Lundi 20 avril, le temps a été suspendu sur la planète pétrole et les cours pétroliers US sont tombés raids morts ! Le monde, stupéfait, regardait sans y croire la chute vertigineuse du prix du pétrole brut américain (West Texas Intermediate ou WTI). Une baisse qui de zéro a régressé pour atteindre dans la journée des prix négatifs à tel point que le vendeur (ou l’intermédiaire) doit verser de l’argent à l’acheteur !
Une première fois dans l’histoire du pétrole américain : le cours du baril qui traverse une phase de prix dits « négatifs » jusqu’à dégringoler à -37 dollars.
Le choc pétrolier de 1971 à la suite du pic de production de pétrole des États-Unis avec pour conséquence l’abandon des accords de Bretton Woods, c’est du chocolat devant cette crise sans précédent causée par la chute de la demande conséquence de la pandémie covid-19.
Du jamais vu depuis la création de l’indice WTI au milieu des années 80 !
Comment en est-on arrivé là ? Et pourquoi, contrairement à ce qu’on pense, la baisse des cours mondiaux de pétrole ne créeront pas une opportunité d’achat pour les pays importateurs comme la Tunisie ?
Kamel Ben Naceur, ancien ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, et président mondial de la Société des ingénieurs pétroliers, a été l’un des premiers à avoir annoncé, il y a deux semaines, lors d’une intervention sur RTCI, que les prix du pétrole atteindraient un niveau négatif. Le pétrole américain a, en effet, atteint le prix de -37 dollars (c’est-à-dire que l’acheteur et non le vendeur reçoit 37 $ pour les livraisons du mois de mai. Les contrats du mois de juin sont à 20 dollars.
«Il faut revenir aux fondamentaux, explique Kamel Ben Naceur, c’est-à-dire au marché de la demande et de l’offre de pétrole. Du fait de la crise liée au COVID-19, il y a eu une énorme chute de la demande pétrolière au niveau mondial. Elle a impacté les pays asiatiques pour se propager aux autres grands consommateurs pétroliers, c’est-à-dire l’Europe et l’Amérique du Nord). Cet impact a surtout été le fait des secteurs de transport terrestre (automobiles et camions) et aérien. Le monde consomme aux environs de 100 millions de barils par jour, répartis entre les secteurs du transport, de l’industrie pétrochimique, et d’autres tels que la génération d’électricité. L’Agence Internationale de l’Energie estime que la chute de la demande au mois d’avril conduira à une réduction de la demande de près de 30 millions de barils par jour (30% de la production). C’est du jamais vu dans le monde pétrolier. Sur l’année 2020, et suivant les scenarios de reprise économique post-COVID 19, la chute de la demande pourrait atteindre 10% par rapport à 2019. Les pays producteurs n’étant pas arrivés début mars à s’entendre sur la réduction de production allant même jusqu’à l’augmenter, le surplus de pétrole doit être stocké ».
Le potentiel de stockage additionnel au début de la crise est estimé à 900 millions de barils de brut, développe M. Ben Naceur. Il est déposé dans des installations telles que les citernes, les tankers, les réservoirs souterrains, et autant (près de 1 milliard de barils) en produits raffinés. A un rythme de 30 millions de barils par jour de surcapacité, il devenait clair qu’en moins de 2 mois, les capacités de stockage allaient être épuisées.
Cusching, l’un des grands hubs pétroliers des Etats-Unis, saturé !
Le lundi noir (20 avril 2020), les contrats à terme de pétrole du WTI ont plongé en territoire négatif. Le pétrole produit dans l’ouest du Texas et non transporté vers sa destination d’utilisation (en général une raffinerie), devait être entreposé à Cushing, l’un des grands hubs pétroliers des Etats-Unis, depuis 1983 le lieu de livraison des contrats à terme de WTI négociés à New York.
Mais Cushing était saturé, par conséquent, les producteurs du Texas doivent ou bien réduire leur production, ou fermer les puits. « Quel que soit le scénario, il engendre des coûts conséquents, et souvent les puits ne redémarrent pas après fermeture. Les prix négatifs concernent les contrats pour le mois de mai. Et pour l’instant; avec la réduction de production conjuguée à une augmentation de la demande du fait de la reprise post-COVID, les prix du mois de juin redeviendraient positifs ».
Sur les marchés internationaux, l’indice des prix le plus utilisé est celui du Brent (qui correspond au pétrole de la Mer du Nord). D’autres indices sont aussi utilisés sur certains marchés régionaux tels que le Dubaï ou l’Oural (Russie).
C’est celui qui sert de référence dans la plupart des transactions mondiales. Cet indice de Brent (généralement référé comme le prix mondial du brut) a aussi chuté le 21 avril à un niveau inférieur à 20 dollars le baril, relève le président mondial de la Société des Ingénieurs pétroliers ce qui représenterait un des prix les plus bas (en dollars réévalués) depuis la seconde guerre mondiale !
Et la Tunisie dans tout ça ?
Depuis l’arrêt de la raffinerie de la STIR à Bizerte pour une mise à niveau (et sans doute pour 2 ans encore), la Tunisie importe pratiquement tout son pétrole en produits raffinés. Cette chute des prix du pétrole combinée avec la baisse de la demande due au confinement constitue une opportunité pour notre pays pour libérer des fonds nécessaires à sa politique de relance économique et de soutien des couches défavorisées du fait de la crise du COVID-19.
Pour Kamel Ben Naceur, l’impact est positif sur plusieurs plans :
– réduction des coûts d’achat (donc amélioration de la balance commerciale qui dépend de façon importante des achats énergétiques) ;
– réduction des coûts de subvention énergétique (électricité et gaz, essence, diesel) ;
– réduction du coût des importations de gaz (ce dernier étant indexé aux prix du Brent) ;
– réduction de la demande.
Peut-on faire plus? Oui, d’après lui. « Après l’accord des pays exportateurs (OPEC++) du 10 avril 2020, conclu en marge de la réunion du G20 en Arabie Saoudite, il y aura une réduction importante de la production de brut (au minimum de 10 millions de baril par jour), et on s’attend à un redressement des prix du brut dans la deuxième moitié de 2020.
Malheureusement, la Tunisie n’a pas de capacité de stockage et ne peut donc pas acheter des livraisons anticipées. Il y a toutefois la possibilité d’acheter du pétrole de façon anticipée avec des opérations de couverture de risque. Les tentatives passées en Tunisie pour faire du hedging ont été infructueuses (incluant celle de 2019). Il est donc sage de ne s’engager dans ce domaine qu’avec des compétences reconnues (en Tunisie et parmi la diaspora tunisienne)».
M. Ben Naceur estime que le rétablissement du ministère de l’Energie par Elyes Fakhfakh, nouveau CDG, et la désignation de Mongi Marzoug à la tête de ce ministère, il est important qu’une réflexion soit engagée au plus vite pour mettre en place une véritable politique énergétique à court, moyen et long termes afin d’optimiser les opportunités créées par l’évolution des marchés mondiaux.
A.B.A