«On considère le chef d’entreprise comme un homme à abattre, ou une vache à traire. Peu voient en lui le cheval qui tire le char», Winston Churchill
Le dilemme
Face à crise sanitaire du Covid, l’Etat est appelé à résoudre ce dilemme :
- Une réduction des recettes fiscales (IS, TVA, droits de douane …)
- Augmentation des dépenses sociales et des dépenses imprévues pour soutenir l’économie.
On est d’accord qu’on ne fait pas preuve d’ingéniosité en pensant résoudre ce dilemme par la pression fiscale ou des coupes budgétaires dans les dépenses d’investissement.
Le diagnostic avant le remède
Il faut savoir que tous les secteurs d’activités ne subissent pas la crise de la même manière et avec la même intensité.
A cet effet, on peut distinguer les catégories suivantes :
Catégorie A : Les secteurs qui connaîtront un boom comme le digital, le commerce en ligne, la santé, l’hygiène et les secteurs qui connaîtront un effet de revanche comme le prêt à porter et la grande consommation (effet observé en Chine).
Catégorie B : Les secteurs dont l’activité a été maintenue pendant la période de confinement et qui devront reprendre un rythme normal juste après le déconfinement (banques, assurances, télécoms, agroalimentaires et grandes distribution).
Catégorie C : Les secteurs dépendant de la demande étrangère et dont le temps nécessaire pour la reprise d’activité sera plus long en raison des politiques de déconfinement au niveau mondiale, la reprise de l’économie mondiale (supply chain et la demande).
Catégorie D : Les secteurs tributaires de l’investissement public ou de la mobilisation de l’épargne domestique qui vont connaitre une reconfiguration de leurs marchés comme pour le secteur de l’immobilier ou le secteur automobile.
Cette classification est d’autant plus importante dans un contexte de ressources limitée où l’Etat est amené à rationaliser ses interventions et orienter son soutien vers le secteurs les plus sinistrés.
Sauvetage de l’économie par l’investissement public
L’Etat devra montrer le chemin en ces temps de crise. Ça serait une erreur fatale que d’annoncer que l’Etat sacrifiera en premier son budget investissement pour faire face à la crise.
L’Etat est plus que jamais tenue de garder l’économie à flot pendant cette période de flottement où le seule salut passe par la commande publique. Ceci sans parler des nombreuses entreprises dont le principale client est l’Etat et qui souffraient bien avant cette crise de problèmes de liquidités dues au retard de paiement de leurs factures.
L’Etat a donc un rôle central à jouer par la voie de la dépense budgétaire en :
- Commençant par payer ses arriérés ;
- Mettant en place un mécanisme permettant un remboursement rapide des crédits d’impôts au même titre que la TVA ;
- Maintenant son budget investissement tout en revoyant les priorités (la digitalisation de l’administration, les infrastructures sanitaires et le transport…).
Concernant les ressources, l’Etat ne devrait pas s’attarder sur la recherche de nouveaux mécanismes fiscaux qui risqueraient de ne pas produire les effets escomptés tout comme par le passé.
Sur le court terme, la priorité devrait être plutôt donnée au sauvetage de l’économie et des emplois pour le rattrapage du gap des ressources occasionné par la crise. L’Etat sera sans doute amené à s’endetter mais le retour sur investissement n’est pas à démontrer.
L’Etat devrait également dégager des économies sur le chapitre subvention avec un baril moyen qui devrait se situer à 35-40 $ pour 2020.
Sur le moyen terme, l’Etat devrait « exploiter la crise » en mettant en place des programmes de soutien « smart » qui permettent de recenser et d’identifier les acteurs du secteur informel et préparer leur intégration dans l’économie formelle sur les deux prochaines années. Les amnisties ne changeront rien à la donne.
Se repositionner sur la nouvelle chaîne de valeurs mondiales
L’Etat doit prendre en compte que les décisions d’aujourd’hui vont définir le positionnement de la Tunisie dans la chaine de valeurs mondiales post-Covid.
Tous les groupes industriels du monde sont en train de tirer les leçons d’avoir misé principalement sur la Chine dans leur chaîne d’approvisionnement. Des nouveaux critères et des nouvelles priorités vont chambouler les décisions d’investissement post Covid.
