Le chômage, malgré la légère détente de l’année 2019, était déjà considéré une source de préoccupation majeure. C’est, en particulier, le cas du chômage des jeunes, diplômés ou non, ainsi que du chômage dans les gouvernorats de l’ouest.
La perspective de récession de 4.3% du PIB impactera fortement l’emploi en 2020 d’autant que les secteurs les plus touchés par la crise seraient ceux qui ont un fort contenu d’emploi. C’est le cas en particulier du tourisme, des industries du textile, de l’habillement et des chaussures, de l’industrie mécanique et électrique et par ricochet de nombreux petits métiers qui en sont liés en tête desquels l’artisanat.
Le nombre de personnes qui risquent de perdre leur emploi ou de perdre une importante partie de leur source de revenu serait a priori important. Les simulations effectuées situent l’aggravation du taux de chômage dans une fourchette de 4 point de pourcentage à 10 points, ce qui correspond à une augmentation du nombre de chômeurs entre 170 000 et 400 000 personnes.
A titre d’éclairage la crise de 2011 a entraîné une baisse du PIB de près de 2% et une augmentation du chômage de 5 points soit l’équivalent de 140 000 personnes environ.
Les mesures sociales annoncées et mises en œuvre par les autorités publiques sont certes importantes. Elles se sont traduites, d’ores et déjà, par un déblocage de 650 millions de dinars répartis à hauteur de 400 millions de dinars en tant que contribution exceptionnelle au financement du chômage technique auquel des milliers d’entreprises seraient acculées à recourir et 250 millions de dinars d’aide sociale au profit de près d’un million de familles à faible revenu qui seraient particulièrement affectées par le confinement.
Une telle démarche, justifiée par le confinement qui touche les deux tiers de la population, serait, cependant, difficile à maintenir en tant que telle pour le reste de l’année. Elle devrait, selon les participants au débat, être relayée par quatre orientations majeures :
1. Le lancement des grands travaux d’utilité publique
La Tunisie a, depuis l’indépendance, recourue au lancement de chantiers de travaux d’utilité publique pour réduire les pressions sociales. Le budget de l’Etat de 2020 comporte, à cet égard, d’importants crédits pour les chantiers régionaux offrant des journées de travail à 48 000 personnes n’arrivant pas à trouver de l’emploi ou de source de revenu.
Compte tenu des expectatives de perte d’emploi pour des milliers de personnes ne pouvant pas bénéficier des dispositions du chômage partiel, le lancement d’un certain nombre de chantiers à très fort contenu d’emploi pourrait être envisagé comme alternative à l’aide sociale sans contre partie.
Toutefois et afin de conférer à ces chantiers le caractère d’utilité publique, il est proposé qu’ils soient encadrés ou réalisés par le service civil de l’armée, les grands groupes privés et publics ou par des associations dans les domaines qui préparent l’avenir en l’occurrence la numérisation des archives, l’entretien de l’infrastructure de base et des équipements collectifs : routes, pistes rurales, coupe feu des forêts, établissements d’enseignement et de formation…
2. Le renforcement de la politique active de l’emploi
Le programme actif de l’emploi prend de l’ampleur. Les crédits programmes dans le cadre de la loi des finances s’élèvent à 450 millions de dinars devant permettre à plus de 100 000 jeunes de bénéficier de complément de formation, de soutien à l’insertion dans la vie professionnelle ou d’aide à la promotion de micro-projets.
Compte tenu de l’importance de l’acquisition d’une compétence répondant aux besoins du marché du travail, une enveloppe additionnelle serait opportune à mettre en place pour aider les jeunes perdant leur emploi ou ayant des difficultés à s’insérer sur le marché du travail à bénéficier d’un chèque de formation, pour se perfectionner dans les langues, pour acquérir une qualification professionnelle et une compétence (informatique, comptabilité…) afin d’accroître leur employabilité dès que la relance économique se précise.
