Par Narjess Babay
La crise entre un champ lexical encore méconnu et une communication approximative.
Le mot “crise” n’a jamais été autant cité que pendant les dernières semaines; un mot redouté, car il marque souvent un point de non-retour, le passage d’une situation de risque extrême à une situation qui bascule dans la non-maitrise, une situation de rupture entre un avant « crise » perçu après coup comme zone de confort, mais aussi un moment où on a laissé s’accumuler de multiples fragilités sans réussir à les surmonter, un pendant « crise » marqué par la sidération, la souffrance, la perte de tous les repères et la saturation en informations avérées et douteuses …et pour tous ceux qui ne disposent pas d’un dispositif de crise éprouvé, une succession d’action improvisées accentuant l’impact de l’évènement, et un après « crise » dominé par l’incertitude, le doute et la recherche hésitante du chemin de la résilience.
Mais face à toutes ces difficultés qui caractérisent une situation de crise , deux types de réponses sont souvent redoutées, le déni et la sur-réaction, dans les deux cas on ne prend pas la juste mesure de l’événement et on a rarement la conduite qui permet une sortie de crise avec le minimum d’effets sur l’image et la réputation.
Si le travail à faire avant la crise consiste essentiellement à développer ses capacités de mieux appréhender les risques en les cartographiant, en instaurant un bon dispositif de veille, à préparer ses équipes à anticiper les crises en travaillant sur des scénarios et des simulations …
Une fois la crise est là, il faut commencer par la définir, la reconnaitre et agir vite et efficacement pour minimiser ses impacts. Une bonne gestion de crise n’est cependant possible que si l’on ait une bonne communication de crise, bien communiquer en situation extrême n’est point un luxe, mais un impératif pour bien manager la crise.
Mais pour réussir sa communication de crise, il est essentiel d’agir en ayant en tête les quatre règles suivantes :
– La Transparence: dire ce qu’on sait et dire ce qu’on ne saitpas encore et ce qu’on cherche à savoir. agir vite car les victimes de la crise vont dès les premiers instants chercher un responsable ” coupable”, plus on s’abstient de communiquer, plus on est mis aux bancs des accusés. les premières communications doivent faire preuve d’empathie et appeler à la solidarité.
– La Cohérence: ne jamais se contredire et pour éviter de se contredire ne jamais multiplier les preneurs de paroles, et quand on choisit des porte-paroles , faisons qu’ils soient des responsables de premier ordre et qu’ils aient l’habitude de gérer les situations difficiles
– La Pédagogie: avoir une communication claire et lisible, exprimée par des termes simples et non un vocabulaire d’expert peu intelligible par la majorité. expliquer ce qu’on esten train de faire face à la crise et ce qu’on compte faire pour les étapes à venir. Dire ce qu’on sait déjà , mais ce qui reste à comprendre pour lever les incertitudes de la crise. Exprimer sadétermination à réunir tous les éléments permettant d’agir et de bien manager la crise.
– La Capacité de rassembler autour d’un leader (chef) : œuvrez dès les premiers instants de la crise pour créer une communion autour de votre projet de sortie de crise , l’heure est à l’union sacrée et non à s’adonner à des compétitions ni à des règlements de comptes quels qu’ils soient …
Le coronavirus, une crise pas comme les autres
Comme toutes les crises, cette crise est unique, elle ne ressemble à aucune autre, elle est inédite, on peut même l’assimiler à une catastrophe naturelle, elle a touché la planète entière, elle a touché les pays riches, les pays du nord qui se croyaient de plus en plus à l’abris de telles catastrophes qui frappe
Elle met en péril l’économie mondiale, elle touche à la fois l’offre et la demande, elle touche autant les patrons que les employés, les États autant que les entreprises, elle provoque un choc économique et financier sans précédant et fait vivre aux bourses du monde entier des dépressions jamais vues depuis la crise de 29.
Elle provoque un rapport au temps très diffèrent de ce qu’on a connu jusque-là. Elle a eu un effet révélateur de nos faiblesses, de la fragilité des systèmes de santé publiques et des vulnérabilité des chaines de valeurs sur lesquelles repose l’économie mondiale.
Elle est aussi en train de constituer un accélérateurs pour plusieurs secteurs, mais surtout pour une digitalisation de notre vie qui aurait pris 10 ans pour atteindre un tel niveau de pénétration dans tous les aspects de notre quotidien, le télétravail, les téléconsultations.