Bien que l’élément « coût » risque d’être maintenu dans le tableau de bord des investisseurs, il n’en sera plus le facteur déterminant. La Tunisie doit pouvoir se positionner en tant que substitue sérieux à l’Asie dans les chaines de valeurs impactées.
Pour cela, la proximité de l’Europe est certes un atout mais ça reste insuffisant.
L’Etat devra tout d’abord élaborer un bilan des handicapes et des défaillances mise en avant par cette crise. Elle devra ensuite engager les réformes et les investissements nécessaires pour assurer une meilleure résilience face à ce genre de crise. Ceci passe impérativement par l’investissement dans la sécurité, le santé, le transport et la logistique…
Mais bien avant ça, la gestion de la crise actuelle, le comportement de la classe politique et des partenaires sociaux, la résilience des entreprises, l’agilité dans les décisions et la capacité collective à dépasser cette crise le plus rapidement possible et avec le minimum de dégâts sont déjà sous la loupe des investisseurs qui sont en train de mettre les dernières retouches sur leurs stratégies de redéploiement pour les dix prochaines années.
Appui à la restructuration des secteurs sinistrés
Parmi les mesures déjà annoncées, une enveloppe a été prévue pour la restructuration des entreprises.
L’activation de ce mécanisme de financement peut se faire à travers des prises de participation par l’Etat avec sortie sans intérêts au bout de 7 à 10 ans. Cela rendrait éligibles les entreprises concernées au crédit bancaire.
L’accès et ce type de financement pourrait concerner les secteurs « sinistrés» dont l’activité subira une période de latence longue après le déconfinement (plus de 6 mois) du fait la saisonnalité de leurs activités (on peut citer les secteurs du tourisme et du transport aérien).
Parmi les conditions qui pourraient être prévues pour accéder à ce financement :
- La présentation d’un plan de mise à niveau valorisée conforme aux orientations stratégiques de l’Etat pour le secteur ( Ecologie, économie d’Energie, amélioration de la qualité, formation …°)
- La signature d’un contrat d’objectifs et de performance avec l’Etat (COP)
- Le plan de mise à niveau devra être suivi par un tiers de confiance (Expert-Comptable) qui produira un rapport sur la conformité des investissement réalisés avec le plan de mise à niveau et un audit de la performance ;
- l’option d’exercice de l’Etat d’un droit prioritaire au remboursement avant toute distribution de dividendes si le COP n’a pas été respecté.
Appui au financement des entreprises
L’Etat a déjà annoncé la mise en place d’un mécanisme de garantie des crédits de gestion et d’exploitation accordés par les banques aux entreprises sinistrées pour une enveloppe de 500 Millions de dinars soit à peine 0,5% du PIB (contre 15% en France), trop peu sans doute.
Le but de ce mécanisme devrait être la consolidation de la trésorerie des entreprises qui vont subir une période de flottement de 3 à 6 mois après le déconfinement.
Parmi les conditions pour accéder à cette garantie, on peut envisager:
- Plafonnement du montant des prêts à 3 mois (ou 25%) de CAFF de l’année 2019 ou à la masse salariale annuelle pour les entreprises créés en 2019 ou ayant obtenue le label Startup Act
- Plafonnement de garantie entre à un % du prêt en fonction de la taille de l’entreprise ;
- Plafonnement de la marge de la banque par rapport au cout de refinancement (0,5%-1%);
- L’engagement du bénéficiaire de respecter des échéances de paiement des fournisseurs (pour éviter une crise plus importante sur le front du crédit interentreprises)
- Le maintien d’au moins 75% des emplois jusqu’ à la fin de l’année 2020
- la non distribution des dividendes jusqu’à remboursement du prêt (donc le remboursement sur 7 ans avec 2 ans de grâce devrait être une option pour l’entreprise).
Un plafond par entreprise devrait sans doute être prévue en raison du faible montant alloué à ce mécanisme. Des restrictions pourraient également être prévues pour les sociétés appartenant à des groupes dont l’activité principale (plus de 50% du CAFF) provient des secteurs des catégories A et B.
