On a cherché à offenser la mémoire du signataire de l’indépendance de la Tunisie, occultant son œuvre et passant sous silence son décès. Ce serait l’honneur de la révolution de ramener Tahar Ben Ammar au panthéon national et de lui rendre les honneurs dignes de sa personnalité et de son épopée.

Le 8 mars 1985, Tahar Ben Ammar nous quittait. L’Etat tunisien à l’époque, sous la présidence de Habib Bourguiba, avait passé son décès sous silence. Trent-cinq ans plus tard et une révolution à l’actif du peuple, on ne voit toujours pas de célébration officielle de cet événement.

Ne faut-il pas mettre fin à cette omerta indécente ? Outre qu’elle est indigne d’un tel personnage, cette injustice défigure notre mémoire collective, qui s’en trouve blessée. Le parcours de Tahar Ben Ammar lui a valu de conduire les négociations avec l’Etat français qui ont mené la Tunisie à son indépendance. Cet acte glorieux a donné du lustre à nos trois mille ans d’Histoire, nous restituant, pour la première fois, la souveraineté de notre émancipation. Il était vain et indélicat de tenter de déloger Tahar Ben Ammar.

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Sa place est restée vide mais indéboulonnable. Son souvenir, pourtant écarté de tout support historique, reste vivace. Cette manipulation ridicule n’a été qu’un outrage à notre histoire, un tort regrettable. Pour laver cet outrage, l’Etat ne doit-il pas prendre l’initiative d’effacer cet acte d’ingratitude ?

Un parcours historique conséquent

L’Histoire a donné à Tahar Ben Ammar une faveur inestimable, la longévité, avec un parcours de militantisme qui aura duré un demi-siècle. Il s’en est montré digne, sculptant, par son patriotisme, une stature de commandeur.

Jeune homme, pourtant bien nanti, issu de la classe possédante, donnant réalité à la dynamique de l’unité nationale, il rejoint l’appel de la patrie. Il s’engagera dans la lutte contre la colonisation, dès 1911. Il se sera signalé, par la justesse de ses vues face à la répression coloniale. Il aura pris part à la résistance dans les événements structurants du mouvement national. Ainsi en est-il, parmi les faits saillants, des épisodes dramatiques du Jellaz en 1911 et du tramway en 1912.

Figure de proue, il se retrouve en tête, assumant les revendications nationalistes sur la scène internationale. Ainsi, en 1919, il rencontrera à Paris le président américain Woodrow Wilson, acquis au principe de la décolonisation, pour le gagner à la défense de la cause nationale tunisienne. Il finira par forcer la puissance coloniale à reconnaître l’existence d’une force politique militante validant son leadership.

Et le 25 décembre 1920, le gouvernement français pliera et finira par engager le contact. Tahar Ben Ammar, à cette date, présidera la délégation tunisienne qui s’est rendue à Paris pour plaider la cause nationale réclamant une Constitution et un Parlement.

Actif sur le terrain, il aura pris part à la création du parti Destour de Abdelaziz Thaalbi. Il le quittera plus tard car plus en ligne avec l’esprit du Néo Destour. Il intégrera les organisations nationales de l’époque afin de disposer d’une force de frappe face aux forces de l’occupation.

Il accomplira trois mandats à la tête de la Section tunisienne du Grand Conseil. De même qu’il présidera, de 1930 è 1957, la Chambre d’agriculture. A son actif à la tête de cette institution, empêcher que les colons délogent les agriculteurs tunisiens, éreintés par la grande crise de 1933, de leurs propriétés. Il faut réaliser que, par cette parade, il a pu empêcher que soit achevée la politique d’indigénisation des Tunisiens qui aurait enraciné davantage la colonisation, éloignant l’espoir d’indépendance dans l’esprit du bon peuple.

Les moments épiques et les tournants historiques

En cinquante ans de lutte, Tahar Ben Ammar sera passé de chef politique à faiseur d’histoire. Plus la lutte contre la colonisation s’exacerbait et plus il se confirmait en tant que chef charismatique.

Dès le milieu des années 40, il prend la tête de la coalition politique du mouvement national. Il se hissa à la tête du Front National qui regroupait le Néo Destour de Habib Bourguiba, l’UGTT de Farhat Hached, ainsi que toutes les organisations nationales engagées.

