On en sait plus sur le déroulement du déconfinement. Mais on n’en sait pas davantage sur la mise en route de l’économie.
Dimanche 19 courant, au soir, Elyes Fackhfakh, chef du gouvernement, donnait une interview télévisée. Il entendait faire le point sur la gestion de la crise. Il en est le premier manager, et l’opinion le regarde, comme responsable de son issue.
Il était donc dans son rôle de s’en expliquer, d’autant que la crise est d’une ampleur inédite plongeant l’opinion dans un état d’expectative.
Ce sera un déconfinement ciblé
Voici pour les principales décisions retenues par le chef du gouvernement. Le déconfinement commencera le 4 mai prochain. Le pays sortira de son engourdissement forcé, de manière séquentielle.
Autrement dit, cela se fera par secteurs, régions et catégories d’âges. Ce sont autant de précautions, sensées empêcher l’épidémie de reflamber, et par conséquent de prévenir un retour au confinement.
Au début les activités utilitaires sont concernées. Probablement, les artisans et les petits métiers. Ce retour se fera selon des cahiers des charges lesquels comporteront des mesures de prévention, bien dans l’esprit des gestes barrières afin de ne pas favoriser la contamination.
Suivra l’éducation nationale. Ecoliers, collégiens, lycéens et étudiants seront informés le 29 avril sur la date et les conditions de la reprise des cours. Le calendrier des examens sera présenté dans la foulée.
On retient qu’il n’y aura pas d’année blanche, c’est-à-dire que les principaux examens à savoir la sixième, la neuvième et le baccalauréat auront bien lieu.
Pareil pour les concours et les diplômes universitaires. Il n’y aura pas donc de passage de classe systématique. Et c’est rassurant. La panne du confinement ne va donc pas gripper le système.
Qu’en sera-t-il pour le reste de l’appareil de production ? Le gouvernement est à la bourre, sans qu’on en sache davantage. Il convient de rappeler que la remise en marche de l’appareil de production est la pierre angulaire de la gestion de la crise.
Il faut savoir que des pays tels la Suède, la Suisse, la Grande-Bretagne et les USA ont arbitré en faveur du maintien en activité que d’un déconfinement aux dépens des retombées sanitaires.
Tout porte à croire que le bilan de santé de l’économie soldera l’exercice de la gestion de la crise. Qu’en est-il de la réalité du terrain?
Le Stream de la gestion de la crise
Elyes Fakhfakh poussait un discret Hourrah de satisfaction de voir que le service public a tant bien que mal fonctionné, alors qu’on pensait qu’il allait caler. Pas de panique, le système, dans son ensemble, n’a pas manqué de répondant. La pandémie nous épargné un gros méchant pic. Le système sanitaire a eu le temps de se redéployer.
On a fini par aligner des lits d’hôpital. Des espaces Covid sont organisés. Les tests de dépistage suivent, selon un protocole prioritaire rationnel. On dépiste les porteurs de symptômes. On isole, on oxygène et on réanime. Les masques finiront par arriver.
Sur cette question précise, comme sur quelques autres, on a confondu rapidité et précipitation. C’est regrettable ! Des laboratoires sont rapidement sur pied. Et soulagement extrême, le nombre des décès est infiniment moins lourd que pour la grippe saisonnière.
Sur un autre registre, le rapatriement des Tunisiens est pris en mains. L’approvisionnement des circuits continue.
L’Etat sévit, pour punir les spéculateurs ou les commerçants félons, à l’origine de pénurie artificielle, particulièrement pour les produits de base, telle la semoule.
Et sur le plan social, les subventions seront servies. Des applications pratiques, dons de nos start ups, seront activées. Cela nous évitera les rassemblements déplorables devant les bureaux de poste.
Enfin, à la veille du mois saint de Ramadan, le chef du gouvernement rassure. Les stocks stratégiques en alimentation, énergie et médicaments sont disponibles pour, au moins, trois mois.
Et petit geste d’attention pour la population, l’heure du couvre-feu sera repoussée de 18 h à 20 h.
Quid de l’enveloppe de soutien à mobiliser afin de faire repartir le système productif ? Elyes fackhfackh dit que c’est encore à l’examen. Qui paiera ? L’heure des sacrifices sonnera. Attendons pour voir.
Bas les masques !
Le chef du gouvernement a subi, avec la crise sanitaire, un mauvais coup du hasard. Il pensait démontrer ses talents de réformateur et redresser le pays. Il se retrouve dans une position mal-aisée, les quatre fers au feu, emmêlé dans l’urgence dictée par la crise du Covid-19. Cette dernière a été impitoyable avec les gouvernements en place, et les opinions broient du noir. C’est compréhensible car l’ampleur de la crise a mis à nu les défauts des cuirasses publiques, et l’état de leur impréparation, USA compris.
Elyes Fakhfakh se réjouit de ce que le système sanitaire ait pu résister. Toutefois cela ne masquera pas l’état de délabrement avancé du système de la santé publique en Tunisie. Et par-delà de tout le service public.
L’administration trop tatillonne se perd dans les labyrinthes procéduriers et s’enfonce dans la bureaucratie. Elle s’autodynamite. A preuve, le scandale des masques qui n’en est pas un. Et ce n’est pas le coup de gueule du chef du gouvernement sur un plateau de télé qui dissipera la perception de cette affaire dans l’opinion. Au crédit du gouvernement de punir les spéculateurs. Mais cela ne saurait tenir place d’une politique de lutte contre la corruption, laquelle a pris ses quartiers et laquelle semble échapper à toute riposte de la puissance publique.
Le pays aurait disposé d’un identifiant unique, tous les économiquement faibles auraient perçu leurs subventions dans le calme, sans risque de contamination. Le e-Gov et le open-gov, toujours reportés aux calendes grecques, auraient tiré une meilleure réactivité à l’administration et cela aurait contribué à améliorer la perception de son efficacité par l’opinion publique.
Exiger des entreprises de payer les salaires, en période de chômage technique, est une décision avisée, garante de paix sociale. En revanche, il faut s’obliger, avec la même sollicitude, à écouter leurs doléances. Et de notre point de vue, un coup de chapeau au
système bancaire a manqué. Les banques, à l’instar des blouses blanches, font face et s’exposent au plan du risque.
On ne le rappellera jamais assez, en politique, l’obligation de résultat prime. De ce fait, la performance économique arrive en tête. On a le sentiment que le chef du gouvernement, dans son interview, a privilégié la manière de séduire et convaincre. L’heure étant grave, elle tolérait un discours martial.
Ne sommes-nous pas en guerre après tout? La crise a surpris Elyes Fakhfakh. Cependant, elle lui offre une occasion précieuse de foncer dans le tas et de réformer en profondeur l’Etat. Après tout, c’est lui le chef. L’Histoire l’a convoqué. Sera-t-il au rendez-vous ? Mystère !
Ali Abdessalam