A cause de la pandémie de la Covid-19, l’OMT (Organisation mondiale du tourisme) évalue la baisse du tourisme en 2020 à 80%, soit entre 850 millions à 1,1 milliard de touristes en moins et des revenus qui peuvent reculer de 910 milliards à 1,2 trillions de dollars. La Tunisie, qui n’a pas été particulièrement touchée par le virus, en récolte, pour son grand malheur, les effets néfastes sur son économie dont le secteur touristique a été durement touché.
Mohamed Ali Toumi, ministre du Tourisme et de l’Artisanat, optimiste et confiant, ne renonce pas à la saison estivale. Il est décidé à aller de l’avant et faire revenir touristes locaux étrangers. Une entreprise qui n’est pas des plus aisées même si un argument de taille plaide en sa faveur : la Tunisie ne représente aucun risque d’ordre sanitaire pour ses visiteurs, toutes les précautions ont été prises pour protéger touristes locaux et étrangers dont un protocole Covid-19 adopté par tous les opérateurs du secteur.
Première partie de l’entretien avec le premier responsable du département du Tourisme.
WMC : La Tunisie, destination healthy ? Tout le monde en parle car c’est l’un des rares pays où la Covid-19 n’a pas trop sévi. Comptez-vous capitaliser dessus pour vendre le site à l’international ?
Mohamed Ali Toumi : C’est l’évidence même. D’ailleurs, le Protocole sanitaire pour le tourisme tunisien, finalisé et approuvé par toutes les parties prenantes et les opérateurs du secteur, a été envoyé aux représentations diplomatiques en Tunisie mais également aux chancelleries tunisiennes à l’étranger. Il est baptisé « Ready and safe ».
Le tourisme national, qui suivait une courbe ascendante depuis 2018 et frappé aujourd’hui de plein fouet, comme toutes les destinations touristiques mondiales, est fin prêt pour accueillir les touristes. Notre pays figure parmi les rares pays au monde qui ont pu neutraliser la propagation du virus ; et les opérateurs du secteur, qui reprennent leurs activités à partir du 4 juin 2020, sont tenus d’appliquer le protocole élaboré avec beaucoup de rigueur pour protéger les touristes –locaux et étrangers.
Nous pensons avoir pris toutes les précautions possibles et imaginables pour assurer des séjours sécurisés et sains à nos visiteurs. Les professionnels du tourisme, le ministère de la Santé et des experts ont été associés à la mise en place de l’arsenal de mesures allant dans ce sens. Je pense et j’espère que nos opérateurs sont fins prêts. Les déplacements entre les régions ont, comme vous le savez, démarré jeudi 4 juin, l’ouverture à l’international se fera, comme annoncé, le 27 du même mois. Objectif relancer le tourisme intérieur en attendant l’international qui suivra.
Comptez-vous lancer des campagnes promotionnelles pour inciter les nationaux, un peu frileux, à séjourner dans les zones touristiques ?
Les nationaux bénéficieront de toute notre attention et il faut qu’ils sachent que préserver leur santé et celle des leurs est pour nous une priorité. Il faut nous faire confiance, et pour les rassurer, nous avons axé la première partie de la campagne promotionnelle destinée au local sur le protocole sanitaire. Covid-Safe sera notre message phare. Il ne faut surtout pas avoir peur de prendre des vacances.
Notre industrie du tourisme doit se concentrer sur le marché local tout en se préparant à accueillir les internationaux. Nos opérateurs offriront des services qui correspondent à cette demande.
L’OMT offre une assistance technique aux pays touristiques qui ont besoin d’appui. Comment la Tunisie pourrait en profiter ?
Après concertation avec mes équipes responsables de la coopération internationale, nous avons considéré que le seul axe sur lequel l’OMT pourrait nous aider est d’ordre communicationnel. Nous comptons nous-mêmes lancer notre campagne dans les marchés émetteurs pour informer nos partenaires sur le fait que la Tunisie est une destination saine qui ne présente pas de risques d’atteintes de la Covid-19. Le concours de l’OMT sera le bienvenu pour donner écho à nos messages rassurants et qui parlent de la réalité du terrain.
En fait, nous allons tout juste dire la vérité : “venez passer vos vacances en Tunisie et soyez sûrs que vous n’attraperez pas la Covid-19 chez nous“.
Venons-en maintenant à l’appui de l’Etat aux entreprises touristiques en difficulté. Nous avons l’impression que cet appui se limite aux mois de mars et avril alors que toute la saison paraît menacée. Qu’en est-il au juste ?
