Ça fait quoi lorsque, dynamiques et actifs, on est obligés de rester chez soi ? Aujourd’hui lundi 23 mars 2020, c’est le 1er jour de confinement chez une majorité de Tunisiens. C’est aussi le 6ème, 7ème , 8ème ou 14ème chez ceux qui, doutant d’être positifs au coronavirus, se sont mis en quarantaine… volontairement.
Quand la liberté est la règle, être acculé au confinement n’est pas facile à vivre et principalement pour ceux habitués à meubler leurs journées et une partie de leurs soirées par le travail ou les activités sociales et le divertissement.
« Une équipe de chercheurs britanniques met en garde les dirigeants de la planète face aux effets potentiellement dramatiques des mesures de confinement imposées pour freiner le coronavirus », lit-on dans un article sur France info où l’on prévient quant aux précautions à prendre «au regard des possibles coûts psychologiques…». Il ne s’agit pas d’exclure tout
confinement, mais la plupart des études font état de conséquences psychologiques négatives, et certaines suggèrent des effets à long-terme.
Dans notre pays, les avis sont partagés entre ceux qui aiment la solitude, y sont habitués et l’apprécient, et ceux qui la découvrent et la craignent.
Pour notre collègue Faiza Majeri, journaliste, la solitude est un cadeau royal que nous repoussons parce qu’en cet état, nous nous découvrons. « Solitaire je suis. Depuis toujours et plus que jamais. La solitude est ce qui me fait tenir debout, avancer et créer. Enfant
unique, dans une maison de la Médina où nous étions près de 15 enfants, la cour nous unissait. Ma chambre, mon antre, mes livres étaient mes compagnons. Je ne sortais même pas pour manger. Nana ouvrait la porte juste pour passer le plateau et de nouveau, livres.
Née bipolaire, 70 ans après, c’est un bonheur de “voyager” seule autour de ma chambre. Vive le confinement ».
Aziza Hatira, ancienne présidente de l’UNFT et ex PDG du CEPEX, vit pour sa part la solitude dans l’inquiétude et l’attente, car sa fille est médecin dans un hôpital public. Elle rentre chaque jour pour ses enfants encourant les risques d’une contamination possible : « Nous essayons tant bien que mal de nous adapter ».
Brahim Oueslati, journaliste et ancien haut cadre de l’Etat, profite de ce confinement forcé pour faire de la lecture : « Je reste chez moi et je ne sors que rarement pour m’approvisionner auprès de l’épicier du coin. J’occupe mon temps par la lecture et l’écriture. J’en suis à mon second livre “Devenir” de Michelle Obama en livre de poche. J’ai dévoré».
Wassila Bourguiba, (au sens figuré bien sûr) de l’historien Noureddine Dougui édité au mois de février par Sud Editions. «Je conseillerai aux amoureux de la lecture un opuscule de Sophie Bessis sur les valeureuses cinq Tunisiennes dans l’histoire qui sont: Elyssa la Reine Didon, Aziza Othmana, Sayda Mannoubia, Habiba Menchari et Habiba Msika. Il n’est pas cher du tout (14 dinars seulement). Sinon, je profite pour suivre des émissions intéressantes sur des chaînes françaises, et je ne rate surtout pas choufli hall ».
«Je suis plus attentive à mon environnement naturel»
Etre obligé de « se tenir à carreau » au sens littéral du terme n’est pas de tout repos pour tout le monde. Il y en a que ça angoisse.
Ains, pour une dame qui préfère taire son nom, la difficulté est de responsabiliser les membres de la famille quant à la nécessité de respecter à la lettre les consignes de confinement et les mesures barrières : « Je vis très mal le confinement, mon mari et ma fille ne m’aident pas. Au contraire, ils me rendent la vie difficile, continuant jusqu’à il y a un jour à mener une vie normale. Ma fille qui ramène ses amis à la maison, et mon mari, devant la télé du matin au soir, n’enlèvent même pas leurs chaussures en entrant. Je fais tout, toute seule et je suis épuisée! Je dois trouver du temps pour moi, pour lire, regarder un film, mais je ne peux en profiter car je suis à un tel stade de fatigue que je m’endors comme un sac de patates. J’ai des enfants qui vivent à l’étranger et je m’inquiète pour eux. Mes parents sont âgés et fragiles et je ne peux même plus aller les voir. Bref, ce virus m’a usé les nerfs ».
Elle n’est pas la seule à vivre mal le confinement : «Beaucoup de tristesse dans mon quotidien que je remplis avec beaucoup de lecture, méditation et introspection. Rabbi yostorna el kol», commente une autre dame.