A ce propos, il est rappelé que La capacité des centres de formation professionnelle n’est exploitée actuellement qu’à hauteur de 72 pour cent, ce qui permet d’offrir 20 000 places additionnelles de formation pour aider les jeunes à acquérir une compétence répondant aux besoins du marché du travail et ce compte non tenu du potentiel de formation de l’armée, des entreprises publiques et des grands groupes privés qui pourraient être mis à contribution.
3. Le développement du microcrédit
L’offre de microcrédit est appelée à augmenter pour prendre en compte les rééchelonnements qui pourraient s’imposer en relation avec la baisse de l’activité de milliers d’artisans et de détenteurs de petits métiers mais aussi pour faire face à l’augmentation attendue des nouvelles demandes en relation avec les besoins croissants de trésorerie des femmes et des hommes qui cherchent à s’installer pour leur propre compte.
L’enjeu, à ce niveau, n’est, cependant, pas seulement quantitatif. Il est aussi et surtout qualitatif, se rapportant à la qualité de l’encadrement et du soutien que les institutions de micro- crédit seraient en mesure d’offrir aux bénéficiaires du microcrédit afin d’avoir une utilisation rationnelle des ressources.
A cet effet, une plus grande implication des associations, qui ont une expertise dans le domaine du microcrédit, gagnerait à être activement encouragée dans cette période particulièrement difficile dans laquelle se trouve confrontée l’économie tunisienne à travers, notamment, la mise en place de lignes de crédits à des conditions de faveur, sur la base des résultats obtenus en matière de création de source de revenus et des efforts déployés en matière d’études socioéconomiques des familles concernées, d’encadrement pour la réalisation de leurs micro-projets et de soutien en matière de commercialisation de leurs produits.
Par ailleurs, l’extension du paiement par le téléphone mobile (m paiement) pourra, en permettant à chacun de créer son propre portefeuille virtuel, renforcer l’inclusion financière de la population à faible revenu et ouvrir d’importantes perspectives au développement du microcrédit ainsi qu’à la
rationalisation de l’aide sociale.
4. Le développement de l’esprit de volontariat et de l’engagement civil
La crise sanitaire a mis, en évidence, un vaste mouvement de solidarité et d’engagement civil qui s’est développé de façon spontanée notamment de la part des jeunes dans le cadre notamment des associations, des groupements et des mutuelles afin d’aider les familles pauvres fortement affectées par les restrictions de déplacement et de renforcer la logistique des hôpitaux publics et des moyens de protection de leur personnel ; ce qui n’a pas manqué d’avoir des répercussions positives sur le capacité de maîtrise de la pandémie de la Tunisie.
D’ailleurs faut-il le signaler, qu’à moyens égaux et situations proches, les pays occidentaux qui ont le mieux géré la pandémie sont ceux qui ont cette culture et ces réflexes civiques de discipline, de solidarité sociale et d’action citoyenne, comme les pays scandinaves, les pays de l’Europe du Nord, semblables à ceux des pays est-asiatiques.
En fait, les valeurs de solidarité et de volontariat sont ancrées dans la culture et les traditions en Tunisie. Elles sont essentielles dans les régions forestières dans la lutte contre les incendies en été.
Les autorités régionales et les services forestiers ne pourraient jamais faire face à ces catastrophes, pourtant de dimension très relative par rapport à COVID-19, par les moyens ordinaires propres de l’Etat. Le recours à la mobilisation de l’action citoyenne est impératif et constructif. Mais ces réflexes sont spontanés et ne sont pas l’objet d’un effort éducatif volontariste et systématique.
C’est pourquoi, il est important de consolider le nouvel esprit civil qui a émergé sur des bases largement décentralisées pour en faire un axe majeur de la stratégie de développement du volontariat en s’inspirant des expériences accumulées dans certaines régions et en prenant en compte les success stories dans le monde.
