” Le cadre législatif est plutôt satisfaisant malgré quelques inadéquations avec les normes internationales, mais c’est essentiellement la pratique qui pèche “, a souligné jeudi Hélène Legeay, directrice juridique de l’Organisation mondiale de lutte contre la torture (OMCT).
“On constate et on salue les avancées réalisées par la Tunisie ces dernières années pour améliorer les pratiques et le cadre législatif afin de le rendre plus conforme aux standards internationaux et notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cependant, on constate de nombreuses lacunes tant sur le plan législatif que sur le plan pratique”, regrette-t-elle dans une déclaration à l’agence TAP en marge d’une conférence organisée à Tunis.
Cette conférence est consacrée à la présentation du rapport alternatif de l’OMCT, l’Organisation contre la torture en Tunisie (OCTT), la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) et Avocats sans frontières (ASF) élaboré à l’occasion du passage période de la Tunisie les 3 et 4 mars prochain devant le Comité des droits de l’Homme dans le cadre de l’examen du sixième rapport périodique en application de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Sur le plan législatif, Hélène Legeay a noté que la définition de la torture dans le code pénal tunisien (article 102 bis) est toujours inadéquate et non conforme à la définition internationale de la torture puisque d’après le code pénal tunisien, les tortures exercées pour punir des individus sont considérées comme de simples actes de violence.
” La violence est un délit en Tunisie et pas un crime, or en pratique les violences exercées par des agents de police contre des citoyens et parfois aussi contre des étrangers ne sont pas qualifiées par le code pénal tunisien comme actes de torture “, a-t-elle expliqué.
L’intervenante a, en outre, salué l’adoption en 2016 de la loi portant réforme de la garde à vue avec la présence obligatoire d’un avocat, dénonçant toutefois la non application de cette réforme législative. “Peu nombreux sont les Tunisiens qui bénéficient d’un avocat alors qu’ils sont placés en garde à vue pour crime et encore moins nombreux ceux qui en bénéficient alors qu’ils sont placés en garde à vue pour délit”, a-t-elle ajouté.
De son côté, Jamel Messalem, président de la LTDH, a souligné que l’usage de la torture en Tunisie est moins systématique qu’avant la révolution mais elle continue d’être fréquemment employée à l’encontre de victimes aux profils divers.
Les tortures et mauvais traitement demeurent aussi une méthode répandue d’obtention d’aveux de la part des suspects de droit commun mais aussi de terroristes présumés.
Selon le rapport, au cours de ces quatre dernières années, dix cas de décès suspects sont survenus dans des circonstances non encore élucidées pour la plupart au cours ou peu après la fin d’une garde à vue ou en prison.
Dans ce contexte, les organisations qui ont élaboré le rapport estiment que de nombreuses réformes législatives et pratiques devraient être élaborées pour lever tous les obstacles qui jalonnent le chemin vers la justice.
Parmi ces mesures, l’Etat devrait, selon le rapport, donner aux procureurs et juges d’instruction la latitude et les moyens pour mener une enquête sérieuse impartiale et prompte.
S’agissant des conditions de détention dans les prisons, le président de la LTDH a estimé qu’elles sont encore largement en dessous des standards internationaux à cause de la surpopulation carcérale d’où la nécessité de réfléchir à des peines alternatives.
Par ailleurs, le processus de la justice transitionnelle en Tunisie reste fragilisé par une absence de volonté politique et de moyens nécessaires à son bon déroulement, souligne la même source estimant que pour réaliser la transition démocratique il faut assurer la justice transitionnelle.
Messalem a aussi ajouté que des dizaines de milliers de Tunisiens sont aujourd’hui fichés et soumis à des mesures de contrôle administratif de la part du ministère de l’intérieur en raison de leurs liens présumés avec une activité terroriste.
” Il s’agit de mesures restrictives de liberté décidées par l’administration sans autorisation judiciaire et qui peuvent prendre des formes diverses telles que l’assignation à résidence, l’interdiction de quitter le territoire, les convocations répétées au poste de police, les perquisitions en dehors de toute procédure judiciaire… “, a-t-il signalé.
Le rapport souligne également l’urgence de réviser le système d’aide légale, notamment le fonctionnement des bureaux d’aide juridictionnelle, d’allouer les moyens financiers nécessaires au bon fonctionnement de l’aide légale et de sensibiliser les justiciables à leurs droits en la matière.
Adopté le 16 décembre 1966 par l’assemblée générale des Nations Unies, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été ratifié par la Tunisie le 18 mars 1969.
Les 3 et 4 mars prochains, la Tunisie sera examinée pour la sixième fois depuis la ratification du Pacte par le Comité des droits de l’homme composé d’experts indépendants qui surveillent la mise en œuvre du Pacte.
Les observations finales du comité des droits de l’homme constituent une sorte de feuille de route des réformes que la Tunisie devra mettre en œuvre avant son prochain examen par le même comité pour garantir un meilleur respect du Pacte par l’Etat.