Nous avons parlé de soutenir les entreprises touristiques qui ont vu leur chiffre d’affaires chuter aux mois de mars avril en prenant en considération la différence avec les réalisations de la même période en 2019 et qui était une bonne année touristique. Maintenant celles dont la saison touristique démarre au mois de mai ne seront pas exclues si le recul de leur chiffre d’affaires est avéré.
Il faut comprendre que la philosophie de l’aide du gouvernement, qui a facilité l’acquisition des prêts en offrant des garanties aux organismes financiers, vise en premier lieu à éviter le chômage et la perte d’emplois. Nous devons préserver notre tissu touristique pour le redémarrage du secteur et éviter de mettre nos concitoyens dans une situation où ils seraient incapables de subvenir à leurs besoins.
En tout état de cause, le ministère traitera au cas par cas des entreprises en difficulté et qui n’ont pas pu accéder aux aides de l’Etat. Il s’agit de celles qui en ont besoin et qui sont éligibles.
Les mesures d’accompagnement visent à aider les professionnels à dépasser ce cap difficile, il est donc normal que ceux qui souffrent en profitent.
Aujourd’hui, on parle d’un nouveau monde post-Covid-19 et le tourisme n’y échappe pas. Fini les grands rassemblements du tourisme de masse et les regroupements de centaines de personnes. Les produits touristiques sont aujourd’hui conçus pour satisfaire un plus petit nombre et leur offrir une meilleure qualité. Etes-vous préparé à cette nouvelle ère touristique ?
J’ai débarqué au ministère avec une stratégie toute prête et une nouvelle vision pour le secteur touristique. Le but de ma démarche est en premier lieu la diversification du produit touristique. La pandémie a mis en lumière nos insuffisances, elle servira aussi de déclencheur pour notre mue.
Le tourisme de masse, comme il est aujourd’hui présenté et vécu, doit évoluer et tendre vers un tourisme bien plus engagé d’un point de vue environnemental et culturel. Même notre produit phare qui est le balnéaire doit être revu parce qu’épuisé. La diversification de nos produits touristiques aura pour objectif d’étendre la saison touristique sur toute l’année. Quand on vit dans un pays plein d’histoire dont les vestiges couvrent tout le territoire national et qui est doté de sites naturels impressionnants d’originalité et de beauté avec un soleil qui brille les 10 mois de l’année, pourquoi devons-nous subir la saisonnalité ?
Les touristes locaux peuvent faire des vadrouilles et des excursions découvertes et choisir de passer une ou deux nuits dans un hôtel, et les internationaux qui achètent leur séjour peuvent sortir des unités d’hébergement pour découvrir sites naturels et culturels.
J’ai personnellement eu deux réunions avec mes homologues depuis ma prise de poste. L’une avec le ministre de la Santé pour parler du confinement et de la gestion de la phase Covid-19, et l’autre avec la ministre de la Culture et son équipe avec lesquels nous avons (ici même au ministère) discuté du développement du produit touristique culturel.
Il y a un grand soutien de l’Union européenne pour le programme « Tunisie, notre destination », et malgré les déboires du secteur culturel avec les risques inhérents à l’organisation des festivals et leur annulation, à cause de la pandémie, nous sommes engagés à offrir une panoplie de produits culturels.
Le tourisme de demain sera axé sur la culture, la nature et l’environnement, l’agriculture, l’écologie et bien sûr un balnéaire repensé. Nous allons diversifier nos produits et nos marchés. Nous devons répondre à la demande et enrichir notre offre pour la proposer à nos partenaires.
La crise actuelle, l’arrêt de toutes les activités touristiques, c’est une occasion unique pour prendre du recul, proposer des changements et redéfinir les modalités de voyage dans une optique de qualité et non de quantité.
Le tourisme doit être durable et non de masse comme celui que nous observons dans certaines villes ou régions. Il s’agit de trouver un équilibre entre la préservation des écosystèmes et les réalités économiques. En clair, il s’agit d’un tourisme intelligent où la découverte de l’autre et des vertus humaines prend le dessus sur la frénésie de simples défoulements ou changement de cadre.
Nous voulons offrir à nos visiteurs l’opportunité de vivre de nouvelles expériences, soit un mélange savant entre la culture et la nature sans oublier la dimension humaine.
Promouvoir de nouveaux produits exige un budget conséquent pour faire campagne, en avez-vous les moyens ? Et les professionnels sont-ils prêts à participer ?
Je vous dirais en toute franchise que le budget destiné à la promotion a été réduit comme peau de chagrin. Tout le budget promotionnel dont nous-mêmes disposons peut être investi par un autre pays dans un seul marché. Il faut savoir que la conquête des marchés touristiques dépend du prix qu’on y met pour faire des campagnes publicitaires dans les grands médias, des affichages urbains et interurbains dans des lieux névralgiques, l’invitation de leaders d’opinion et ainsi de suite.
