Le monde agricole en Tunisie vient de célébrer, dans la discrétion la plus totale, la Fête de l’agriculture. Les contraintes du confinement total à cause de la crise du coronavirus ont contraint les agriculteurs à rester chez eux ce 12 mai 2020, les empêchant ainsi de quitter leurs régions et venir dans la capitale exprimer leurs préoccupations et manifester comme ils ont l’habitude de le faire…
Par Abou SARRA
A priori, la non-célébration de cette fête comme il se doit a été un coup de malchance et un malheureux ratage pour les agriculteurs au regard de la grande performance accomplie, ces dernières semaines par le secteur agricole, en cette double période de consommation de pointe imposée par la crise sanitaire (Covid-19) et le mois saint de ramadan. Même s’il faut reconnaître que cette performance n’aurait pu avoir lieu sans les économies de consommation de fruits et de légumes faites à la faveur de la fermeture des hôtels et des restaurants du pays en raison de la Covid-19.
Performance du secteur agricole… tout de même
Abstraction faite de cette donne, nous pensons que les agriculteurs et leurs syndicats auraient pu exploiter cette fête pour mieux défendre leurs intérêts pérennes, valoriser leur activité et rappeler comme ils aiment souvent le répéter que « l’agriculture est l’avenir du pays ».
Cette même agriculture qui, rappelons-le, en dépit des insuffisances structurelles dont elle souffre et en dépit de sa marginalisations, depuis des décennies, a prouvé, en cette période de crise de la Covid-19, qu’elle demeure l’activité la plus utile et la mieux indiquée pour contribuer, efficacement, à l’autosuffisance alimentaire du pays.
Par les chiffres, l’agriculture continue à occuper une place prépondérante dans l’économie du pays. Pour mieux la situer par rapport à d’autres activités, l’agriculture représente 13% du PIB contre 7% pour le tourisme, occupe plus de 500 000 exploitants agricoles contre un peu plus de 100 000 travailleurs permanents dans le tourisme et assure 10% des exportations du pays (huile d’olive, dattes, fruits de mer…).
Malgré cet apport appréciable à la croissance, l’agriculture, contrairement à ce qu’affirme la propagande officielle, n’est pas considérée comme une priorité nationale. C’est ce qui explique, en partie, sa non-compétitivité. Elle demeure une activité sous-développée parce qu’elle a raté sa mécanisation.
A titre indicatif, la Tunisie compte un tracteur pour 150 hectares contre un tracteur pour 23 hectares en Espagne. L’agriculture tunisienne utilise seulement 32% des intrants recommandés à l’international. Plus grave encore, par l’effet qu’il accuse dans le domaine technologique, le secteur agricole en Tunisie risque d’être exposé à de nouvelles menaces déstructurantes dont les éventuels effets négatifs de la libéralisation des échanges des produits agricoles prévus par l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA).
Vivement la révolution de l’agriculture 4.0
Cet accord asymétrique risque de mettre face-à-face une majorité d’exploitants agricoles tunisiens avec des moyens de production moyenâgeux (charrue…) et des multinationales dotées de tous les gadgets de l’agriculture numérique, l’agriculture 4-0.
L’enjeu est désormais de grande taille. Il y va de notre sécurité alimentaire. Pour se préparer à ses éventuels bouleversements auxquels il faudrait ajouter les effets du réchauffement climatique, le moment est venu pour les politiques du pays d’ériger l’agriculture en priorité stratégique nationale.
Il s’agit, en second lieu, d’adhérer au plus vite à la révolution agricole numérique et d’orienter l’enseignement dans les établissements d’enseignement supérieur du pays vers l’agriculture 4.0.
L’objectif est d’initier les étudiants, futurs techniciens et promoteurs agricoles, aux nouvelles technologies utilisées dans l’agriculture 4.0.
Soulignons que dans beaucoup de pays, les exploitations agricoles les plus performantes utilisent, de nos jours, des drones pour collecter des données sur la météo, les parcelles, les animaux et globalement sur toute la vie de la ferme.
Pour optimiser le rendement de leur activité d’élevage, ces exploitations recourent à la robotisation (robot de traite, robot d’alimentation, robot de raclage ou d’aspiration des déjections…).
Cela pour dire, in fine, que l’agriculture 4.0 peut être une opportunité, voire un raccourci heureux, pour entreprendre la première réforme agraire en Tunisie et rattraper notre retard. Elle constitue également une solution pour régénérer la population agricole et améliorer l’attractivité de l’agriculture pour les jeunes.
En attendant le mûrissement de tous ces pré-requis devant préparer cette révolution technologique agricole, la Tunisie peut se spécialiser, avec les moyens de bord, dans l’agriculture biologique à haute valeur marchande à l’exportation.
A Bon entendeur !