L’idée d’une amnistie fiscale à l’adresse des Tunisiens détenteurs de comptes bancaires à l’étranger est de nouveau à l’ordre du jour. D’après nos sources, le chef du gouvernement est en train de consulter des experts à ce sujet. Mais les conditions pour que ce projet réussisse semblent difficiles à réunir.

Le 21 mai 2020, un site web de la place révélait que le gouvernement d’Elyès Fakhfakh envisagerait de proposer aux Tunisiens détenteurs de comptes à l’étranger une amnistie de change qui leur permettrait de régulariser leur situation moyennant le paiement d’un impôt de 10% -«libératoire de toute poursuite fiscale ou douanière», d’après la même source, du montant rapatrié en Tunisie.

Et d’après nos informations, Elyès Fakhfakh serait en train de consulter des experts à ce sujet.

L’idée était dans l’air avant même la prise de fonction de l’actuel gouvernement. En effet, le 20 février 2020, la Banque centrale de Tunisie (BCT) avait annoncé qu’elle allait proposer une amnistie de change dans le but de «renflouer les réserves en devises de l’Etat». Plusieurs experts ont salué cette proposition, même si elle n’est encore, justement, qu’au stade d’une suggestion. Il s’agit certainement d’attirer ceux qui sont actifs dans le commerce parallèle et l’économie informelle qui représentent, rappelons-le, près de la moitié de l’économie tunisienne.

Le précédent y avait lui aussi pensé. En avril 2017, Ridha Saïdi, conseiller économique auprès du gouvernement Youssef Chahed, avait levé un coin du voile sur un projet de loi d’amnistie de change mais destinée aux … «Tunisiens ayant effectué des opérations de transfert de leur argent de façon illégale vers la Tunisie».

Avant le 14 janvier 2011 également, il existait une volonté d’essayer de convaincre les Tunisiens disposant de comptes bancaires à l’étranger de les rapatrier en Tunisie. La dernière initiative en ce sens date de mai 2007, qui a vu la BCT annoncer l’élaboration d’une loi d’amnistie des infractions en matière de change lors du 1er Forum de l’investissement et des rencontres d’affaires maroco-tunisien.

Mais la tentative la plus sérieuse et aboutie a eu lieu avant le 14 janvier 2011, plus précisément en 2007. Et elle est en quelque sorte le fruit du hasard.

Cette initiative voit le jour d’une réunion à laquelle le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, avait alors convié une belle brochette de hauts responsables des ministères concernés, de patrons de grands groupes et d’experts pour parler de la relance de l’investissement.

Ghannouchi (Mohamed) demande des propositions pour atteindre cet objectif et il en obtient une qui a failli le faire tomber. Un ancien président directeur général de banque reconverti dans le conseil financier suggère de cibler une catégorie bien particulière d’«investisseurs»; ce sont les Tunisiens s’adonnant à un «sport» dont le nombre d’adeptes n’a cessé d’augmenter au fil des ans : l’évasion de capitaux.

Surmontant sa surprise, le Premier ministre déclenche une discussion sur les voies et moyens de convaincre ces gens-là de rapatrier leur argent en Tunisie.

Finalement, un projet est ébauché. Il propose aux Tunisiens détenteurs de comptes à l’étranger de rapatrier leurs deniers en devises en acquittant une taxe symbolique de 0,5%, avec la garantie de n’avoir à répondre à aucun questionnaire ou interrogatoire.

Passé par la moulinette, le projet est totalement dénaturé. De 0,5%, la taxe passe à 5%, avec de surcroît l’obligation de faire une déclaration auprès de la BCT d’une recette des finances, etc. Deux ou trois banques de la place acceptent de communiquer sur cette campagne. Une d’entre elles «y a investi près d’un million de dinars, en pure perte. Aucun Tunisien détenteur d’un compte à l’étranger ne s’est présenté pour bénéficier du dispositif proposé», témoigne un banquier.

Autant dire que si aujourd’hui l’actuel gouvernement espère obtenir un meilleur résultat avec un impôt de 10% sur le montant rapatrié, il se trompe lourdement. D’autant que deux autres conditions -essentielles d’après les experts- pour la réussite d’une amnistie semblent difficiles à réunir, surtout dans le contexte actuel de la Tunisie.

La première est de ne soumettre ceux qui acceptent de rapatrier leur argent en Tunisie à aucune espère de demande de renseignements ou d’interrogatoire. Ensuite, il faut leur garantir qu’ils peuvent si et quand ils le désirent de pouvoir transférer leurs deniers à l’étranger.

MM