Mabrouka Guesmi, activiste dans la société civile qui a eu le mérite de gérer le projet des potières de Sejnane, meuble tant bien que mal ses journées par du sport sur le toit de la résidence au milieu des paraboles, de la lecture et le télétravail : «Tous les matins, sport et lecture en profitant des rayons du soleil du printemps qui ne sont heureusement pas soumis à la loi du confinement, besoin de vitamine D oblige. Je travaille par mail sans oublier les séances de nettoyage et de désinfection à l’eau de javel. Question alimentation, réduite au plus simple: légumes à la vapeur ou sautés, des œufs durs, fruits de saison et quand je manque de légumes et d’œufs, je compense par l’huile d’olive et un peu de pain et bien sûr tisanes et thé à longueur de journée. C’est le bonheur total ».
Jawhar Chatti, journaliste vit dans un confinement total et médite. «Je médite resque en ascèse. Le temps, fort précieux qui, à présent, file et se dilate, absolument incompressible, nous donne à méditer sur notre petitesse et notre insignifiance. Le temps de nous remettre en question, de penser à nous- mêmes, et par là de penser aux autres, à tous. De donner un sens et du sens, enfin, à l’empathie. Rabbi yahfafhna ».
Monia Jeguirim, entrepreneure, passe beaucoup de temps à méditer chez elle. «Je passe mes journées entre télétravail, lecture, musique, films, marche, vélo d’appartement et à mettre de l’ordre dans mes papiers. Je suis plus attentive à mon environnement naturel, les fleurs, le chant des oiseaux… on est si peu de chose face à ce virus invisible ».
Pour les mamans, même les nanties, ce n’est pas facile
Pour les mamans dont les enfants n’ont même pas dix ans, les choses ne semblent pas évidentes, même si elles font contre mauvaise fortune bon cœur. Une maman, en quarantaine, en témoigne : « Je fais les tâches de tous les jours, je lis, je consulte les dernières nouvelles sur le site de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), je suis les conférences de presse de différents pays, publie les informations dont je vérifie la véracité sur la page : droits du citoyen et appelle mes proches pour avoir de leur nouvelles. J’essaie de me rendre utile par téléphone pour rassurer et réconforter mes amis qui paniquent. Et les jours passent. C’est dur de changer ses habitudes mais il vaut mieux les sacrifier que de se mettre en danger et mettre les autres en danger.
Nous avons la chance d’avoir aussi un petit jardin où les enfants peuvent sortir se défouler lorsque le temps le permet. Sinon je m’adonne à des tâches qui n’en finissent pas surtout le ménage et le maintien de la maison en état (avec des enfants en mouvement constant). J’ai aussi plaisir à faire de la bonne cuisine saine pour ma famille, à mettre de la musique en faisant danser les enfants, en organisant des plages horaires de travail, et déconnexion pour ma paix intérieure avec une activité physique (8 km un jour sur 2). Il n’empêche, il y a des tensions surtout pour faire respecter les règles et procédures d’hygiène et de confinement.
Le plus important à retenir ici c’est que nous faisons partie d’une petite frange de privilégiés. Les moyens nous permettent de l’espace, de la sécurité physique, financière et alimentaire assurant notre confort et bien-être. Je n’ose pas imaginer les conditions de confinement chez les familles défavorisées et j’éprouve beaucoup d’empathie envers eux, même si cela ne les aide pas vraiment».
Selon qu’on est habitué à vivre seul ou en société, les appréciations diffèrent. Pour Boutheina Melki, présidente de l’Association Omniyati: «Je vis très bien le confinement car j’ai la chance d’être bien dans mon chez moi qui est un espace de vie réel et non un lieu d’emprisonnement ».
Nous n’avons pas tous cette chance, surtout lorsque l’exiguïté du lieu rend la promiscuité pesante et déprimante quand elle s’étale sur toute la journée.
Tout le monde n’a pas le même ressenti face à la solitude et au confinement. Car lorsqu’ils sont volontaires et choisis, ils peuvent être bénéfiques et profitables. Lorsqu’ils sont forcés ils peuvent être source de dépression et nous briser !
Dans un article publié sur Futura-sciences, on prévient aux risques engendrés par un confinement mal géré : « la méta-analyse pointe les symptômes de stress post-traumatique, la dépression, la colère, la peur, l’abus de médicaments, mais surtout le moral en berne.
En effet, l’effet le moins inquiétant relevé par les chercheurs et aussi le plus courant : le taux de prévalence du moral dans les chaussettes est de 73% ».
Dans un monde où le vivre pour soi a fait que les liens familiaux sont de plus en plus décousus et que l’intérêt envers l’autre est presque absent, le confinement forcé, à cause du coronavirus, d’un milliard de personnes de par le monde est peut-être une occasion pour méditer et re-réfléchir notre attitude envers autrui, envers notre planète, notre mode de vie et notre rôle pour vivre mieux et plus.
Amel Belhadj Ali