Les visio-conférence, l’école en ligne, la banque en ligne, les commandes en ligne, les drive-in, le sport en ligne, les anniversaires en ligne … Nous n’avons jamais été aussi connectés tout en étant physiquement distanciés .
Le traitement médiatique de la crise Covid-19, encore une particularité
L’un des aspects les plus marquants dans cette crise du Covid-19 est l’intérêt sans précédent accordé au discours scientifique et la place qu’il est en train d’occuper dans l’espace médiatique.
On a vu des scientifiques, des médecins, des chercheurs prendre la parole pour s’adresser à des publics qui ont souvent des positions binaires, soit ils adhérent à un discours soit ils n’adhérents pas, et quand ils n’adhérent pas, ils jugent et ils condamnent, le tribunal populaire n’attend pas les preuves il agit au ressenti…
La communauté scientifique s’est alors prêtée au jeu médiatique sans en maitriser les bases, on a alors découvert la profondeur de la controverse qui entoure son discours, les incertitudes et les contradictions, les approximations … tout ce que le champs cognitif des publics des médias de masse ne puisse tolérer.
Et dans ce milieu de la recherche tellement méconnu, où la controverse est pratique courante et où le chemin de la reconnaissance est semé d’obstacles, pas toujours très catholiques d’ailleurs, l’humain n’est pas fait que d’objectivité et de rigueur, aussi cartésien soit-il, la jalousie par exemple n’est pas une tare rare dans le milieu des savants.
Mais ce qui la caractérise invariablement est qu’elle agit dans le temps long, très long même et tout à fait à l’opposé de l’immédiateté dans laquelle se produit de nos jour la matière médiatique… cet écart dans la temporalité entre le contenu scientifique et le canal via lequel il s’expose à l’opinion publique, est en train de l’affaiblir, et de montrer une parole savante autour du covid-19 hésitante et donc peu crédible.
Le biais le plus important est celui des attentes disproportionnées des publics non avertis, la majorité des citoyens, en sommes, et tout l’espoir que ceux ci cherchaient dans la matière scientifique et qu’ils n’ont pas encore trouvé, de cette quête, ils sortent plus déstabilisés.
L’autre biais qui n’échappe pas à la lecture à travers le prisme du communicant, est cette inconscience du risque pris par les scientifiques pour chaque exposition grand-public, un chemin glissant où le manque de neutralité renforce le risque d’en sortir mal-aimé …
Le discours politique du Covid-19 a quant à lui gardé ses motifs de faiblesse, à savoir son caractère clivant et ses travers idéologiques, il n’a pu s’accommoder à la nécessité de faire de l’union sacrée un pilier de sa stratégie de gestion de la crise.
En Tunisie et en dehors des campagnes électorales, les espaces médiatiques consacrés au politique sont très réduits en comparaison au “divertissement” qui occupe tous les créneaux « prime time », ce peu d’espace restant au politique, était le seul susceptible d’accueillir la parole scientifique …
Un territoire à se partager entre deux communautés qui n’ont pas forcément la même vision de la crise, ni les mêmes contraintes éthiques sans compter le fait que l’unanimité qui dérange en politique, elle rassure dans Le champs médical …
Un alignement de la parole scientifique aux positions politiques était alors ressenti à plus d’un moment de la crise. Et comme chaque récit a ses héros, celui du Coronavirus a eu les siens, le Dr Anthony Fauci, éminent immunologiste aux États-Unis, Le professeur Didier Raoult en France, leur parole n’a pas été alignée à celle du politique et qui se confondait avec la parole officielle… pareil au Brésil, en Angleterre, et un peu partout dans les “ démocratie “ … la controverse était en effet générale et a touché plusieurs pays.
En Tunisie, les voix dissonantes n’avaient presque pas eu la place pour s’exprimer, le consensus politique devait refléter un consensus scientifique forcé, on a visiblement omis de sortir le joker démocratique dont on a fait tellement mauvais usage… en fait l’unanimité qui dérange en politique, elle rassure dans Le champs medical …
A la question : quel regard portez-vous sur le traitement des médias de la crise du Covid-19 ? , Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS et directeur de la revue Hermes a répondu : «Aujourd’hui dans l’espace publique , on assiste à un conflit entre cinq logiques. La logique scientifique de long terme, la logique médicale de moyen et court terme, la logique médiatique immédiate renforcée par les chaines d’information et les réseaux sociaux, la logique de l’opinion publique qui est à la fois entre information, inquiétude et voyeurisme, et la dernière logique, la plus compliquée et la plus importante, la logique politique … ».