L’impact de la pandémie du Covid-19 sur l’activité des agences de voyages sera énorme avec des pertes pouvant atteindre les 300 millions de dinars (MDT), sans compter le manque à gagner qui sera enregistré durant la haute saison, alerte le président de la Fédération des agences de voyages et de tourisme (FTAV), Jebeur Ben Attouch.
Dans une interview accordée à l’Agence TAP, Ben Attouch estime que le secteur, qui représente 20 000 emplois directs et près de 5 000 emplois indirects, fait face aujourd’hui à une crise sans précédent.
” Les agences de voyages ne sont pas aujourd’hui en mesure de payer les salaires du mois de mai “, a-t-il reconnu, appelant l’Etat à mettre en place un plan pour sauver ce secteur sinistré.
Quelle est votre évaluation de la situation actuelle des agences de voyages ?
C’est du jamais vu dans l’histoire des agences de voyages. Nous sommes dans un arrêt total d’activité et nos pertes pourront atteindre les 300 millions de dinars (MDT) à cause de la pandémie qui a touché directement le cœur de notre activité, à savoir les transports (aérien et maritime).
D’ailleurs, après la fermeture des frontières aériennes tunisiennes, les agences de voyages qui ont pour principale activité la vente des billets d’avion (300 agences sur un total de 1 300) ont reçu plusieurs demandes de remboursement de la part de leurs clients.
Avec la propagation du virus dans plusieurs pays, et à partir du mois de février, 70% à 90% des vols ont été annulés et on a été submergés par les demandes de remboursement de la part de nos clients; et certaines agences ont commencé à vivre une situation de chaos total.
D’habitude les agences réalisent un chiffre d’affaires des émissions des billets entre 40 et 45 MDT par mois, alors qu’actuellement elles chiffrent des pertes de près de 70 MDT. Ce manque à gagner concerne le montant des billets émis et déjà payés.
Pour mieux comprendre la problématique, il faut savoir que les agences achètent au comptant les billets auprès des compagnies aériennes, dont plusieurs sont quasiment en état de faillite, puis elles les revendent à crédit à leurs clients à travers un bon de commande, une facilité de paiement, des chèques sur 90 jours ou plus avec une société corporate.
La facilité de paiement peut s’étendre sur 12 ou 18 mois, notamment dans la vente des forfaits Omra et Outgoing.
Quel est le bilan des pertes causées par l’annulation de la Omra pour cette année et quelles sont les mesures prises avec la partie saoudienne ?
Près de 350 agences de voyage spécialisées dans le tourisme religieux (Omra) travaillant directement via des contrats avec leurs homologues saoudiennes et avec des groupes d’intérêt économique, ont enregistré une perte directe de 17 MDT. Ce montant représente l’argent déjà versé aux agences de voyages saoudiennes via la nouvelle plateforme qui permet d’effectuer plusieurs opérations; comme par exemple les réservations d’hôtels.
D’ailleurs, la Banque centrale de Tunisie (BCT) a déjà autorisé le payement intégral de ce montant (17 MDT) qui couvre les voyages du mois de mars. Les pertes cumulées de la saison de la Omra sont estimées entre 80 et 100 millions de dinars.
Il ne faut pas aussi oublier les pertes causées par l’annulation des vols charters déjà achetés et programmés jusqu’au mois de mai et dont le nombre s’élève à 42 vols, soit 80 mille sièges pour les pèlerins. Seulement 15 mille d’entre eux ont effectué la Omra, contre des prévisions tablant sur 100 ou 104 mille pour cette année.
Les agences ont également payé à l’avance le montant du séjour de leurs clients et certaines d’entre elles ont programmé des actions promotionnelles, notamment pendant la haute saison de la Omra (mars, avril, mai).
La réaction de la partie saoudienne n’a pas facilité la donne, puisque cette dernière a appelé les agences de voyages tunisiennes à présenter des demandes de remboursement de leur argent sur la plateforme, en exigeant des documents, impossible à fournir vu l’état de confinement.
En plus, le remboursement via la plateforme s’est avéré impossible puisqu’elle (plateforme) autorise seulement le paiement par la partie tunisienne et non le contraire.
Devant cette situation, certains de nos clients ont porté plainte auprès des banques et des tribunaux, mais la majorité d’entre eux ont été compréhensifs estimant que c’est un cas de force majeure.
Les pertes concernent aussi les agences travaillant dans l’Outgoing qui ont acheté des packages (Europe, Asie, Afrique, USA… croisières), soit des milliers de sièges, outre les chambres achetées en Espagne, en Italie, à Dubaï pour le mois de mars qui représente la haute saison d’outgoing pour les Tunisiens.
