Un regard d’ensemble sur l’historique des résultats de l’économie tunisienne, depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1956, montre que cette économie a perdu, au moins, trois décennies en termes de croissance et de développement par l’effet de la contre-performance et de l’incompétence de certains de ses dirigeants.
A preuve, 64 ans après l’indépendance, notre économie continue à souffrir de l’absence d’identité et de distinguo. Elle demeure, à bien des égards, sous-développée, peu intégrée, surendettée et toujours inapte à créer assez d’emplois, de richesses de valeur ajoutée. En cause ? Les lobbies voire les mafias de l’ère Bourguiba, Ben Ali et de la Troïka qui ont eu à partager le pays comme un butin.
Dans les deux premiers articles, nous avons traité des décennies 1960-1970 et 1978-1988. Dans cette troisième et dernière partie, nous nous attaquons à la décennie 2010-2020.
Empressons-nous de signaler ici que cette troisième décennie (2010-2020) est similaire, à tous points de vue, à celle 1978-1988. Elle est jalonnée d’événements sanglants et d’erreurs de gouvernance politique qui ont mené le pays à une crise économique jamais inégalée au point que certains experts n’hésitent à qualifier la Tunisie d’un pays en faillite.
Au commencement, une insurrection non encadrée, en décembre 2010. Ces émeutes ont consacré une rupture nette avec la dictature de Ben Ali et l’accès au pouvoir de l’islam politique représenté par le mouvement Ennahdha.
Une décennie sanglante…
L’ère de l’Islam politique en Tunisie, qui a duré dix longues années, a été particulièrement sanglante : émergence du terrorisme dans le pays depuis 2011, assassinats politiques (2013), attentats meurtriers perpétrés contre les forces de sécurité (armée, garde nationale, police), des civils et des touristes (attentats du musée du Bardo et de Sousse). Elle a également vu une prolifération des armes dans le pays, la recrudescence de la contrebande, des agressions armées contre le territoire (attaque du village de Ben Guerdane le 7 mars 2016), embrigadement des jeunes pour participer aux guerres en Libye, en Irak, en Syrie, au Yémen, ce qui a valu à la Tunisie le titre peu reluisant de “premier pays exportateur de djihadiste“.
Face à l’émergence de ces fléaux d’extrême violence, les Tunisiens, généralement pacifiques et légalistes, ont fait assumer à l’Islam politique la violence qui a envahi le pays et l’ont sanctionné lors des échéances électorales qui ont eu lieu après celle de 2011.
En effet, par les chiffres, les électeurs de ce parti étaient de l’ordre de 1,5 million en 2011 avec une victoire nette lors de l’élection de l’Assemblée Constituante (ANC) et son accès au pouvoir pendant trois bonnes années dans le cadre d’une coalition avec deux partis soi-disant laïcs, Ettakatol et le Congrès pour la République. C’est ce qu’on a appelé à l’époque la Troïka.
Cet effectif est passé, en 2014, à 950 000 lors des élections législatives sanctionnées par un échec d’Ennahdha, qui n’obtiendra pas la majorité au Parlement.
Lors des municipales de mai 2018, l’effectif des électeurs d’Ennahdha va poursuivre sa diminution, de manière significative, pour atteindre entre 400 et 450 000 ; élections remportées par des listes indépendantes.
Lors de la présidentielle anticipée de 2019, le nombre des électeurs nahdhaouis (estimés à 434 000) est resté presque le même que lors des municipales, ce qui n’a pas permis au candidat du parti, Abdelfattah Mourou, de dépasser le premier tour.
Une économie en faillite
Au plan économique, le bilan de l’islam politique est désastreux. Les dirigeants qui se sont relayés, après le 14 janvier 2011, particulièrement la Troïka conduite par le parti Ennahdha, ont carrément conduit le pays vers la faillite.
A titre indicatif, aucun des objectifs fixés par le 13ème Plan (2016-2020) n’a été atteint.
Les indicateurs économiques sont au rouge avec une accélération de l’inflation, atteignant en 2018 et 2019 une moyenne qui dépasse les 7%, soit le double du niveau initialement prévu (3,5%).
Le chômage reste élevé à hauteur de 15,3% de la population active (contre un objectif de 12,2% fixé par le Plan pour 2020), sous-tendant d’importantes disparités allant du simple au double entre les régions côtières et les régions de l’intérieur, entre les hommes et les femmes et entre les non diplômés et les diplômés du supérieur.
Le déficit de la balance des paiements courants se creuse de plus en plus avec une moyenne de 10% du PIB entre 2016 et 2019, alors que l’on prévoyait de le réduire de 3% pour le maintenir à 7%.
Par ailleurs, le taux d’investissement passe de 19,4% du PIB en 2015 à 18,4% en 2018, et il est prévu un taux en dessous de la barre de 19% du PIB en 2019, soit un taux en retrait de 3 points de pourcentage du PIB par rapport aux prévisions du Plan.
La situation des finances publiques reste préoccupante avec une dette publique atteignant les 83% du PIB en 2019 malgré une relative détente observée depuis 2018. Les entreprises publiques, elles, n’arrivent pas à redécoller à cause d’une forte détérioration de leurs capacités de financement dont les fonds propres nets négatifs, en 2016, ont été de 2,9 milliards de dinars.
Et pour ne rien oublier, l’Islam politique a accéléré le rythme d’endettement dont la part du PIB est passée de 40% en 2010 à 89% en 2020 et même plus si on prend en considération les dettes des entreprises publiques et du secteur privées lesquelles ne sont pas comptabilisées dans le budget de l’Etat.
Conséquence : par l’effet de l’ensemble de ces politiques, l’économie du pays est une économie sinistrée et en récession.
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