A quelque chose malheur est bon. La crise du corona a montré de nouveau l’incapacité de nos gouvernants à gérer les crises, leur manque de diplomatie et un amateurisme révoltant dans la communication politique et économique.
Et même si nombre de « communicateurs » professionnels estiment que les temps ne sont pas aux critiques, car le taux de réceptivité des uns et des autres est orienté Covid-19 seulement, il est quand même utile de rappeler certaines vérités et de remettre les pendules à l’heure.
En premier -et parce que nous sommes en guerre contre un virus monstrueux qui a mis à genoux le monde, il aurait fallu que notre chef de gouvernement, nos ministres et nos responsables politiques fassent justement de la politique et ne s’adonnent pas à leur exercice favori : un populisme à deux balles !
Il aurait fallu que l’on en appelle à la conscience citoyenne de tous les Tunisiens, riches pauvres, instruits et non instruits, grands et petits pour les faire adhérer à l’armée qui mènera la guerre contre le coronavirus, chacun selon ses moyens.
Les menaces n’avaient pas voie au chapitre surtout lorsqu’elles s’adressent aux opérateurs privés patriotes, solvables et respectueux des droits de leurs travailleurs et de ceux de l’Etat. Ces opérateurs, rappelons-le, sont des Tunisiens et pas des colons venus sucer le sang. Et « indigènes ». Et si ça se trouve, corona ou pas, les opérateurs contrevenants, qui n’assurent pas, tomberaient sous le coup de la loi qui doit être appliquée sans l’intervention des protecteurs politiques, laquelle protection est devenue monnaie courante ces temps-ci.
Dans l’attente, syndicats et services gouvernementaux -le fisc en tête- veillent au grain.
Donc pas besoin de menaces, car quand c’est l’Etat qui les profère, il devient un “Etat rançonneur”, ce qui est indigne, dans le cas de la Tunisie, de la première démocratie du monde arabe. C’est d’autant plus choquant qu’en règle générale, il est d’usage que lorsqu’elles doivent intervenir financièrement en temps de crise, les autorités publiques associent le secteur privé qui contribue comme il se doit à l’effort de « guerre », en vue de limiter les coûts pour le Trésor public.
Ne tuez pas le messager, Monsieur Fakhfakh !
Dans un discours solennel où le chef de l’exécutif s’adresse au peuple pour rassurer, mobiliser et unir, pas question de menaces. Il n’y a pas de nombreuses “Tunisie”, il y en a une et une seule qui unit en son sein toutes les catégories socioprofessionnelles et toutes les Tunisiens quel que soit leur âge, et d’où qu’ils viennent.
Mais lorsque le glas de la division est sonné par un CDG, cela devient grave pour un pays fragilisé par 10 ans de transition politique et économique. Pourtant, ce qui est déterminent dans le contexte actuel, c’est la confiance !
Alain Peyrefitte, homme d’Etat, diplomate et écrivain français, en a parlé dans un ouvrage paru en 1995 portant le titre : «La Société de Confiance». Cet ouvrage a le mérite de creuser ce concept de “confiance” considérant que «l’attitude de confiance» ou de défiance apparaît « comme la quintessence de conduites culturelles, religieuses, sociales et politiques, qui exercent une influence décisive sur le développement».
Son hypothèse est que « le ressort du développement réside dans la confiance accordée à l’initiative personnelle, à la liberté exploratrice et inventive – à une liberté qui connaît ses contreparties, ses devoirs, ses limites, bref sa responsabilité, c’est-à-dire sa capacité à répondre d’elle-même ».
Il aurait tout juste fallu faire appel à la conscience citoyenne, au sentiment d’appartenance et la responsabilité de tous vis-à-vis de notre pays et de notre peuple.
En déclarant que parce que la bataille de la lutte contre le corona est coûteuse, que l’Etat sera obligé de prendre des mesures strictes à l’encontre des entreprises qui ne participent pas de manière volontaire aux efforts de financement de la guerre contre le Covid-19, le CDG a ouvert les hostilités contre un partenaire économique important.
Il a été suivi par les ministres « révolutionnistes » d’Al Chaab et du Tayaar. Le ministre du Commerce a presque traité les entrepreneurs de voyous, ce qui a suscité l’indignation de nombre d’opérateurs privés.
Monia Jeguirim Saïdi, entrepreneure, a réagi ainsi :
«Très surprenant d’entendre le ministre du Commerce parler ainsi des entreprises et des groupes industriels et commerciaux comme des voleurs qui ont fait leur beurre sur le dos de l’Etat et des Tunisiens. Monsieur le mMinistre du Commerce, si vous dites que certains s’enrichissent de façon illicite sur le dos de l’Etat et des Tunisiens, c’est que l Etat est complice. L’Etat est responsable de l’application des lois et de contrôler tous les secteurs d’activité économiques. Il est évident que les groupes industriels et commerciaux sont appelés à contribuer en cette période de crise. Mais les inciter à le faire avec une allusion que c’est de l’argent volé, c’est inadmissible!».
