Un regard d’ensemble sur l’historique des résultats de l’économie tunisienne, depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1956, montre que cette économie a perdu, au moins, trois décennies en termes de croissance et de développement par l’effet de la contre-performance et de l’incompétence de certains de ses dirigeants.
A preuve, 64 ans après l’indépendance, notre économie continue à souffrir de l’absence d’identité et de distinguo. Elle demeure, à bien des égards, sous-développée, peu intégrée, surendettée et toujours inapte à créer assez d’emplois, de richesses de valeur ajoutée. En cause ? Les lobbies voire les mafias de l’ère Bourguiba, Ben Ali et de la Troïka qui ont eu à partager le pays comme un butin.
Après avoir traité, dans un premier article, de la première décennie perdue (1960-1070), nous abordons dans le présent article les spécificités de la deuxième décennie (1978-1988).
Cette deuxième décennie 1978-1988 a été marquée par d’importants événements sociopolitiques d’une extrême violence, événements qui ont mené au plan économique, une décennie durant, le pays au bord de la banqueroute, ce qui a nécessité l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) et, depuis, l’enclenchement du pays dans une dynamique d’endettement excessif.
Le premier événement s’est déroulé le 26 janvier 1978. Il s’agit de la grève générale enclenchée par la centrale syndicale.
Des événements particulièrement sanglants
Menacée dans son autonomie, l’UGTT lance un ordre de grève générale qui a été l’occasion de sanglantes émeutes. Le bilan officiel fait état de 46 morts, mais plus de 200 selon d’autres sources indépendantes. Les blessés furent par centaines.
Le second événement, corollaire du premier, a eu lieu pratiquement deux ans après, en janvier 1980, dans la ville minière de Gafsa, considérée comme frondeuse vis-à -vis du gouvernement ou du moins du pouvoir central. En représailles au massacre qui a eu lieu le 26 janvier 1978, un commando de trente mercenaires venus de Libye et s’autoproclamant l’«Armée de libération tunisienne» attaque les casernes des forces de sécurité : armée, garde nationale et police.
L’armée est alors chargée de mater l’insurrection. Les affrontements seront particulièrement été sanglants.
Le bilan de cette tragédie fut lourd : 15 morts et 16 blessés parmi les civils, 2 morts et 2 blessés parmi les forces de l’ordre, 20 morts et 90 blessés dans les rangs des nouvelles recrues de l’armée, surprises dans la caserne Tlili, et 4 morts et 3 blessés parmi les assaillants.
En 1981, à la faveur des premières élections législatives pluralistes, les listes de couleur verte du parti d’opposition, le Mouvement des démocrates socialistes (MDS) connaissent un fort succès et, à la surprise générale, le parti remporte les élections. Cependant, le Parti socialiste destourien (PSD), parti au pouvoir à l’époque, empêcha l’entrée au Parlement du MDS, tandis que le ministère de l’Intérieur de l’époque annonçait de faux résultats.
L’année 1984 marque un autre événement sociopolitique douloureux : la révolte du pain. Les Tunisiens sont descendus dans la rue pour protester contre la décision d’augmenter les prix du pain et des produits céréaliers comme la semoule. Des affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et les manifestants. Le bilan officiel fera état de 70 morts.
Des crises qui ont fragilisé le pouvoir en place
Au final, on peut dire que la crise politique a prévalu, durant la période 1980-1986, avec le musellement de la centrale syndicale, l’échec des élections pluralistes de 1981 et la révolte du pain de 1984 qui fragiliseront énormément le pays.
Ces crises ont sanctionné de manière très sévère le modèle populiste de Mohamed M’zali et compagnie et ont pavé le terrain au coup d’Etat médical de 1987 de Ben Ali.
Les conséquences en sont : la destitution pour sénilité du fondateur de la République tunisienne, Habib Bourguiba, après 31 ans au pouvoir, la fin du Parti socialiste destourien (PSD) et de ses lobbies après 23 ans de mainmise sur l’économie du pays et l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle équipe qui s’avéra être une mafia politico-financière sous la conduite de Ben Ali. Une ère de l’Histoire de la Tunisie est désormais révolue.
Au plan économique, ces crises rapprochées dans le temps ont effacé tous les progrès accomplis, durant les années 70 avec 7% de croissance par an en moyenne, et généré la banqueroute du pays et nécessité l’aide du Fonds monétaire international (FMI) à travers un Plan d’ajustement structurel (PAS).
Banqueroute, PAS et désindustrialisation
L’objectif du PAS était de modifier le modèle économique du pays dans la mesure où une institution comme le FMI conditionne son aide à la mise en place de réformes qu’il considère pérennes. Il s’agit des fameuses conditionnalités, chastement appelées “étapes de suivi du PAS“. Celles-ci consistent à privatiser les entreprises publiques, à instituer la sous-traitance, à réduire de manière drastique la compensation, à sabrer dans les pensions des retraites et des salaires des fonctionnaires, à ouvrir le marché local aux investisseurs étrangers et à libéraliser au maximum les prix et les échanges économiques.
Mention spéciale pour la politique de désindustrialisation qui a été pratiquée au cours de cette décennie. Les partisans du libre-échange et du néolibéralisme sauvage ont mis à profit la mise au pas de la centrale syndicale pour fermer toutes les usines de montage, un savoir-faire acquis pendant la décennie 70 qui a été dilapidée au profit de l’importation de biens d’équipements.
Abstraction faite de toute idéologie, ce que les économistes patriotes du pays regrettent le plus, c’est la fermeture d’une usine stratégique comme l’usine montage des tracteurs de Mateur. Cette usine aurait pu contribuer, si elle n’avait pas été fermée, à l’intensification de la mécanisation de l’agriculture tunisienne et à la réalisation de l’autosuffisance alimentaire du pays.
Le troisième et dernier article traitera de la 3ème décennie perdue (2011-2020).
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