. Celles-ci ont pu permettre la valorisation des déchets textiles en produits à valeur ajoutée et assurer que les processus de recyclage se réalisent avec un impact environnemental plus atténué.
L’objectif pour l’ONUDI est de promouvoir la classification appropriée, la collecte efficace, le tri et le recyclage des déchets textiles postindustriels et pré-consommation alignés avec les demandes des marchés.
La plus intégrée est celle de la ville de Prato en Toscane (Italie) où l’on recycle la laine et le cachemire. En la matière, le recyclage est à l’avantage du consommateur. Le pull de cachemire recyclé se vend 95 euros et celui original à 130 euros.
La seconde est celle de Lille, au nord de la France. Sa mise en place a duré deux ans. Il a fallu au préalable organiser la collecte des intrants, leur tri par matière et par couleur, leur démembrement (suppression des boutons et des ZIP), leur effilochage et enfin leur tissage. L’expérience a fait que l’on aboutit à des tissus qui ont le même toucher que la fibre vierge. Et les produits proposés comportent 70% de coton recyclé et 30% de coton vierge. Ainsi donc, on a réinventé la fin de vie des textiles en coton. Sachant que les déchets ne peuvent se recycler que deux fois de suite. Les pouvoirs publics en France ont donné un coup de pouce à la filière. Ainsi il est devenu interdit d’incinérer les vêtements et les magasins doivent livrer leurs invendus au recyclage.
Le recyclage des fibres, un modèle économique
Nous insistons pour affirmer que le recyclage débouche sur un véritable Business Model. In fine, le choix des consommateurs se fait entre deux modèles de production. Le premier est celui du low-cost, avec Fast Fashion, c’est-à-dire des produits standards et un sourcing éloigné qui nécessite des transports prolongés en avion contribuant à aggraver les émissions de CO2.
Le second, celui qui emprunte la voie de l’économie circulaire, comporte le recyclage avec à la sortie des produits personnalisés comportant une empreinte écologique certaine.
Le choix commence à pencher du côté du second y compris pour la mode où on s’oriente vers la production éthique et les produits responsables.
D’ailleurs, les marques les plus importantes ont intégré cette donnée et on voit ZARA, Hugo Boss, Benetton, Bershka, Levi’s ou Décathlon, s’y mettre. Le virage est bel et bien amorcé et le marché se développe, à vive allure.
Une certaine expérience tunisienne
Avec les deux composantes Med Test I et II la Tunisie a beaucoup avancé dans le domaine de l’économie circulaire. En effet, 27 entreprises opérant dans cinq secteurs différents (le textile/habillement, l’industrie mécanique et l’électronique, l’agroalimentaire, enfin la chimie) ont acquis une belle expérience dans l’industrie durable.
Ainsi, ce groupe de 27 entreprises a pu économiser 448 000 mètres cubes de CO2. Ainsi que 110 Giga Watts d’énergie en une seule année.
Pour sa part, la FTTH est toute mobilisée pour le tournant stratégique de l’économie circulaire. Elle a adhéré au protocole ZDHC pour les produits chimiques éco responsables.
De même qu’elle s’apprête à réaliser cinq étapes significatives avec Med Test III. Elle s’est engagée à élaborer une cartographie des déchets textiles et de l’écosystème local du secteur. Viendront ensuite, la définition des modèles de gestion, le lancement des actions et les formations-pilotes. Suivra la conclusion de partenariats commerciaux avec les différents intervenants pour organiser la ligne globale du recyclage et enfin il y aura une feuille de route nationale pour la valorisation des déchets textiles en Tunisie.
Les avancées du secteur
Récemment la FTTH a signé le pacte de compétitivité, initié par le Conseil d’Analyses économiques. Elle se trouve donc, sur une pente d’ouverture à tout ce qui se fait à l’international. Et ses dirigeants sont particulièrement réceptifs. Quelques marques tunisiennes ont déjà pris les devants. C’est notamment le cas de la SITEX. Cette dernière fabrique le tissu de jean Denim et a acquis une notoriété certaine à l’international.
La SITEX récupère 90% de ses déchets de fabrication. Elle économise les émissions de CO2 à hauteur de 6 000 tonnes. Elle recycle ses eaux usagées à hauteur de 57% avec l’objectif d’aller à 100%. L’entreprise affecte une partie de ses eaux usées à la culture du coton dans la région de Chebika où elle obtient des rendements supérieurs à la moyenne mondiale avec l’objectif de cultiver son coton à 100% biologique.
Elle a créé un cluster où 100% des déchets du Denim sont recyclés. Et en bout de chaîne 15% de ses produits sont en mode produits durables. Elle prévoit d’augmenter cette proportion à 75% en 2021.
Perspectives d’avenir
D’une manière générale, la Tunisie est par miracle bien lotie, pour booster l’économie circulaire dans le textile. Il se trouve qu’elle est la première plateforme continentale de réception de tri, de réexportation et de recyclage sur certains produits, de la friperie. Par conséquent le pays dispose d’intrants, en abondance. Ajouter que les pouvoirs publics sont sensibles à la diminution des rejets, émissions et incinération des déchets. Tous les ingrédients se trouvent réunis pour s’engager dans l’économie circulaire. Il leur reste à faire le marketing d’accompagnement. L’avantage, en la matière est que leurs partenaires commerciaux, sont déjà prêts.
Ali Abdessalam