Avec du recul, on s’aperçoit que le déplacement effectué, lundi 11 mai 2020, à Kébili, pour inaugurer le fameux hôpital mobile offert par les Qataris, du reste une simple tente géante qui aurait pu être financée et aménagée par n’importe quel hôtelier du pays, n’était qu’un simple alibi, voire une diversion.
Pour preuve, juste après l’événement, les médias ont complètement occulté le Covid-19 et la cérémonie de l’inauguration, ne retenant que le discours prononcé à cette occasion par le chef de l’Etat.
Portée d’un discours.
Par Abou SARRA
Kaïs Saïed a, paraît-il, projeté d’exploiter l’événement pour transmettre plusieurs messages en cette période d’agitation politique où certains partis, pourtant au pouvoir, à l’instar d’Ennahdha et de ses alliés, Qalb Tounès et la coalition d’Al Karama, commencent à chahuter aux fins d’amender la Constitution et de déstabiliser le gouvernement.
Les messages présidentiels sont adressés en priorité au premier parti dans le pays, Ennahdha, aux magnats du pays qui financent les partis pour acheter la conscience des électeurs et à la classe politique en général dont le rendement est loin d’être satisfaisant.
Au sud du pays, Kaïs Saïed est dans son milieu
Le premier message est d’ordre géopolitique. En se rendant, depuis son accès à la magistrature suprême, il y a six mois, dans un gouvernorat du sud, Kébili, troisième région du sud visitée après celles de Médenine et Tataouine, Kaïs Saïed a, apparemment, voulu montrer aux nahdhaouis que le sud n’est plus leur fief et encore moins leur chasse gardée.
Il a semblé leur dire que, contrairement à son prédécesseur Caïd Essebsi, il est sur son terrain et qu’il compte, dans le sud du pays, des centaines de milliers de sympathisants qui ont été, en plus, fort nombreux à l’avoir élu lors de la dernière présidentielle.
Kaïs Saïed a, vraisemblablement, atteint son but au regard de la réaction rapide et violente d’un des faucons de la secte d’Ennahdha, le député Saïd Ferjani, un personnage réputé, dans la classe politique tunisienne, pour être sulfureux et enclin aux manigances.
Dans un statut incendiaire, le député s’est adressé en ces termes au président de la République : « Monsieur le président de la République, arrêtez s’il vous plait votre incitation permanente contre le Parlement depuis le sud ».
La révision de l’article 45 du règlement intérieur du parlement est inconstitutionnelle
Le deuxième message est adressé également au parti Ennahdha et ses alliés au Parlement. Kaïs Saïed a critiqué l’amendement projeté du règlement intérieur du Parlement, notamment l’article 45 stipulant que tout député qui démissionne de son parti perd automatiquement son siège.
Selon lui, «si le député était responsable face à ses électeurs et que ces derniers pouvaient lui retirer leur confiance, le Parlement n’aurait pas eu besoin de cet amendement qui constitue une grave violation de la Constitution. C’est une maladie constitutionnelle, plus grave que la pandémie du Covid-19».
Le message est on ne peut plus clair. Pour Kaïs Saïed, en l’absence de Cour constitutionnelle et en sa qualité de garant de la Constitution, il n’hésiterait pas à rejeter cet amendement.
Le troisième message est destiné aux partis riches et aux magnats fraudeurs de fisc et contrebandiers qui les financent pour acheter la conscience des électeurs. « Où sont passés les financements injectés dans les campagnes électorales ? Où sont les milliards ? Où est l’argent du peuple spolié durant des décennies ? La réconciliation doit se faire avec le peuple tunisien et non pas les parties qui concluent des marchés pour définir avec qui on doit se réconcilier », a martelé le chef de l’Etat.
Selon certains observateurs, Kaïs Saïed, qui fait peut-être allusion à Ennahdha et au parti Qalb Tounès, semble déplorer la modicité sinon l’inexistence de contribution significative de ces partis et de leurs sponsors au fonds 1818 dédié à la lutte contre la pandémie du Covid-19.
Seul le peuple a une légalité
Par-delà ces messages, le chef de l’Etat a vraisemblablement exploité cette sortie publique pour rappeler son programme électoral lequel consiste globalement à restituer le pouvoir au peuple.
Kaïs Saïed a toujours répété que « seul le peuple a une légalité, une légitimité voire une légitimation », avant d’ajouter en substance: «Ce même peuple, qui serait actuellement insatisfait du rendement du Parlement qui a une légitimité électorale mais qui est en train de perdre sa légalité» …
Pour y remédier, sa panacée serait peut-être de dissoudre, tôt ou tard, le Parlement et d’organiser un référendum.
Des idées et approches qui sont proches des appels lancés, ces derniers temps, sur le net pour « dégager » et le Parlement et le gouvernement actuels.
Il faut reconnaître qu’au regard de l’immobilisme qui prévaut au niveau politique et de la reconduite des mêmes scénarios qui sont à l’origine de la crise multiforme dans laquelle se débat le pays, il y a de fortes chances que le programme de Kaïs Saïed séduise et accroche de nouvelles franges de la société tunisienne. Car, il est inadmissible de penser qu’on peut passer encore une fois un mandat de cinq ans sans aucune avancée quelconque. Là aussi, le message est on ne peut plus clair.