Dans le cadre des éditions spéciales numériques de WMC, nous avons posé des questions au ministre des Finances, Mohamed Nizar Yaïche, sur la stratégie financière du gouvernement pour faire face à la pandémie de la Covid-19.
Au passage, plus par manque de temps que par respect de la distanciation sociale, M. Yaïche a préféré répondre à nos questions par téléphone. La première question concerne la transformation digitale, notamment au niveau de la numération de l’administration tunisienne.
D’emblée, M. Yaïche estime que l’un des avantages du gouvernement auquel il appartient, celui de Fakhfakh en l’occurrence, c’est de compter plusieurs ministres imbus des nouvelles technologies. «Les nouvelles technologies de la communication constituent l’ADN de ce gouvernement. Je pense que c’est un atout majeur pour le pays», a-t-il assuré.
Dans cet ordre d’idées, il indique que le gouvernement d’Elyès Fakhfakh possède une approche très poussée du digital dans ses actions, qui est à la fois innovante et tunisienne, «ce du reste ce qui nous a permis de réaliser plusieurs projets au cours de la période du confinement».
Pour étayer ses propos, il a cité le lancement le portefeuille digital ayant permis de distribuer la phase 2 des aides sociales ; mais également la généralisation de la télédéclaration des impôts via un processus complètement digitalisé, réalisé en collaboration avec l’ANCE (Agence nationale de la certification électronique), en plus du Registre national des entreprises (RNE), et plusieurs autres plateformes.
Pour lui, beaucoup de choses concrètes ont donc été réalisées. «On continue sur cette voie, car c’est le cœur de la stratégie du gouvernement. Et je puis vous dire que les avantages sont multiples : faciliter la vie au citoyen en lui proposant des services de meilleure qualité, renforcer la transparence et la traçabilité, ce qui nous aide à lutter contre la corruption, et en interne ça nous permet d’être plus efficaces en croisant les bases des données et les informations…».
En dépit des avantages que vous venez de citer, on a envie de vous demander comment est perçue, dans l’administration, cette volonté du gouvernement d’aller vers le tout numérique.
Optimiste, Nizar Yaïche Souligne : “Sincèrement, de mon côté, je m’attends à une forte adhésion de l’administration au processus de digitalisation. Je pense qu’il y aura même une accélération. Et on compte, collectivement, rattraper un retard dans ce domaine, en ce sens qu’on a mis en place ce qu’il faut sur les plans financier, technique, juridique, accompagnement au changement, formation, communication…”.
Selon lui, l’ambition à terme du gouvernement, «c’est que la Tunisie ne soit plus un pays consommateur du digital mais en être un producteur. Surtout que nous avons tous les ingrédients pour le faire. D’ailleurs, si vous contactez, si Fadhel Kraiem, le ministre des TIC, il pourra vous en parler mieux que moi en la matière…».
Monsieur le ministre, l’expérience de l’utilisation des technologies mobiles pour la distribution des aides sociales va-t-elle servir pour la réforme du système de compensation, entre autres?
Et M. Yaïche de répondre : «c’est l’objectif visé. On a la ferme intention de l’utiliser lorsqu’on aura terminé de mettre en place tous les prérequis. Car, comme vous le savez peut-être, la compensation nous coûte plus de 3 milliards de dinars par an, mais malheureusement la majorité de celle-ci ne va pas là où elle devrait aller. Aujourd’hui on a une double urgence. Et la solution technologique comme le portefeuille digital nous aidera dans ce sens ».
Cependant, il n’y a pas que cela, ajoute-t-il, « il y a d’autres prérequis tels que la fiabilisation des bases de données de ceux qui devraient être les vrais bénéficiaires de la compensation; il y a aussi une approche famille qui est un peu différente de celle d’utilisateur unique, donc un gros travail de coordination à faire avec les Affaires sociales, et il faut que ce soit progressif. D’autres produits doivent être introduits, sachant que chacun doit suivre sa propre logique. Tout ceci pour dire qu’il y a toute une philosophie à mettre en place, sachant que le principal pilier de cette transformation ce sont les solutions technologiques », explique le ministre des Finances.
