Les choses sérieuses doivent commencer, on a perdu beaucoup de temps et de ressources.
Par Aymen Oueslati
La consommation des ménages et de l’Etat a pris une part importante du revenu national allant de 78% à 93% de la richesse produite.
Ceci veut dire que le taux d’épargne national brut combinant les ménages, l’Etat et les entreprises a chuté de 22% des revenus à 7% de 2008 à 2017. Une chute marquée qui classe la Tunisie comme un pays au taux d’épargne national parmi les plus bas au monde. Si on enlève les transferts des Tunisiens à l’étranger de l’ordre de 5% du PIB, les ménages, les entreprises et l’Etat ont dépensé 98% des revenus locaux et ont épargné seulement 2% de la richesse produite en 2017.
En comparaison, le taux d’épargne en Chine dépasse 47%, en Corée du Sud 36%, en Allemagne 27%, au Maroc 22% (comme en Tunisie avant le cycle de baisse depuis 2011). Les pays qui épargnent le plus sont ceux qui naturellement vont exporter le résidu non consommé ou investi localement vers l’extérieur. La Tunisie se classe 135ème sur 170 pays par rapport à son taux d’épargne et est comparable à des pays comme l’Egypte, la Jordanie ou le Liban dans la région.
La chute du taux d’épargne est essentiellement due à l’Etat et aux entreprises non financières (publiques surtout) car le rythme de la production et de création de richesses a été plus bas que celui les dépenses courantes. Les sociétés non financières généraient 20% du revenu national en 2008 mais seulement 12% en 2017 (une baisse relative importante de 40%).
La chute du taux d’épargne (différence entre revenus et consommation des ménages et de l’Etat) a fait baisser le taux d’investissement (construction de maisons, infrastructures, acquisitions de machines, etc.) de 25% de la richesse créée à 19% sur la même période. Ici encore, les sociétés non financières étatiques sont le contributeur majeur même si elles ont augmenté considérablement leur endettement. Le taux d’investissement des entreprises publiques était à 17% comparé à 45% pour les entreprises privées en 2017.
Le taux d’investissement de 19% en 2017 classerait la Tunisie 120ème sur 160 pays, un classement peu flatteur surtout pour un pays en développement, car plus un pays est développé moins il a de besoins et d’opportunités d’investissement. L’Algérie ou la Turquie ont un taux d’investissement à 30%, la Chine 42%, la France 22,5%.
Comme la consommation et l’investissement sont supérieurs à la richesse nationale créée, le résidu doit être financé par l’extérieur, ce besoin de financement extérieur est passé de 3% à 12%. Donc la baisse du taux d’épargne local de 15% a eu deux effets: une baisse de l’investissement de 6% du PIB et une augmentation du besoin d’endettement extérieur de 9% du PIB annuellement. Une situation non durable tant les déséquilibres sont majeurs faisant dépendre l’avenir du pays de la volonté des autres pays à lui prêter de l’argent pour vivre au-dessus de ses moyens. Le pays vivrait de plus en plus au-dessus de ses moyens en investissant de moins en moins pour le futur (en proportion des revenus), ce qui est encore plus grave.
Réduire l’investissement peut à court terme baisser le besoin d’endettement extérieur et c’est la solution que les gouvernements ont entamé depuis 2018 et accentué cette année dans le contexte du coronavirus, mais ceci baissera le potentiel de croissance future. La seule solution durable est de restructurer les sociétés publiques pour qu’elles deviennent viables et productives, réduire les subventions à la consommation sur les trois prochaines années et réduire les freins pour l’investissement (barrières d’entrée) pour améliorer la productivité.
La seule solution viable est de produire plus que le rythme d’augmentation de la consommation locale pour pouvoir épargner plus et investir pour le futur. La Tunisie a besoin de réformes de supply pour produire plus de biens et services (j’y reviendrai dans les postes suivants).
Les pays dont le taux d’épargne est supérieur au besoin d’investissement (Allemagne, Suisse, Japon, Chine, Corée du Sud, les pays du Golfe avant la crise du pétrole pour ne citer que quelques exemples) produisent plus ce qu’ils ont besoin localement, ils ont un avantage de productivité et compétitivité, le surplus est exporté, une partie des revenus de ces exports financent les besoins d’investissement des pays similaires à la Tunisie tant qu’ils jugent que le risque de crédit est acceptable.
La qualité de crédit de la Tunisie s’est détériorée au fil des années avec l’accumulation de la dette extérieure, s’ils rechignent à financer le pays, ceci peut forcer l’économie tunisienne à s’ajuster mais au prix d’une récession (réduction de la consommation et investissement au niveau de la production locale de richesses) ou dans le cas extrême d’une restructuration de la dette externe comme au Liban ou Argentine, et les cas seront en hausse à cause de la crise actuelle.
Ce post est le premier d’une série qui analysera les comptes de la Tunisie d’un point de vue macroéconomique.
Sources: Documents INS «Les comptes de la nation 2008-2012 et 2013-2017 ».