Les menaces gouvernementales ne se sont pas arrêtées là. Cerise sur le gâteau, Ghazi Chaouachi, ministre des Domaines de l’Etat et de la Propriété foncière, a continué sur la même lancée en disant que l’Etat pouvait obliger les privés à contribuer par la force au financement de la crise. Il a oublié qu’on ne pouvait punir les récalcitrants en règle avec la loi en leur assenant des impôts d’exception et que parler ainsi fera fuir les investisseurs étrangers opérant aujourd’hui en Tunisie et ceux à venir.
Elyes Fakhfakh, qui avait pourtant pris des mesures applaudies par les patronats tunisiens, pour aider les entreprises en situation de crise, n’a pas eu assez de clairvoyance pour savoir qu’on n’obtient rien ou peu par la menace. Car lorsqu’on voit des pays comme Malte, l’Espagne, l’Egypte, le Portugal et d’autres offrir la nationalité à tous les investisseurs qui mettent entre 200 000 et 500 000 euros dans leurs pays, on ne peut prendre le risque de pousser les créateurs de richesses vers la porte de sortie.
Le capital est lâche et de nos jours, il y a de par le monde des chasseurs d’entrepreneurs !
Qui ne le sait pas ? Sauf si le but ultime du “gouvernement des socialistes staliniens” est de finir par nationaliser le secteur privé. Et ça sera de nouveau une exception tunisienne lorsque nous voyons les fiefs du communisme dans le monde : la Russie et la Chine se libéralisent.
Les deux poids, deux mesures du gouvernement Fakhfakh
Les menaces ne servent à rien, contrairement aux appels au patriotisme, à la solidarité nationale et la responsabilité de tous les acteurs de la société à s’investir pour aider leur pays à dépasser la crise. D’ailleurs, nombreux sont les Tunisiens opérateurs privés et salariés qui ont proposé spontanément et volontairement leurs aides à leurs pays, ce qui est plus un devoir qu’une obligation. Grands groupes, banques et simples chefs d’entreprise ont offert des centaines de milliers de dinars au 18/18, au ministère de la Santé, ou aux gouvernorats.
Beaucoup d’autres sont prédisposés à offrir leurs aides à condition de savoir comment est utilisé et où sera investi l’argent. Ce qui est tout à fait normal car à ce jour nous ne savons pas où et comment seront gérés les dons versés au 18/18.
D’un autre côté, nous n’avons pas entendu parler de mesures d’austérité prises par le gouvernement comme le fait de limiter l’usage des voiture de fonction à un seul véhicule ou de réduire le nombre des bons d’essence accordés à l’armada de ministres et conseillers avec rang de ministre lesquels, pour la plupart, ne sont pas d’une grande efficience pour l’Etat et le pays.
Mais ce qui est le plus affligeant, c’est que personne parmi ces hauts responsables n’a appelé les acteurs de l’économie parallèles à entrer dans les rangs de l’économie formelle, ce qui pourrait peut-être doubler les recettes fiscales et redonner du punch au tissu économique du pays.
Normal, on évite les sujets qui font peur et qui menacent les protecteurs des destructeurs de l’économie nationale.
Le ministre du Commerce n’a pas parlé avec autant d’enthousiasme de mesures pour limiter les importations superflues de Turquie et de contrôle rigoureux des prix. Il n’a pas parlé des réserves stratégiques des produits de consommation courante et surtout l’agroalimentaire dans lesquelles on puise aujourd’hui au risque de se trouver dans deux mois face à des marchés vides.
Personne n’a osé parler des entreprises publiques presque toutes en faillite et qui elles, telles des sangsues, sucent vraiment le sang des Tunisiens et puisent dans les ressources de l’Etat aux dépens du social.
Plus d’une centaine d’entreprises -presque toutes en faillite- qu’on n’arrive pas ou qu’on ne peut pas restructurer parce que leur restructuration nécessiterait près de 3 millions de dinars pour renouveler leurs outils productifs.
Des entreprises qui ne font aucun bénéfice et qui par conséquent ne sont d’aucun apport à l’Etat pour ce qui est des impôts.
Des entreprises sans aucune valeur ajoutée et qui sont une source de gaspillage des deniers publics.
Ils sont loin les temps où la CPG, la STIR, Tunisair ou la CTN rapportaient gros à l’Etat et ajoutaient des points au taux de croissance du pays.
Dans quelques temps, lorsque la crise du Covid-19 sera loin derrière nous, il faut espérer que les entreprises sur lesquelles gouvernants et gouvernés s’acharnent arrivent à garder leurs capacités et leurs employés car sinon et au train où vont les choses, Monsieur Fakhfakh et son gouvernement « révolutionniste » devront gérer une autre crise : celle de dizaines de milliers de chômeurs !
Le populisme n’a jamais représenté la meilleure approche pour gérer les affaires de l’Etat ! Etre populiste pour être élu, cela peut passer, mais gérer l’Etat en populiste, c’est sonner son glas !
Amel Belhadj Ali