Un baril de pétrole qui ne trouve pas preneur même à des prix négatifs, c’est ce qui relevait, il y a quelques mois, de la science fiction. Et pourtant, ceci est bien réel et a eu lieu lundi 20 avril 2020. Une triste journée pour les producteurs et opérateurs dans le secteur du pétrole américain.
Le Brent, le pétrole brut du Nord utilisé comme standard dans la fixation du prix du brut et comme matière première pour les contrats à terme sur le pétrole, se vend en Europe et en Méditerranée à près de 25 dollars le baril.
Le Covid-19 serait-il la seule raison de cette crise mondiale majeure? Peut-être. Mais il y a aussi la logique du marché. Depuis 2018, les USA produisent chaque jour 12 millions de barils de pétrole, alors que les membres les plus influents et les plus importants de l’OPEP se sont imposés des quotas pour maintenir les cours du baril à un niveau tolérable.
« Si nous considérons le pétrole comme un secteur stratégique, il faut en saisir les enjeux à l’international et leur impact sur le national, indique Khaled Kaddour, ancien ministre tunisien de l’Energie. Ce qui s’est passé lundi dernier n’a jamais eu lieu. Il s’agit en fait d’une baisse historique du WTA et d’une capacité de stockage saturée. Attention, il ne s’agit pas du Brent dont le cours est à 25 $. Il faut savoir que le prix du baril de pétrole est fixé à hauteur de 60% par la loi du marché (offre et demande) et 40% par la spéculation et le contexte géopolitique».
Ces derniers mois, les magnats américains du pétrole se sont adonnés à cœur joie à des pratiques de spéculation risquées sur le pétrole et en prime sur les livraisons du mois de mai. La pandémie Covid-19 a compliqué encore plus les choses, et les Etats-Unis, premier producteur mondial, sont aujourd’hui dans l’incapacité de stocker leur production pétrolière.
« La consommation de pétrole qui était à hauteur de 100 millions barils/jour a reculé de 30% et même de 40% dans certains pays, parce que les secteurs énergivores ont considérablement ralenti leurs activités. Nous pouvons citer l’aéronautique, les industries automobiles, la consommation électrique, les transports internationaux et autres industries. Le coût de revient pour un baril de pétrole américain varie entre 30 et 40 $, la baisse de la demande a entraîné la chute du cours. Et la surabondance de la production pétrolière ne facilite pas son écoulement».
Quid de la Tunisie?
La Tunisie, qui exporte du pétrole relativement cher parce que fini et raffiné, n’échappera pas à la baisse des recettes des activités pétrolières sur son sol et ce pour deux raisons. « Parce que le coût de production du baril dans notre pays se situe entre 27 dollars et 40 dollars, sachant que le prix d’équilibre est de 40 $, et que le baril du Brent se vend aujourd’hui à 25 $. D’autre part, les firmes pétrolières perdantes ne pourront plus s’acquitter des 85% d’impôts pétroliers, sans oublier la baisse attendue des gains de l’Etat sur le passage du pipeline qui traverse notre territoire pour approvisionner l’Europe puisque la demande énergétique du continent a baissé ».
La Tunisie pourrait tirer son épingle du jeu
Face à cette crise sans précédent du secteur pétrolier, la Tunisie devrait être en mesure de tirer son épingle du jeu.
Khaled Kaddour explique : « Il va falloir revoir la structure des prix pour bénéficier de la baisse des prix du pétrole à l’import et oser les réformes nécessaires en mettant fin à la subvention des produits pétroliers et de l’électricité. Les administrations et les industries doivent payer au prix réel qui est bas. Elles s’adapteront à la nouvelle logique des prix d’ici la fin de l’année où on atteindra le prix d’équilibre. Pour ce qui est des catégories sociales vulnérables où les ménages ne dépassant pas une consommation de 100 kw par mois, nous pouvons maintenir la subvention ».
Pour l’ancien ministre de l’Energie et des Mines, le gouvernement actuel doit saisir cette occasion inédite pour oser les réformes à moyen et long termes, et restructurer les sociétés de transport et la STEG. « Avant de parler d’une STEG déficitaire ou d’entreprises publiques déficitaires, il faut déterminer la responsabilité de l’Etat dans ce déficit. Pour le cas de la STEG, il faudrait peut-être que l’Etat lui rembourse son dû et assume son rôle social », interpelle Khaled Kaddour.
Les économistes ont toujours défini le choc pétrolier comme étant la résultante d’une hausse brutale des prix dont l’incidence est désastreuse pour l’économie mondiale.
C’est tout le contraire aujourd’hui, une baisse brutale du prix de pétrole associée à une crise sanitaire sans précédent.
La planète Terre est-elle en train de perdre les pédales, mondialisation oblige ?
Amel Belhadj Ali