Au moment où la communauté internationale s’apprête à célébrer la Journée internationale de la femme (le 08 mars 2020), les dernières négociations sur la formation du 11ème gouvernement tunisien après la révolution ont dévoilé le volume des disparités et des inégalités que subissent la junte féminine tunisienne malgré les discours des différentes fractions politiques vantant l’arsenal juridique tunisien promouvant les droits de la femme et sa place politique.
En effet, le prochain gouvernement, dont la composition devrait être révélée ce vendredi après-midi, ne compterait que seulement trois femmes. Le gouvernement proposé précédemment par Habib Jemli n’avait compté que 4 ministres femmes sur un total de 28 ministres et 6 secrétaires d’Etat. Jemli avait pourtant annoncé que la représentativité de la femme serait aux alentours de 40% alors qu’elle s’était limitée à 24%.
Selon lui, la faible représentativité de la femme serait due à l’absence de compétences féminines en Tunisie alors que la présence de la femme aujourd’hui dans l’université tunisienne est égale ou supérieure à celle de l’homme et ce, en tant qu’enseignante, étudiante ou chercheuse sachant que la Tunisie occupe la deuxième place mondiale au niveau du nombre de femmes dans le domaine des sciences, selon une étude publiée par la banque mondiale en 2019.
Absence de volonté
La déclaration de Jemli sur l’absence de compétences féminines a été largement contestée notamment par la présidente de l’Union nationale de la femme tunisienne, Radhia Jeribi, qui a souligné que la Tunisie compte de hautes compétences féminines capables d’occuper des postes politiques avancés et des portefeuilles ministériels de souveraineté.
Jeribi a estimé que la femme est placée dans le meilleur des cas possibles à la tête de 4 ministères qui ne valorisent pas ses vraies compétences alors que dans d’autres pays arabes et africains la femme est à la tête de ministères de souveraineté, à la tête du gouvernement ou du parlement.
Selon la présidente de l’UNFT, l’accès des femmes aux postes de décision est encore faible et le restera appelant le président de la république et le chef du gouvernement à rectifier le tir en accordant la priorité aux femmes dans la nomination des ambassadeurs, consuls, gouverneurs, directeurs généraux et autres.
Mentalité patriarcale
Pour sa part, la professeure universitaire spécialiste du genre social et activiste dans la société civile, Dalenda Larguech, estime que les raisons de la faible présence de la femme à la tête des départements ministériels malgré l’arsenal juridique et la stratégie nationale de promotion de la participation de la femme à la vie politique sont plutôt culturelles et sociétales et non pas politiques.
Selon Larguech, les politiciens qui sont à la tête du pouvoir sont eux même qui ont élaboré ces lois et ont pris des mesures pour promouvoir l’accès de la femme aux postes de décision, sauf de leur mise en application n’a pas suivi.
“Le fait d’attribuer seulement 4 ou 5 postes ministériels à la femme qui est autant compétente que l’homme démontre que l’écart est encore très grand et il reste encore beaucoup à faire pour atteindre l’égalité des chances surtout que ni la présidence du gouvernement, ni la présidence de la république ni la présidence du parlement n’a accordé l’intérêt qu’il faut à cette question”, a-t-elle dit.
D’après Larguech, les politiciens estiment que la femme est complémentaire de l’homme et doit occuper certains postes juste pour promouvoir cette image politique de promotion des droits de la femme alors qu’en réalité la femme n’est pas en train de bénéficier de son droit à l’accès aux postes lui permettant de jouer pleinement son rôle aux niveaux social et économique.
Une étude réalisée par l’association Aswat Nissa sur l’intégration du genre social dans les législations tunisiennes relatives au secteur sécuritaire entre 2014 et 2018 et dont les résultats ont été annoncés en juin 2019 a révélé que le taux de désignation des femmes dans les postes de responsabilité soit à la présidence de la république, du gouvernement ou des instances a baissé de 30% à 15%.
Elle a aussi démontré que le budget consacré à l’intégration du genre social dans le budget du ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors a aussi baissé à moins de 0,5% contre 2,5% auparavant malgré la publication du décret gouvernemental numéro 626 de 2016 sur l’intégration du genre social dans la planification et la programmation des budgets pour éliminer toutes formes de discrimination et réaliser l’égalité dans les droits et les devoirs entre tous les Tunisiens.
Sanctionner le non respect de la parité
La représentativité de la femme dans les postes de décision a resurgit de nouveau après l’annonce des résultats des dernières élections législatives en octobre 2019 qui ont montré une baisse de cette représentativité en 2014 et en 2019 puisque sa présence au parlement a reculé de 36% en 2014 à 23% en 2019 sachant que le taux de femmes têtes de listes électorales a aussi baissé à 6%.
Selon la juge et présidente de cellule au Centre des études juridiques et judiciaires au ministère de la Justice, Samia Doula, les lois qui garantissent la parité et la présence active de la femme sont insuffisantes puisqu’elles ne stipulent pas les infractions ou sanctions en cas de non-respect de cette parité.
Dans ce contexte, elle a fait remarquer que lors des élections des structures judiciaires, le bulletin électoral qui ne respecte pas la parité est considéré nul ce qui garantit une présence importante de la femme juge dans les différents postes de responsabilité (procureur de la république, président de la chambre criminelle…).
Par ailleurs, Doula a estimé que les médias sont aussi responsables de l’absence de la femme du paysage public vu qu’ils ne garantissent pas sa présence dans les émissions et programmes.
En revanche et malgré la faible présence de la femme dans l’assemblée nationale constituante, le principe de la parité a été imposé dans la constitution de 2014 notamment dans l’article 34 qui stipule que l’Etat doit garantir la représentativité de la femme dans les conseils élus outre l’article 46 qui est plus clair et qui a permis de renforcer la présence de la femme au parlement (72 sièges sur un total de 217 soit 33,1%) dans les élections législatives de 2014.
Ces résultats ont permis au parlement tunisien d’avoir le Prix du forum mondial de la femme en 2015 et ont classé la Tunisie à la 34ème position mondiale au niveau de la représentativité de la femme au parlement dépassant ainsi la moyenne mondiale estimée à 20%.