Nous essayerons d’optimiser l’impact de nos campagnes malgré les limites de nos ressources. Toute aide et tout soutien de la part des professionnels seront les bienvenus, car promouvoir la destination, c’est aussi vendre leurs produits.
Est-ce par manque de moyens que l’ONTT n’invite plus des leaders d’opinions et des représentants internationaux du monde du voyage ?
Non. Ce volet-là nous l’assurons à merveille et ils sont nombreux ceux que nous invitons à découvrir nos produits touristiques et notre pays, mais il y a également la dimension PR à l’international basé sur notre relationnel et des personnes bien introduites dans les médias et les milieux décisionnels.
Cette dimension n’existe malheureusement plus et nous devons récupérer la donne. Il faut donner une autre image de notre site. La Tunisie n’est pas condamnée à faire du tourisme de masse. Nous avons les moyens d’offrir plus et mieux.
Concernant le volet PR, vous avez des Tunisiens très bien placés partout dans le monde et qui ne demandent qu’à aider leur pays. Pourquoi vous ne faites pas appel à eux ?
Tout d’abord parlons de notre offre. Il se trouve que pour que nous puissions exploiter notre réseau international pour promouvoir notre site, il faut disposer de produits haut de gamme pour leur donner de la matière et qu’ils peuvent défendre. Il se trouve que dans notre pays l’organisation d’événements prestigieux, de manifestations artistiques et de circuits culturels de haute facture n’est pas chose aisée tant c’est soumis à des réglementations complexes.
Avant d’avoir choisi le réseau de l’événementiel, Dubaï n’était pas très connu à l’international, mais grâce à la vision de ses dirigeants et leur capacité d’anticipation, l’Emirat est aujourd’hui classé parmi les premières destinations touristiques internationales.
La Tunisie peut marqueter son expérience démocratique, mais il faut réussir le packaging. Si nous vendons notre site en tant que pays tolérant, ouvert, riche en histoire et respectueux de toutes les religions et civilisations sans tabous et sans jugements de valeurs, on viendra chez nous. Il ne faut jamais oublier que l’authenticité, l’originalité et les valeurs humaines conjuguées à la sécurité dans toutes ses dimensions sont les meilleurs arguments de vente.
Il n’y a pas que cela. L’environnement physique et humain compte également beaucoup, et la saleté que nous voyons quotidiennement dans les zones les plus fréquentées par les touristes, dont le Grand Tunis, ne donne pas une belle image de notre pays. Vous êtes aussi responsable puisque vous financez des municipalités qui ne font rien pour l’embellissement et la propreté des villes.
Le citoyen est aussi responsable de la propreté de son environnement direct, et là il faut sévir. Nous sommes un pays touristique et la propreté doit être exemplaire. Il n’empêche, les municipalités doivent assurer et assumer leur rôle à ce niveau-là.
Aujourd’hui, nous avons un nouveau ministre des Affaires locales, et puisque nous finançons toujours la propreté des villes touristiques, nous travaillerons ensemble pour remettre les choses d’aplomb. Nous pourrons même organiser le prix de la commune la plus propre, mais aussi organiser des opérations coup de poing comme celles que l’on faisait auparavant pour imposer les règles d’hygiène et de propreté à respecter.
Nous pourrions, s’il le faut, créer un fonds pour préparer les villes à accueillir les saisons touristiques.
Aujourd’hui que le dossier du Protocole sanitaire est bouclé, nous ne comptons pas nous croiser les bras attendant que les touristes nationaux et internationaux nous tombent du ciel, mais tout au contraire mettre toutes les chances de notre côté pour les accueillir dans le meilleur des cadres. Et quand je parle de cadre, je parle aussi de l’hygiène et de la propreté. Il est indigne de laisser le Grand Tunis dans cet état de saleté, sachant que la capitale est le miroir du pays et un des points d’attraction du tourisme.
Nous n’avons pas le droit de laisser des points noirs dans les grandes artères, dans les rues, ou sur des places centrales ou autres. Nous comptons travailler sur le tri avec nos hôtels pour aider les agents de propreté et arriver à solutionner le problème des dépotoirs. Il faut mettre en place une stratégie pour résoudre ce genre de problèmes profonds en prenant des mesures structurelles et ne pas faire du surplace. Nous avons 5 ans pour le faire.
Propos recueillis par Amel Belhadj Ali
A suivre la deuxième partie.