Une telle démarche offrirait en particulier à des milliers de jeunes, employés ou à la recherche d’emplois, la possibilité de s’engager dans de nombreuses actions citoyennes de proximité en fonction de leur compétence, telles que les campagnes d’embellissement et de propreté des villes et des villages, de lutte contre l’analphabétisme, de vaccination, d’encadrement pour l’insertion à la sécurité sociale et de rénovation des établissements éducatives et de soins de base. Ce qui leur permettrait, au-delà des satisfactions morales qui en résulteraient, d’acquérir une importante expérience sur le terrain et une grande maturité qui les aideraient à mieux réussir dans leur vie
professionnelle et sociétale en Tunisie ou à l’étranger.
5. La refonte de la protection sociale
La protection sociale a toujours revêtu une importante priorité dans les différents plans de développement qui se sont succédé. Toutefois, malgré les nombreux acquis enregistrés, de grandes lacunes demeurent dans la mesure où, aujourd’hui, plus du tiers des tunisiens ne disposent pas de couverture sociale, près du sixième ne sont pas assujettis au système d’assurance ou d’assistance maladie et près de 15 pour cent de la population continuent à vivre en dessous du seuil de pauvreté.
C’est le cas en particulier des personnes en chômage, des ouvriers travaillant à la journée ainsi que la plupart des artisans et des personnes s’adonnant à des petits métiers dans le secteur informel.
Cette situation de précarité, considérablement amplifiée par les dernières mesures de confinement et de restriction des déplacements, est inacceptable sur le plan social.
Elle est, en outre, coûteuse sur le plan économique dans la mesure où elle réduit notablement la marge de manœuvre en matière de réformes et de restructurations, pourtant nécessaires à la préservation du processus de développent sur des bases viables et durables.
C’est pourquoi il est nécessaire de renforcer les mécanismes de protection en mettant l’accent particulièrement dans cette étape sur:
– L’accélération de la mise en place du registre social unifié permettant notamment de cibler l’aide sociale sur des bases rationnelles. Une importante étape a, déjà, été franchie grâce aux importants travaux de recoupement menés à l’occasion de l’octroi de l’aide sociale du confinement. La mise en place de l’identifiant unique instituée récemment par décret-loi devrait pouvoir activer le processus de ciblage et de lutte contre la pauvreté.
– Le lancement de vastes campagnes d’adhésion à la sécurité sociale en direction notamment de la population employée dans le secteur informel. La population active assujettie à la sécurité sociale est, actuellement, aux alentours de 65 pour cent. De la sorte, un effort particulier doit être déployé pour le reste de la population, particulièrement envers les employés dans le secteur informel en envisageant, éventuellement, en leur faveur des incitations pour l’adhésion à la sécurité sociale et l’enregistrement au registre du commerce.
– L’insertion des tunisiens qui n’ont pas de couverture médicale parmi les personnes bénéficiant de cartes de soins dans le cadre des AMG1 et AMG2 et ce dans l’attente de de la mise en place d’une couverture universelle des soins essentiels actuellement en cours de préparation. Les personnes totalement dépourvues d’assistance médicale seraient aux alentours de 1 million actuellement.
Il demeure entendu que la généralisation de la protection sociale et sanitaire et l’extension du revenu minimum pour toucher toutes les personnes vulnérables, souffrant de pauvreté chronique ne pourraient être assumées sur des bases viables que si elles s’accompagnent par l’accélération du processus de création de richesse par les salariés, les artisans, les entrepreneurs, les professions libérales, dans le cadre des différentes structures d’organisation du travail qu’il s’agisse des entreprises à but lucratif ou des coopératives, des mutuelles et des associations, qui peuvent offrir une alternative aux employés du secteur informel et les personnes cherchant à s’insérer sur le marché du travail.
Suivra la 3ème partie: L’enjeu des finances publiques (3ème partie)
Forum Ibn Khaldoun pour le développement le 20 mai 2020