Une lecture avertie d’un récent communiqué publié par le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, sur l’échouage de cadavres de bovins sur la plage de Kalâat El Andalous (banlieue nord de Tunis) suscite de sérieuses interrogations et montre à quel point le non-professionnalisme et le laxisme prévalent au sein de ce département.
Publié mi-avril 2020, dans l’objectif d’expliquer à l’opinion publique les tenants et aboutissants de l’échouage de veaux destinés « à l’engraissement » (d’après le communiqué) est, a priori, une illustration parfaite de la désinformation, pour ne pas dire autre chose.
Une explication simpliste et tronquée
Selon le communiqué, une équipe de vétérinaires et de représentants de l’arrondissement de la production animale et de celui de la pêche et de l’aquaculture au ministère s’est déplacée, le 13 avril 2020, sur les lieux et a fait les constats suivants.
«L’équipe a examiné les 4 cadavres de veaux destinés à l’engraissement qui étaient à un stade avancé de décomposition. Selon les numéros d’identification, ces veaux proviennent de la Hongrie et auraient été jetés à la mer par un bateau d’exportation».
Et le communiqué d’ajouter : « Vu l’état de décomposition de ces cadavres, l’équipe du ministère n’a pas pu prendre les prélèvements nécessaires pour effectuer des analyses afin de connaître les raisons derrière la mort de ces animaux. Ces cadavres ont ainsi été enterrés selon les procédures en vigueur, tout en prenant les précautions sanitaires nécessaires. Une correspondance a été adressée aux services vétérinaires hongrois pour comprendre les dessous de l’incident ».
Moralité de l’histoire : le communiqué laisse entendre que le dossier est clos pour le ministère de l’Agriculture. S’agissant de la correspondance aux services hongrois, elle connaîtra probablement le même sort des enquêtes et des commissions formées d’habitude en Tunisie pour éclairer l’opinion publique sur une grave affaire.
Pour notre part, nous pensons que ce communiqué laconique suscite au moins deux questions majeures. La première concerne aux raisons qui ont empêché les services de l’Institut de recherche vétérinaire de Tunisie (IRVT) –établissement scientifique chargé, officiellement, des activités d’analyses et de recherches se rapportant à la production animale- de prendre en charge la gestion de ces cadavres de bovins en raison des risques qu’ils auraient pu faire encourir à la santé des Tunisiens.
Des zones d’ombre à éclairer
Héritier du célèbre Institut Arloing au passé glorieux chargé de travaux et de succès qui ont honoré, depuis sa création en 1913, la médecine vétérinaire en Tunisie et en Afrique, l’IRVT est réputé pour son indépendance et professionnalisme, fussent-ils de plus en plus relatifs, depuis son rattachement au ministère de l’Agriculture en 1961.
La deuxième interrogation consiste à se demander sur le peu de curiosité de l’équipe des «vétérinaires-fonctionnaires» qui a examiné les cadavres. Tout semble montrer qu’elle a privilégié le scénario simpliste selon lequel ces veaux auraient été délestés au large par un bateau d’exportation, comme s’il y avait des bateaux spécialisés dans l’exportation et d’autres dans l’importation.
Elle a ainsi occulté l’hypothèse d’importation de ces veaux par des éleveurs importateurs tunisiens, d’autant plus que l’échouage a eu lieu dans le Golfe de Tunis et que, dans un récent passé, en 2012, au temps de la Troïka, les plages de la banlieue nord de Tunis avaient connu des échouages de cadavres de moutons par l’effet de leur délestage assassin.
Conséquence : le ministère de l’Agriculture et ses services vétérinaires -s’ils étaient déterminés à connaître toute la vérité sur l’échouage de ces cadavres- auraient pu demander aux autorités portuaires des six ports commerciaux de Tunisie (Bizerte, Radès, Sousse, Sfax, Gabès et Zarzis) des renseignements sur les récentes opérations d’importation de veaux destinés à l’engraissement. Une telle démarche aurait pu être facilitée par la disponibilité, comme ils le prétendent dans le communiqué, de la provenance et de l’adresse de la ferme hongroise exportatrice.
L’objectif élémentaire est de s’assurer si les veaux échoués sur la plage de Kalâat El Andalous faisaient partie ou non d’une cargaison de veaux malades importés par des éleveurs tunisiens. C’est la moindre des choses qu’ils auraient pu faire, d’autant plus que la qualité de nos importateurs laisse souvent à désirer.
Est-il besoin de rappeler que la rapacité de certains d’entre eux a atteint un degré tel qu’ils n’hésitent plus à mettre en danger la vie et la santé des gens. En témoignent deux récentes affaires criminelles : la première remonte au mois d’août 2019, lorsqu’un puissant groupe agroalimentaire a osé importer d’Ukraine du « blé radiocatif »; tandis que la seconde, qualifiée par les internautes d’« affaire de la mort » a été la découverte, le 29 mars 2020, par la douane, de deux conteneurs remplis de 235 mille produits de protection médicale périmés (gants, masques, blouses).
Cela pour dire au final que le contrôle phytosanitaire à nos frontières est une activité hautement stratégique pour préserver notre patrimoine animal et végétal. C’est pourquoi, sa gestion doit être confiée à des professionnels confirmés, et surtou, curieux et investigateurs, non à des incompétents partisans de la technique «à-la-va-vite».