Un constat : les acteurs politiques en Tunisie ont cette fâcheuse tendance à montrer, souvent, qu’ils sont incapables de travailler en équipe même quand il s’agit de nobles initiatives extranationales. Le récent appel lancé, à partir de Tunis, pour demander au secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, Antonio Guterres, d’organiser la solidarité mondiale contre la pandémie du coronavirus et de convoquer, à cette fin, une réunion d’urgence de l’Assemblée générale de l’ONU, en est une parfaite illustration.
Au commencement, c’est le secrétaire général de la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT), Habib Guiza, qui aurait eu l’idée de lancer, à cet effet, une pétition internationale en quatre langues (arabe, anglais, français et espagno) avec le soutien du militant altermondialiste belge Pierre Galand et d’organisations syndicales nationales et internationales.
Objectif : mener une campagne mondiale contre la pandémie du coronavirus aux fins « de prendre des mesures concrètes de solidarité, de mobiliser tous les moyens nécessaires pour sauver le maximum de vies du coronavirus et d’esquisser un Plan d’Action pour prévenir le retour de ce fléau et d’autres et promouvoir un ordre mondial de santé équitable ».
Que contient la pétition de Habib Guiza ?
Cette pétition, actuellement diffusée sur le Net pour signatures, stipule : «face à cette pandémie, nous avons besoin d’une réponse mondiale. Nous avons besoin de faire preuve de solidarité. Non seulement solidarité au sein de chaque pays, mais aussi solidarité entre les pays. Car le coronavirus ne connaît ni classes sociales ni frontières.
Pour assurer cette solidarité planétaire, nous avons besoin d’une coordination forte des Etats.
L’ONU est totalement dans son rôle pour assurer cette coordination pour mettre en œuvre cette solidarité mondiale ».
Pour conférer plus d’ampleur et plus de crédibilité à cette pétition, les initiateurs de cet appel ont jugé utile d’inviter, par une correspondance officielle, le président de la République tunisienne, Kaïes Saïed, à s’associer à cette initiative.
Ce dernier a pris acte de l’initiative puisqu’il en a fait allusion dans son discours prononcé le vendredi 20 mars 2020, à l’issue de la réunion du Conseil de sécurité nationale.
A ce sujet, le chef de l’Etat a indiqué, en substance, que « la gestion de cette crise doit prendre une dimension internationale, et évoqué la nécessité de l’intervention des Nations unies pour agir contre cette menace qui guette toute l’humanité ».
Kaïs Saïed en a fait une affaire personnelle
Depuis, il a décidé de faire une campagne internationale pour faire aboutir cette initiative et mobiliser l’appui de plusieurs chefs d’Etat et souverains de pays frères et amis.
Dans cette perspective, il a téléphoné, ces derniers jours, au Roi de Jordanie, Abdllah II, au président mauritanien, Mohamed Ould El-Ghazouani, au Roi du Maroc, Mohammed VI, au président du Conseil présidentiel de Libye, Fayez el-Sarraj, au président algérien, Abdelmajid Tabboune, au président italien, Sergio Mattarella, au président iranien, Hassen Rohani, au président français Emmanuel Macron et au roi d’Espagne, Philippe VI.
Les entretiens ont porté sur la conjugaison des efforts au plan mondial en vue de faire aboutir son projet, celui de proposer au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution visant à unifier les efforts de toutes les nations pour faire face au coronavirus et éviter que chaque nation ne soit obligée de lutter toute seule contre cette pandémie.
Le chef de l’Etat a été beaucoup critiqué sur les réseaux sociaux pour avoir consacré, ces derniers jours, toute son énergie à cette campagne alors qu’il devait remonter le moral de son peuple confronté à la pire des épidémies.
Il lui a été, surtout, reproché de s’être adressé au Conseil de sécurité des Nations unies qui ne serait pas habilité à examiner ce type de question laquelle serait du ressort de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et à la limite de celui de l’Assemblée Générale de l’ONU.
Au final, le chef de l’Etat a été amené à tempérer son enthousiasme pour le projet. Et pour ne pas perdre la face, il a dû se contenter de se féliciter d’une déclaration du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, déclaration interprétée pr Kaïs Saïed comme une réaction positive à « son initiative ».
Dans cette déclaration, faite le 25 mars 2020, Antonio Guterres a annoncé « le démarrage d’un plan international de lutte contre la pandémie du nouveau coronavirus, COVID-19. On y lit notamment : «Le secrétaire général de l’ONU a considéré le coronavirus comme étant une menace mettant en péril l’humanité entière, d’où la nécessité d’unifier les efforts des différents pays afin de l’éradiquer. Il a également considéré que les efforts fournis par les pays à l’échelle locale sont loin d’être suffisants ».
Youssef Chahed s’y implique
Un autre homme politique tunisien s’est intéressé à cette initiative. Il s’agit de Youssef Chahed, ancien chef du gouvernement et actuel président du parti Tahya Tounès.
Dans un appel publié dans le journal Le Monde, ce dernier a invité, lui aussi, « le Conseil de sécurité de l’ONU à déclarer le monde en guerre, et à déployer partout les moyens pour donner un sens uniforme et symétrique à cette guerre ».
Sous le titre «Le maintien de la paix mais aussi le maintien de la vie», il a exhorté la communauté internationale à témoigner, face à cette pandémie du Covid-19, de la solidarité des mieux lotis, en faveur des moins nantis, comme c’est le cas pour la plupart des pays africains. « Mon appel part de la Tunisie mais il s’adresse, au nom de l’Afrique et de tous les pays à faible revenu, au monde entier», ajoute l’ancien chef de gouvernement tunisien.
Cependant, la réaction de l’initiateur de ce projet à l’appel de Youssef Chahed fut immédiate. Dans une déclaration publiée dans le journal Chourouk, Habib Guiza tire à boulets rouges sur l’ancien chef de gouvernement et l’accuse d’avoir usurpé son idée.
Moralité de l’histoire : la seule chose qui reste de toute cette cogitation sur cet appel à un élan de solidarité internationale contre le Covid-19, c’est la pétition qui circule sur le Net.
Abstraction faite de cette campagne menée en rangs dispersés pour appeler, à partir de Tunis, à un élan de solidarité internationale face à la pandémie du Covid-19, les trois parties engagées dans cette affaire auraient pu se concerter et fédérer leurs énergies pour mieux faire parvenir le message. La Tunisie aurait pu en sortir plus grande. C’est vraiment dommage.