Leurs pertes s’élèvent entre 70 et 80 MDT accordés aux tour-opérateurs qui exigent des avances, variant entre 50% et 75% et refusent maintenant de les rembourser arguant que ces montants seront comptabilisés en tant qu’acomptes pour un futur achat.
Vos estimations des pertes concernant la haute saison et le tourisme intérieur pendant les vacances de printemps.
Pour l’activité d’in-coming (séjour hôtel, événementiel, tourisme saharien, tourisme des séminaires, tourisme médical), nos prévisions de pertes pour les mois de février, mars et avril tablent sur plus de 100 MDT, vu que tous les programmes, notamment événements, forums, salons, circuits d’excursion, ont été annulés.
S’agissant du tourisme local, les hôteliers nous réclament de considérer les montants payés en tant qu’avances, d’autant plus que toutes leurs activités sont actuellement à genoux à cause du couvre-feu et du confinement.
Pour résumer, je puis dire que nous sommes actuellement en état de faillite et l’Etat doit considérer le secteur en tant que secteur sinistré. A cause de la pandémie,les hôtels, les compagnies aériennes, les fournisseurs, les tours-opérateurs à l’étranger, les réceptifs à l’étranger rechignent à payer les agences qui voient leurs ressources se tarir.
Certaines agences qui reçoivent leurs argents après 90 jours n’ont pas été payées pour des séjours effectués au cours des mois de décembre 2019, janvier et février 2020 par les tour-opérateurs qui évoquent l’argument du confinement et l’impossibilité du payement à distance.
En plus, aujourd’hui nos fonds sont épuisés et l’agent de voyage qui a investi à partir de septembre et jusqu’à février, dans le matériel roulant, en acquérant plus de 500 ou 600 voitures et bus pour renouveler la flotte et préparer une saison supposée être exceptionnelle, n’a même pas l’argent pour honorer ses engagements envers ses employés.
En mai, les agences de voyages lancent l’Early Booking. Combien de réservations avez-vous reçu jusqu’à aujourd’hui et quelles mesures comptez-vous lancer ?
La reprise du secteur du tourisme sera lente pour arriver aux mêmes réalisations de 2019. L’après Covid-19 nécessitera une autre approche et un nouveau comportement.
D’ailleurs des cabinets de consulting internationaux estiment qu’une reprise lente du tourisme mondial sera observée avant une réelle relance en 2022.
Pour notre cas, nous sommes face à zero réservation pour la haute saison, notamment de l’UE qui a annoncé que ses ressortissants ne voyageront pas à l’étranger, contre 25 à 30% du stock des chambres réservé auparavant pour la haute saison.
Vers la fin du mois de Ramadan, nous lançons l’early booking pour réserver les séjours des mois de juin, juillet et août, mais une réelle reprise reste tributaire d’une décision politique qui devra être accompagnée de mesures sanitaires.
A mon avis, cet été on doit miser sur le tourisme local et l’arrivée des touristes maghrébins (algériens et libyens), en prenant en considération les risques liés à l’apparition d’une nouvelle vague Covid-19, qui sera une catastrophe pour le secteur du tourisme et pour le pays en général.
La reprise doit tenir compte de l’état sanitaire, et même si aujourd’hui la destination tunisienne est la plus sollicitée par les tour-opérateurs et les voyagistes, on ne doit pas se précipiter, mais tenir compte du fait que tout peut basculer avec une éventuelle découverte du vaccin contre ce virus.
D’ailleurs, le ministère du Tourisme a déjà préparé un protocole sanitaire qui prévoit les mesures d’accueil (mesures sanitaires, capacité d’hébergement par hôtel, distance, hygiène). Ce protocole est actuellement en discussion avec les professionnels car il nécessite d’importants investissements.
Une date de reprise n’est pas à l’ordre du jour, mais il faut se préparer et observer les autres pays. Entre temps, le secteur des agences de voyages doit être soutenu à travers le rééchelonnement des crédits de leasing qui a déjà commencé, mais avec des taux toujours élevés. Nous revendiquons zéro intérêt puisque nous sommes en arrêt d’activités et la BCT doit prendre en considération notre situation.
Je pense qu’il faudra également prévoir des arrangements avec les caisses sociales et les recettes des finances et simplifier les conditions d’octroi des crédits, puisque les agences ne peuvent pas remplir les garanties demandées.
Il ne faut surtout pas oublier que 99% des agences de voyages sont à court de liquidité pour payer les salaires du mois de mai et qu’elles doivent obtenir lesdits crédits avant le 15 mai.