Comme le veut la tradition, au début de chaque année -un peu plus tard cette année pour les raisons qu’on connaît-, la présidence du gouvernement vient d’adresser à toutes les administrations du pays une circulaire sur la note d’orientation du budget de l’Etat pour 2021.

A peine publiée, cette note a été rejetée par la centrale syndicale (UGTT) parce qu’elle y perçoit une tendance d’«appauvrissement» de ses adhérents parmi les fonctionnaires.

Zoom sur une note qui, objectivement parlant, se focalise trop sur les salaires mais occulte les résultats positifs des sacrifices consentis, depuis 5 exercices successifs d’austérité en la matière.

Par Abou SARRA

Primo, que propose cette note ? Globalement, la circulaire du chef du gouvernement annonce une nouvelle année de vaches maigres. Concrètement, elle prévoit une rationalisation de la prime de rendement, autrement dit sa réduction, le gel des recrutements dans la fonction publique, la non signature avec les syndicats de tout nouveau accord ayant un impact financier, le report des promotions professionnelles à 2022, le non remplacement des départs à la retraite et des postes vacants, la compensation des heures supplémentaires effectuées par des journées de congé.

Austérité, encore et toujours…

Officiellement, le gouvernement justifie ces mesures d’austérité qu’il a qualifiées d’«exceptionnelles» par les effets négatifs générés par la pandémie de la Covid-19 qui sévit, actuellement, et par l’augmentation alarmante de la masse salariale dans le budget de l’Etat. La réduction de cette masse étant une éternelle conditionnalité que le Fonds monétaire international (FMI) a toujours exigée comme pré-requis pour accorder à la Tunisie des facilités de crédit.

D’ailleurs, c’est vraisemblablement dans la perspective de conclure un nouvel accord, vers le début de la prochaine période estivale, avec l’institution de Bretton Woods, comme l’a annoncé au mois de mars dernier le ministre des Finances, Nizar Yaïche, que l’accent a été mis sur la volonté du gouvernement de sabrer dans les émoluments des travailleurs.

Mais seulement voilà, cette note adressée aux ministres, secrétaires d’Etat, chefs des structures et instances constitutionnelles indépendantes, gouverneurs, offices et entreprises publiques, n’a pas été du goût de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).

L’UGTT conteste le fond de la circulaire

La centrale syndicale conteste ces mesures et les rejette en bloc. Elle refuse toute atteinte aux acquis des fonctionnaires, notamment le gel des recrutements, la réduction des primes de rendement des fonctionnaires et l’ouverture de nouvelles négociations salariales.

L’UGTT assure qu’elle n’acceptera aucun budget de l’Etat qui ne prenne pas en considération la situation fragile des fonctionnaires.

Cité par l’agence TAP, son porte-parole, Sami Tahri, a déclaré que ces mesures sont inacceptables dans la mesure où elles font assumer aux seuls travailleurs les difficultés budgétaires rencontrées par le gouvernement avec comme corollaires attendus : un appauvrissement des salariés et une accentuation du chômage dans le pays.

Pour sa part, le secrétaire général adjoint de l’UGTT, Hfaiedh Hfaiedh, va plus loin et souligne l’enjeu d’ouvrir, en 2021, de nouvelles négociations sociales conformément aux accords conclus avec le gouvernement Chahed, en octobre 2018 et en février 2019, pour la fonction publique, et en septembre 2018 pour le secteur privé.

Mieux, il demande l’activation de l’accord conclu avec l’ancien gouvernement, le 28 décembre 2018, sur la régularisation de la situation des ouvriers de chantiers “El Hadayer“ et l’augmentation du SMIG.

Le responsable syndical place même la barre des revendications de l’UGTT encore plus haut. Il rejette, pour l’exercice 2021, le prélèvement de 1% sur les salaires des employés et fonctionnaires imposé dans le cadre de la contribution de solidarité sociale au profit des Caisses sociales. 

Le gouvernement est responsable

Au regard du tour de vis proposé par le gouvernement à travers cette note d’orientation du budget pour 2021 et de sa contestation, déjà, par la centrale syndicale, tout indique qu’on s’achemine vers un affrontement entre les deux partenaires sociaux.

Par-delà les justifications de chaque partie, il faut reconnaître que la problématique du poids de la masse salariale dans le budget -qui serait à l’origine d’un éventuel futur bras de fer- a trop duré. La responsabilité du gouvernement Fakhfakh et de celui Chahed dans l’aggravation de cette problématique est totale. Ils ont disposé, au total, de cinq ans successifs d’austérité pour y remédier sans un quelconque résultat. 

Rappelons que pour réduire cet effectif jugé pléthorique et satisfaire un tant soit peu le FMI, le gouvernement de Youssef Chahed avait pris la douloureuse décision de suspendre, à partir de 2017, les recrutements dans la fonction publique et de ne pas remplacer les partants à la retraite.

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Avant 2011, le gouvernement recrutait dans la fonction publique en moyenne quelque 18.000 fonctionnaires par an, et remplaçait, régulièrement, ceux qui partaient à la retraite.

Si on s’amuse à faire le calcul des emplois non créés depuis 2017 jusqu’à fin 2019 et ceux supprimés par l’effet des départs à la retraite et non remplacés, on pourrait les estimer à environ 60 000. Et si on leur ajoute les économies d’emplois qui seront faites, en 2020 et en 2021, et les décès de 20 mille retraités en moyenne par an, durant la période de cinq ans, les caisses de l’Etat seront, logiquement, soulagées au bout de cinq ans, de lourdes charges d’au moins de 100 000 salariés et pensionnaires.

Et pourtant, les ministres de Youssef Chahed n’ont jamais communiqué sur cette question. Même le sérieux Institut national de la statistique, apparemment toujours aux ordres,  n’a jamais osé s’en charger.

Et même le fameux redéploiement de l’effectif pléthorique des fonctionnaires vers des services publics plus utiles (contrôle économique, douane, recouvrement fiscal,…) dont l’ancien ministre chargé des Grandes réformes, Taoufik Rajhi en avait fait son dada, n’a pas abouti à grand-chose.

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Cela pour dire que, quelque part, les syndicats ont raison en ce sens où le gouvernement ne se démène pas beaucoup pour trouver une solution à cette problématique en dépit des sacrifices consentis par les demandeurs d’emploi et les travailleurs en exercice. «Basta, Basta, Basta», a martelé l’UGTT cette fois-ci.

A rappeler enfin que depuis 2011, le poids de la masse salariale de la fonction publique en Tunisie est pointé du doigt par les observateurs de l’économie tunisienne (expert, bailleurs de fonds…) comme un des plus élevés du monde.

Selon Walid Ben Salah, expert-comptable, cette masse salariale, estimée à 40% du total du budget 2020 (47 milliards de dinars) et à 15,3% du PIB du même exercice (125 milliards de dinars prévus), a triplé depuis 2010, passant de 6,5 milliards de dinars à 19 milliards de dinars actuellement.

Interpellé sur la chaîne de télévision privée Attessaa sur les causes, Mohamed Trabelsi, ancien ministre des Affaires sociales, a estimé à environ 240 000 fonctionnaires et agents supplémentaires recrutés et titularisés entre 2012 et 2019. L’effectif des fonctionnaires est passé ainsi de 404 000 en 2010 à 644 000 en 2018.

Sans commentaire.

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