L’appel lancé le 14 mai 2020 par le mouvement Ennahdha au chef du gouvernement Elyès Fakhfakh pour lui demander, semble-t-il, d’intervenir pour dissuader, voire décourager l’aboutissement de machinations qui seraient en cours, au sein de l’Assemblée, en vue de former de nouvelles coalitions parlementaires, suscite plusieurs interrogations.
Eléments de décryptage.
La première question que de nombreux observateurs de la scène politique tunisienne se sont demandés concerne les parties politiques responsables derrière ces manœuvres. Dans son communiqué-appel, Ennahdha n’a à aucun moment précisé ni la nature des coalitions dont il serait question, ni l’identité des partis qui seraient à l’origine de cette initiative.
Pourquoi l’appel est-il adressé au chef du gouvernement ?
La deuxième interrogation a trait à la destination de cet appel, en l’occurrence le chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh. En principe, pour les spécialistes du droit, la Constitution de 2014 consacre de manière nette la séparation entre les pouvoirs législatif et exécutif, et, par conséquent, le chef du gouvernement n’est en aucune manière habilité à intervenir dans les affaires internes du Parlement.
Se basant sur le fait que le parti Ennahdha, réputé pour être un grand manœuvrier politique, sait très bien à qui il a adressé son appel, certains analystes ont poussé l’analyse jusqu’à voir dans cet appel plutôt un rappel d’un éventuel arrangement conclu lors de la formation du gouvernement entre Elyès Fakhfakh et Rached Ghannouchi.
En vertu de cet éventuel accord secret, le chef du gouvernement actuel se serait, en contrepartie de la validation de son gouvernement au Parlement, engagé à ne pas répéter le coup de son prédécesseur, Youssef Chahed, et à penser à une coalition parlementaire pour le soutenir.
C’est dans cet esprit qu’il importe de lire, vraisemblablement, la fin du communiqué où il est indiqué que le parti Ennahdha est « confiant quant à la capacité du chef du gouvernement et de toutes la parties concernées de faire face à ces agissements inacceptables ». Certains analystes y ont perçu une mise en garde feutrée.
L’appel d’Ennahdha, “un pétard mouillé“ selon Mustapha Ben Ahmed
Interpellé par les médias sur les tenants et aboutissants de cet appel d’Ennahdha, le chef du groupe parlementaire du parti Tahya Tounès, Mustapha Ben Ahmed, l’a qualifié de «pétard mouillé» et d’«hors sujet».
Le député, qui donnait une déclaration au site d’expression arabe, Essabah News, est allé plus loin en relevant que le parti Ennahdha n’a rien à voir dans cette affaire (formation de nouvelles coalitions parlementaires), tout autant que le chef du gouvernement d’ailleurs.
Il a ajouté en substance que cet appel vient prouver qu’Ennahdha a dépassé ses limites et prérogatives en ce sens où il n’est pas habilité à exercer un quelconque tutorat sur les députés et qu’il n’est pas “le directeur de conscience“. «La question de formation de coalitions parlementaires est réglementée et par la Constitution et par la loi», a-t-il dit.
Et Mustapha ben Ahmed de tirer à boulets rouges sur Ennahdha en lui rappelant qu’il a été, au cours de cette législature, le premier parti à tolérer, quelque jours après son élection premier parti du pays, que deux députés indépendants rejoignent son groupe parlementaire et qu’il a été le premier parti représenté au gouvernement à former des coalitions avec les partis non représentés comme Al-Karama et Qalb Tounès. « Ennahdha doit tout simplement avoir honte », a-t-il noté.
Moralité de l’histoire : comme dit cet adage, «celui dont la maison est en verre doit se garder de jeter des pierres aux autres».
Par-delà ces éléments de décryptage, nous pensons que ces problèmes de nomadisme parlementaire, et son corollaire, la formation de nouvelles coalitions parlementaires, ne finiront jamais tant que les partis représentés à l’ARP demeureront pour la plupart des partis électoralistes sans identité notoire et sans ancrage réel dans le pays.
La seule solution est de réviser en toute urgence la loi électorale et d’adopter, dans les meilleurs délais, la loi sur la Cour constitutionnelle.