Appui aux exportateurs
Même si le déficit commerciale a évolué favorablement avec la crise, l’Etat devra faire face dans les prochains mois des tensions dans ses réserves de change en raison du forfait du secteur touristique, la baisse des envois des TRE, et l’accès au financement extérieur qui atteindra probablement ses limites avec la dégradation de la note souveraine. L’appui aux secteurs exportateurs revêt donc une importance majeure.
En plus des mesures prises au profit des exportateurs pour l’écoulement de leur marchandise sur le marché local, les mesures rapides suivantes peuvent envisagées être mise en œuvre pour appuyer les exportateurs :
- Permettre aux entreprises non-résidentes d’accéder au financement auprès des banques résidentes et à l’appui de l’Etat en contre partie de la domiciliation de leur CAFF dans des comptes couverts en Tunisie;
- Permettre aux prestataires de services de déduire tout impôt payé dans les pays avec lesquels la Tunisie n’a pas signé une convention de non double imposition de l’impôt dû en Tunisie ;
- Permettre aux entreprises exportatrices de bénéficier d’office du taux réduit à 13,5% à partir de 2021 ou mieux encore reporter la mise à mort du régime export pour deux années supplémentaires (après concertation avec le GAFI bien entendu).
Moratoire sur les distributions de dividendes
Un moratoire sur la distribution des dividendes devrait être décrété pour :
- Les sociétés ou les groupes bénéficiant de mesures de soutien en trésorerie de l’Etat (Report d’échéances fiscales et/ou sociales et/ou des demandes de prêt garanti par l’Etat…)
- Les sociétés ayant recours au chômage partiel/technique
- Les distributions en numéraire ou sous forme d’actions à l’exception des distributions intragroupes
- Les secteurs particulièrement exposés au risque systémique (établissements de crédit, assurances).
Pour le reste, il serait pertinent de prévoir la défiscalisation des intérêts non décomptés sur comptes courants associés au titre de l’année 2020.
Les banques font partie de la solution
Les nombreuses crises qu’a connu le système bancaire et les nombreuses réformes du secteur expliquent la résilience dont les banques font preuve face à cette crise. Il faut reconnaître aussi que la crise actuelle n’est pas financière puisqu’elle touche de plein fouet l’économie réelle en raison du double choc d’offre et de la demande.
A ce titre, les banques devront servir de modèle résilience pour les autres secteurs économiques.
Pour la gestion de la crise, les banques ont été déjà sollicitées pour le reports d’échéances des crédits pour les entreprises et les particuliers. Pour ces derniers, les banques ont finalement accepté le report sans intérêts intercalaires, ce qui constitue une contribution non négligeable qui pourrait se chiffer à quelques centaines de millions de dinars pour les banques de la place.
La BCT est appelée à assouplir davantage les règles prudentielles pour permettre aux banques de jouer leur rôle de financement de l’économie. En contrepartie, les banques sont appelées à faire davantage preuve de solidarité en prenant part au dispositif d’urgence d’aide aux entreprises afin de pallier leur besoin urgent en financements et de trésorerie à travers notamment :
- L’engagement pour la mise en place de procédures accélérées d’instruction de crédit pour les situations de trésorerie tendues (durée de 3 à 5 jours)
- Le relais des mesures gouvernementales auprès des clients à travers notamment le mécanisme de garantie publique. Les banques pourraient être amenées à appliquer une marge et un échéancier homologués par l’Etat et ne pas facturer des frais de gestion pour ces dossiers
- Le soutien actif des entreprises en difficultés en mettant en place un dispositif pour le traitement rapide et en temp réels des demandes de rééchelonnement
- Tout assouplissement de règles prudentiels devra profiter en priorité aux PME et aux secteurs sinistrés.
L’expert-comptable comme tiers de confiance
Le temps nécessaire pour la reprise de l’économie dépendra sans doute de la rapidité de l’action publique pour venir à l’aide des entreprises. L’Etat devra s’affranchir de son reflex de contrôle à priori et allez vers un contrôle à posteriori tout en se basant sur des tiers de confiance.
L’expert-comptable est bien placé pour jouer ce rôle notamment dans la restitution des crédit d’impôts. L’expert-comptable peut également jouer le rôle tiers de confiance entre l’Etat, les banques et les entreprises pour accélérer la mise en ouvre des mécanismes de financement et le contrôle du respect des conditions s’y rattachant.
Karim Lourimi, expert-comptable