Le bilan économique comme bouclier pour minimiser les retombées de la crise et sans préciser les dispositions à aligner en vue d’affronter les défis de la relance, c’est habile mais pas convaincant. On a vu un chef du gouvernement dans une posture laborieuse mais avec un message laconique.
Le chef du gouvernement a accordé une interview télévisée, au soir du dimanche 14 juin, à la chaîne Attessia et à la radio Mosaïque FM. L’entretien était réalisé par Boubaker Ben Akacha.
Ce fut une épreuve marathonienne qui a approché les deux heures de temps. Le choix de la date de l’intervention est opportun et quelque peu assorti de lauriers. Le gouvernement terminait les 100 premiers jours. De surcroît, le pays est à la veille de la date du déconfinement total.
Par un mauvais coup du sort, la crise a lésé le gouvernement, pour l’avoir écarté de son programme initial. Mais à quelque chose malheur est bon, elle lui a bien offert un bilan, plutôt satisfaisant, de gestion de la pandémie. La létalité du coronavirus a été bien resserrée. L’indice R0 est descendu en-dessous de 1 et, par conséquent, la vitesse de propagation du virus se trouve maîtrisée, comme ce fut le cas pour la grippe ordinaire.
On voyait Elyès Fakhfakh accaparer le jackpot, pour lui tout seul. Pourtant, les experts rappellent que les politiques de santé de l’Etat de l’indépendance ont bel et bien co
On a vu le chef du gouvernement surfer sur le bilan de la crise pour conforter les ambitions qu’il nourrit pour le pays. Et en cela il n’y a pas à douter de sa sincérité. En revanche, il a été assez flou sur les moyens de sa politique future. D’autant qu’il entend mixer les mesures de la relance avec des trains de réforme. Elyès Fakhfakh a le sens de l’Etat, mais il n’indique pas comment il entend rétablir l’autorité de l’Etat. Or, là est son challenge.
Quid du dialogue social ?
La longueur de l’entretien a dispersé les sujets importants, de l’heure. En bout de course, l’on est resté sur notre faim. Pourquoi ne pas avoir évoqué le bilan financier de la gestion de la crise ? Le pays a reçu des aides extérieures. Les citoyens, par élan de solidarité, ont mis la main au portemonnaie. L’opinion est curieuse de savoir comment tout cela s’est soldé. D’aucuns y verront un point de détail dans l’étendue de la gestion de l’épidémie, mais c’est un référentiel important quand on affiche une certaine fermeté en matière de redevabilité. Passons !
Durant le confinement, la réactivité du gouvernement a fini par être au rendez-vous et les couacs du début de crise, en matière d’urgence sociale, sont vite dissipés. Pourquoi ne pas embrayer sur le chantier du dialogue social et parachever l’édifice une fois pour toutes. Grâce au dispositif du dialogue social, l’Etat reprendrait la main définitivement autant sur l’efficacité de la politique des transferts que sur la discipline syndicale. Les débordements revendicatifs et contestataires seraient contenus.
Par ailleurs, le dialogue social offre un cadre sécurisant pour débattre de l’avenir du secteur public. Il n’y aura plus d’atermoiements ni de demi-mesures. Comment accepter de renvoyer la balle aux entreprises publiques pour qu’elles revoient leur gouvernance avant que l’Etat pose les contours de sa stratégie économique ?
Le hasard a voulu qu’Elyès Fakhfakh s’exprime deux fois de suite dans le sillage d’Emmanuel Macron. Le président français a opté pour l’adresse directe à l’opinion. On l’a vu, à chaque fois monter au filet et présenter des alternatives précises. L’Etat français entend prendre des participations dans les entreprises publiques ou privées pour imposer des orientations qui cadrent avec des exigences précises, dont les impératifs du développement durable.
C’est bien de rappeler que la STEG, l’ONA et la SONEDE sont les locomotives du secteur public. Ne serait-il pas meilleur de leur indiquer les moyens de leurs ambitions ? D’expérience, il est difficile de se réformer de l’intérieur, une impulsion de l’Etat en tant que puissance publique serait une étincelle décisive.
On retient que l’identifiant unique est sur pied. Mais en soi il ne représente rien. Le débat derrière l’identifiant unique est plus engageant car il permet de décider définitivement du sort de la politique de compensation.
Le secteur exportateur et la République contractuelle
Voler au secours des entreprises et de certaines activités est une priorité. Les phosphates et le tourisme méritent une attention particulière. Nous considérons qu’il faut focaliser sur ces deux activités en pointe. Toutefois, l’Etat ne peut se soustraire à prendre en compte la totalité du secteur exportateur. Le textile et l’huile d’olive et par-delà les IME et le secteur agro-industriel appellent aussi des mesures de soutien.
Et en la matière pourquoi faire l’économie du travail qui a été fait par le Conseil d’Analyses économiques et son concept de “République contractuelle“.
Le CAE a mis au point une formule de pactes de performance économique et de stabilité sociale pour chaque secteur d’activité. Un premier pacte a été mis sur pied avec le secteur textile et habillement. Un second a été convenu avec le secteur des IME. Ils appellent un tout petit travail d’implémentation pour intégrer les retombées de la crise et les voilà prêts à l’emploi.
Dans le sillage des réformes, un autre travail important a été réalisé dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. L’implication des régions dans le travail de redressement national est incontournable.
Last but not least, le programme de digitalisation doit, cette fois, déboucher non pas sur des plans sensationnels de diffusion du Haut débit ou sur le sort de la 5G mais bien sur celui de l’aboutissement à l’e-Gov et à l’open-Gov. Grace à ces deux canaux, l’opinion publique pourra être édifiée sur qui fait quoi dans l’administration et la vie publique s’en porterait mieux loin des tiraillements des partis.
Le souci de stabilité politique
Pour l’heure, on voit un Elyès Fakhfakh, sûr de lui mais ignorant les tractations politiciennes. Pour l’instant, le gouvernement est en période de grâce car il peut intervenir par ordonnances. Plus tard quand il devra revenir devant le Parlement pour présenter ses projets de lois, ce sera une autre affaire. Le chef du gouvernement, pour obtenir la stabilité dont il a besoin, pour valider ses projets de réformes, devra composer avec les caprices du chef de la coalition.
Comment tourner le dos aux suggestions de Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha et président de l’ARP, donc l’homme clé de cet édifice, qui entend intégrer Qalb Tounès à la coalition au pouvoir ?
Elyès Fakhfakh a une expérience amère avec Ennahdha. Hamadi Jebali, CDG après le scrutin d’octobre 2011, avait appelé Elyès Fakhfakh à la mi-décembre 2012 au ministère des Finances. La loi des finances était déjà en débat à l’ANC (Assemblée nationale constituante). Et cette LF n’était pas sans surprise car elle contenait la proposition d’indemnisation des militants nahdhaouis, et la création d’un Fonds Zakat. Et le ministre des Finances les avait endossés sans trop pouvoir réagir.
Et en 2013, ce même Fakhfakh avait présenté “sa LF 2014” en y incorporant des taxes à la consommation. Ces taxes avaient donné lieu à un mouvement de contestation suite auquel des recettes des finances ont été incendiées. Le bilan de cette contestation s’était chiffré à quatre millions de dinars, disait-on dans la presse de l’époque, et Ali Larayedh, devenu CDG dans l’intervalle, avait préféré abandonner le projet de taxes de consommation.
Quand on compose avec un allié de cette taille, autant pactiser.
Ali Abdessalam