C’est alors que s’est esquissée la phase décisive, à savoir la stratégie de conquête de l’indépendance. La résistance politique aux manœuvres de l’occupant devenait plus incisive et plus percutante.

En 1952, Tahar Ben Ammar fera preuve de ses talents de chef politique et d’homme d’Etat. Il fait pièce aux manœuvres du résident général de Hautecloque, le contraignant à un repli.

Subissant les courroux des colons, il échappe à deux tentatives d’assassinat. Imperturbable, il s’oppose, en avril 1954, au projet Mzali-Voizard de co-souveraineté qui aurait neutralisé la lutte pour l’indépendance. Cette opposition ferme et salutaire au dernier acte du pouvoir colonial a conduit à la chute du gouvernement de Mohamed Salah Mzali. La pression nationaliste était à son apogée. Elle portera Tahar Ben Ammar, en août 1954, à la tête du gouvernement de Lamine Bey, dernier souverain Husseinite, en qualité de président du Conseil des ministres. Cela se fera sous le forcing conjoint du Néo Destour, avec le consentement de Habib Bourguiba et de l’UGTT, et de tous les organisations nationales alliées. 

Soutenu par tous, Tahar Ben Ammar disposait d’un appui politique déterminant. Commençait alors le tronçon le plus sensible de son parcours où la Tunisie et la puissance coloniale se retrouvaient dans une épreuve de corps à corps.

De chef politique, il se retrouve faiseur d’Histoire. Avec une éminence reconnue et unanimement saluée, il conclut, le 3 juin 1955, l’autonomie interne. Il la fera valider au courant du mois d’août suivant par toutes les organisations nationales. Et le 20 mars 1956, à l’issue de plusieurs semaines de négociations ardues, qu’il aura en toute responsabilité magistralement menés jusqu’au bout, il signera le protocole de l’indépendance totale de la Tunisie. Il prolongera son combat par la mise en route de l’Etat d’indépendance en convoquant une Assemblée constituante qu’il inaugurera le 8 avril 1956. Elle sera présidée par Habib Bourguiba.

Et le 11 avril, il démissionnera, spontanément, avec le sentiment du devoir accompli, de son poste de chef de gouvernement, appelant Habib Bourguiba à lui succéder. 

Le guet apens de la politique politicienne

Auréolé de son parcours exceptionnel, Tahar Ben Ammar sera, hélas, la cible non point d’un revers de l’Histoire, car celle-ci l’a porté à l’olympe, mais d’une cabale immonde.

Le nouveau pouvoir en place cherchera à lui nuire par tous les moyens. Il sera jugé dans des conditions innommables. Ne parvenant pas à le faire déchoir de son immunité parlementaire, le pouvoir en place le fera, quand même, déférer devant un tribunal d’exception.

Son parcours patriotique lui a servi d’armure hermétique. Il sera acquitté par le tribunal et acclamé par le bon peuple à sa sortie. Ses faits d’armes et sa bravoure confèrent à Tahar Ben Ammar une immunité légendaire.

Comment expliquer autrement l’attachement du bon peuple à sa personne ? N’est-ce pas une validation de sa clairvoyance durant les années de braise, et de la justesse de son comportement dans l’épisode final devant conduire à  l’indépendance?

C’est aussi une reconnaissance de sa probité et de sa droiture. La place de Tahar Ben Ammar ne peut être escamotée, étant gravée dans le marbre de notre mémoire nationale. Elle est toujours là, sous nos yeux.

Ne convient-il pas de l’y faire revenir ? Il mérite de retrouver la place qui lui revient dans les manuels d’histoire. Ce faisant, l’Histoire de Tunisie retrouverait son déroulement authentique. D’ailleurs, son fils Chedly lui a consacré un livre rigoureux qu’il a rédigé en langue arabe et qu’il a lui-même traduit en langue française, prouesse de sadikien.

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Et le livre en question n’a rencontré aucune réserve de la part des figures du premier cercle Bourguibien. En rendant à Tahar Ben Ammar les honneurs qui lui reviennent, de légitimité historique, on aura apaisé noter conscience nationale. Cela grandira la révolution et donnera plus de lustre à la République.

Ali Abdessalam