Des voix, de plus en plus nombreuses, doute de la fiabilité des indicateurs économiques et financiers officiels, au point de parler de « maquillage délibéré des chiffres ». L’objectif du gouvernement actuel, mais les anciens aussi, est de construire -à travers les statistiques, budgets et lois de finances- une idée acceptable de la crise multiforme dans laquelle se débat le pays, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011.
En fait, cette pratique du maquillage n’est pas nouvelle. Elle rappelle, à un élément près, les politiques suivies au temps de Ben Ali. Ses ministres cultivaient la manie de maquiller chiffres, données, objectifs économiques, programmes sociaux et services publics, dans l’intention de maintenir, artificiellement, calme, stabilité et paix sociale.
Ces pratiques seraient de retour. Il n’y a qu’à voir la loi de finances 2020 et les récents rapports de bailleurs de fonds et d’agences spécialisées de l’ONU.
En raison de leur ampleur et de leur gravité, trois récents indicateurs traitant du taux de pauvreté, du déficit budgétaire et de l’endettement du pays méritent qu’on s’y attarde.
«La Tunisie n’a jamais eu de politique de lutte contre la pauvreté»
Le premier indicateur concerne le taux de pauvreté. Selon les critères monétaires de la Banque mondiale, 1,7 million de Tunisiens pauvres vivent avec 9 dinars par jour dont un demi-million environ vivent dans l’extrême pauvreté avec seulement 4 dinars par jour. L’ensemble des pauvres avoisinerait, selon ces critères, les 16-18% de la population.
A rappeler que la pauvreté est définie par la Banque mondiale comme étant le cas de tous ceux qui vivent avec moins de 3,20 dollars (environ 9 dinars) par jour dans les pays à faibles et à revenus intermédiaires. Quant au statut d’extrême pauvreté, il s’applique à ceux qui vivent avec moins de 1,90 dollar (5 dinars et demi) par personne et par jour.
Lire aussi: Chiffres de la pauvreté en Tunisie : Les clarifications de la Banque Mondiale
Si on applique l’Indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), c’est-à-dire un indice qui tient compte des différents aspects de la misère humaine (accès à la santé, à l’éducation, aux services administratifs élémentaires…), le taux de pauvreté en Tunisie serait supérieur à 25% de la population totale du pays.
Interpellé sur la chaîne de télévision privée «Atessaa», sur la crédibilité de ces chiffres, Mohamed Trabelsi, ministre des Affaires sociales sortant, a révélé que depuis l’accès du pays à l’indépendance en 1956, «la Tunisie n’a jamais eu de véritable politique de lutte contre la pauvreté. Tout ce qu’ont fait les gouvernements qui s’étaient relayés à la tête de pays a consisté à instituer des mesures d’accompagnement pour venir en aide aux pauvres du pays et non pour les extirper la de pauvreté». Sans commentaire.
Le déficit budgétaire serait supérieur à celui prévu par la loi de finances 2020
Le deuxième chiffre mis en doute porte sur le déficit budgétaire tel qu’il est prévu dans la loi de finances 2020. Remettant en cause ce déficit estimé à 3,8 milliards de dinars, soit 3% du PIB, Walid Ben Salah, expert-comptable et analyste financier, estime que «ce déficit est calculé de manière laxiste».
Car, d’après lui, ce déficit est quelque part artificiel. Il est calculé sur la base de déficits transférés aux entreprises publiques et sur la non prise en considération des créances non payées du secteur privé (quelque 250 MDT ne sont pas payés), lesquels ne sont pas comptabilisés.
Toujours d’après Walid Ben Salah, ce déficit budgétaire ne tient pas, également, compte du déficit social et de celui des établissements publics. Car le déficit d’institutions publiques comme les Caisses de sécurité sociales doit être en principe intégré dans le déficit du budget de l’Etat.
Le taux d’endettement serait de 89% du PIB selon la Banque mondiale
Le troisième indicateur contestée concerne le taux d’endettement. D’après la loi de finances 2020, l’encours de la dette de l’Etat -uniquement de l’Etat- sera de 94 milliards de dinars, ce qui représente 75% du PIB, soit 8 000 dinars par habitant, et ce sans tenir compte des dettes des entreprises et établissements publics, des garanties de l’Etat et des crédits de TVA et d’impôts des entreprises, et des dettes du secteur privé.
Si on s’amuse à additionner toutes ses dettes, l’endettement de la Tunisie dépasserait facilement les 110% du PIB.
Dans un rapport de suivi sur la situation économique de la Tunisie, publié le 9 octobre 2019, elle a révélé que «la dette publique tunisienne culminera, en 2020, à près de 89% du PIB contre un taux prévu de 72% en 2019, avant de commencer à décliner, en supposant que la dynamique de réforme s’enclenchera après les élections présidentielle et législatives».
Par-delà ces chiffres qui ne sont cités qu’à titre indicatif, car tous les autres indicateurs, ou presque, le sont également, s’agissant entre autres de la dette des entreprises publiques, de la compensation, de la pression fiscale, du déficit énergétique. Il suffit de les examiner de près pour s’en rendre compte. Cela pour dire que nous serions en plein dans le faux et usage du faux.