A propos de la finalité des mesures fiscales qui pourraient être introduites dans les lois de finances complémentaires et dans le projet de loi de finance 2021, Nizar Yaïche a souligné que «la priorité, c’est la relance économique avec une vision claire qui combine développement économique et développement social. Nous n’allons pas augmenter la pression fiscale cette année, au contraire, on s’oriente vers la baisse de la pression fiscale pour la période à venir ».
Dans ce cas, monsieur le ministre, comment le gouvernement trouvera-t-il de l’argent, étant donné que vous ne comptez pas non plus aller sur le marché international ?
A cette question, Nizar Yaïche a assuré que «nous avons beaucoup d’idées en la matière, et elles seront annoncées le 25 juin par le chef du gouvernement, et juste derrière on va les détailler avec des mesures concrètes. Mais d’ores et déjà, je puis vous annoncer que l’intégration de l’économie informelle est une priorité. Cela nous permettra d’avoir de ressources financières supplémentaires. C’est le premier gros sujet ».
Ensuite, «nous comptons sérieusement nous attaquer à l’évasion fiscale qui est extrêmement développée dans notre pays. Voilà les deux principales idées, mais il y en a d’autres (comme l’emprunt obligataire lancé la semaine dernière, plus d’autres mécanismes que nous sommes en train de mettre en place…)».
Mais monsieur le ministre, certaines mesures de soutien aux entreprises annoncées depuis plusieurs mois n’ont toujours pas été mises en place. Peut-on savoir pourquoi ce retard, sachant que bon nombre de secteurs et d’entreprises sont en arrêt d’activités depuis mars et ne s’attendent pas à une reprise avant la rentrée ?
Nizar Yaïche : Je les comprends parfaitement lorsqu’elles disent que ces mesures tardent à se mettre en place. Il y a beaucoup de retard dans la mise en œuvre de certaines mesures –pas toutes je tiens à le souligner.
Cependant, j’ai constaté qu’il y a une accélération ces dernières semaines de la mise en place de certaines de ces mesures. D’ailleurs, en l’espace de quelques jours, un millier d’entreprises impactées par la Covid-19 ont bénéficié des aides financières du gouvernement.
Je sais aussi que les mesures ont été globalement appréciées par les entreprises, mais je dois reconnaître aussi que la réalisation a pris beaucoup plus de temps que prévu.
Ceci étant, tout n’est pas négatif, car cela nous permet de tirer des leçons pour la prochaine vague de mesures, en accélérant la qualité de la mise en œuvre.
Mais pour répondre à votre question, il faut savoir qu’il y a beaucoup d’acteurs qui sont impliqués, entre le ministère des Finances et les ministères de tutelle, les banques, la SOTUGAR,… des conventions dans tous les sens et tous les textes de loi qui doivent être préparés (sachez qu’un texte de loi a au moins une douzaine d’étapes…). En fait, je ne cherche pas à justifier les retards –je n’accepte pas les retards moi non plus-, mais j’aimerais juste faire comprendre aux chefs d’entreprise qu’il existe tellement d’intervenants et d’étapes en interne que parfois ça prend beaucoup plus de temps que prévu.
D’ailleurs, si je prends l’exemple du remboursement des crédits d’impôts, ce qui a été fait en deux mois et demi c’est l’équivalent de toute l’année dernière (2019, ndlr).
A titre d’exemple le paiement de l’acompte provisionnel, pour les entreprises sinistrées et qui se sont inscrites sur la plateforme, ils bénéficient du report de paiement jusqu’en février 2021.
Avez-vous un message pour les entreprises et les citoyens ?
Nizar Yaïche : Le programme de relance économique va être annoncé par le chef du gouvernement le 25 juin 2020. Derrière on va lancer toute une batterie de mesures d’accompagnement. Tout le monde doit être conscient de la difficulté de la période et de la situation, notamment sur le plan économique, social, et aussi sur la situation des finances publiques, ce n’est d’ailleurs pas spécifique à la Tunisie, sauf que nous on était dans une situation plus difficile et qui s’est aggravée avec la pandémie Covid-19.
Et je reste persuadé qu’avec un travail collectif solidaire, on pourra non seulement sauver notre économie mais aller vers un développement durable et équitable pour la Tunisie, et ainsi transformer la Tunisie en profondeur.
Propos recueillis par Tallel BAHOURY