En 2011, une dynamique démocratique a levé. Elle fut vite détournée en une option pour le parlementarisme. Les partis en viennent à suppléer le peuple. Depuis, le pays vit une crise politique persistante. La transition s’enlise ou s’égare. L’instabilité s’installe dans la durée et le pacte républicain est sous pression. Gare à l’union nationale.
Notre confrère le magazine Leaders a édité une compilation des éditoriaux, une cinquantaine environ, de Mansour Moalla. L’ancien ministre de Bourguiba a publié sans interruption dans les colonnes de ce magazine, entre 2011 et 2019, une série de “Ce que je crois” en liaison avec les soubresauts et les hoquets de la transition dans notre pays.
Il faut bien reconnaître que ce parcours a été chaotique et hautement accidenté. Il a fini par mettre à mal l’union nationale, dénonce l’auteur, péril le plus redoutable d’entre tous. Ce mal est en effet porteur de toutes les tensions et des risques d’affrontement en tous genres.
Pour le conjurer, Mansour Moalla propose le pourquoi et le comment du processus de renforcement de l’union nationale.
Un hommage grandiose
Le livre est intitulé “Sortie de crise et union nationale, comment et pourquoi”. Il est préfacé de la main du Pr Abderrazak Zouair, professeur et chercheur universitaire, ancien ministre dans le gouvernement de Béji Caïd Essebsi et ancien président du Conseil d’administration de l’UBCI.
Leaders a présenté l’ouvrage au public le mardi 25 février lors d’une somptueuse rencontre entre l’auteur et nombre de ses amis, ses collègues, ses compagnons de route, des représentants des partis politiques, ministres encore en poste, ceux en devenir, et autres admirateurs et disciples, et bien entendu les représentants de la presse. Tous étaient venus, tous étaient là.
L’establishment tunisien dans toute son étendue était représenté.
Cet hommage grandiose a ému l’auteur. On saluait la personnalité politique pour sa respectabilité saluée de tous, et sa rectitude, unanimement validée.
Cette rencontre était placée sous le haut patronage du gouverneur de la BCT, Marouane Abassi, qui était présent à la cérémonie et a pris part au débat qui en a suivi. Les échanges étaient passionnés, intenses, parfois critiques et d’excellente facture.
Un parcours conséquent : Rigueur et responsabilité
Mansour Moalla est lié de manière charnelle et organique à la Tunisie de l’indépendance. Jeune étudiant à Paris, il s’est engagé dans les rangs du Néo Destour et a fait la connaissance de Bourguiba au moment où le pays engageait la dernière ligne droite du mouvement national.
Une relation de respect réciproque caractérise leur relation née dans la ferveur de la mère des batailles, celle de la libération du pays.
Sa thèse de doctorat est intitulée “L’Etat tunisien”. Il est dans la logique des choses qu’il s’insurge quand le pays tangue de tous côtés et qu’il invoque l’impératif d’union nationale. Cette dernière est à ses yeux le ciment de l’Etat. La crise politique qui s’incruste dans la scène nationale menace, sérieusement, cette union.
Mansour Moalla, comme à l’accoutumée, s’est lancée dans la bataille mettant à l’index les fourberies politiques qui portent atteinte à l’Etat. L’homme s’est taillé une réputation de franchise et ne s’est jamais départi de son parler vrai ni de son franc parler.
Il n’a jamais mâché ses mots, avec le président Bourguiba et a repris sa liberté en quittant le gouvernement, désavouant les choix économiques de l’époque Ben Salah. Pas plus qu’il n’a hésité à se démarquer de Mohamed Mzali, Premier ministre, pour ses écarts de gouvernance.
Il a croisé le fer avec l’ancien régime, pour désaccord sur les orientations politiques qu’il désavouait. On sait de quelle trempe est fait Mansour Moalla et on connaît se faits d’armes, autant dans ses prestigieuses fonctions politiques qu’à diverses responsabilités managériales dans le privé, et notamment à la tête de la BIAT dont il était co-fondateur.
Pareil à la tête du GAT. Ou à la présidence de l’IACE, think tank, qui contribuait à enrichir le débat dans le pays par des études prospectives poussées.
Les invités ont accouru nombreux ce mardi 25 février, en grande partie pour saluer les positions personnelles de l’auteur et son courage politique, ainsi que sa rigueur intellectuelle. Et ce qui paraissait parfois comme étant une rigidité inflexible n’était qu’un attachement à un référentiel de valeurs, témoignant d’une probité intellectuelle.
On refait le match !
Mansour Moalla regrette profondément dans ses écrits que l’Etat de l’indépendance, dont il est l’un des artisans, ait tourné le dos aux libertés, éludant l’Etat de droit. Et voilà que l’euphorie du 14 janvier 2011 fut, elle aussi, détournée vers le parlementarisme porteur d’instabilité. Tout est à reprendre. La proportionnelle est désastreuse. Elle fait la partie belle aux partis politiques, refoulant la volonté populaire.
En effet, les électeurs sont contraints de voter pour des listes qui leur sont dictées par les états-majors des paris. Elle atomise l’Assemblée, favorisant l’instabilité politique.
La loi électorale, le régime politique, les mœurs partisanes, la gouvernance publique induite par le parlementarisme sont à reprendre.
Mansour Moalla préconise le reformatage de l’ensemble. Quand il préconise le scrutin avec liste uninominale à deux tours, il a la majorité des Tunisiens derrière lui. Cela vaut pour l’ensemble de ses propositions que nous prenons la responsabilité de rapprocher de celles de BCE. Celui-ci avait ouvertement appelé à aller vers le régime présidentiel et non présidentialiste, à renouer avec les liste uninominales et le vote à deux tours et tout ce qui s’ensuit.
La portée d’un recueil de textes
A la lecture du livre, on se rend compte que Mansour Moalla ne perd pas le fil de ses idées et que l’ouvrage possède, malgré tout, une certaine cohérence, un fil conducteur.
Cet ouvrage est-il pour autant un manifeste politique ? Pas vraiment, serait-on tenté de répondre. Le recueil de textes ne présente pas une filiation réelle avec la philosophie politique. Il établit de quelle manière le texte constitutionnel a dribblé avec les attentes démocratiques du peuple. Et même les laconiques explications du président de l’Assemblé nationale constituante (Mustapha Ben Jaâfar), présent lors de la cérémonie, n’ont pas dissipé ce que pensent les Tunisiens de la tentation -machination- parlementariste de la Constituante.
Comment dès lors aller vers la sortie de crise sans dégâts ? BCE avait préconisé le consensus “Ettawafek”. En faisant un bon mot, Mansour Moalla dit que cela tourne à un consensus de façade, une sorte de marché de dupes le qualifiant de “Ettanafouk”. Le consensus est un attelage fragile, mais il évite l’instabilité. Peut-il user l’adversité politique ? Pas sûr!
L’auteur dit pourquoi et comment piloter le travail de rectification de la transition. Toutefois, il n’indique pas qui pourrait être à la barre ? Il est vrai que Mansour Moalla a échafaudé une feuille de route de sortie de crise. Cependant, il y a fort à parier que l’on ne sortira pas de la crise tout le temps qu’en plus de la crise politique, il existe une carence de leadership dans le pays. Et s’il indique la manière dont on peut contrer les adeptes silencieux du Califat, il ne dit pas quelle riposte il convient d’opposer au courant des anti-systèmes.
L’auteur doit se remettre à l’ouvrage, pour actualiser ses propositions. On sait que l’effort pour la patrie ne le rebute pas. Alors, on attend la suite avec impatience.
Ali Abdessalam